Le Sénat italien, convoqué d’urgence dans une Rome désertée en cette période estivale, doit décider mardi soir d’une date pour le vote possible d’une motion de censure qui pourrait faire tomber le gouvernement, mais le scénario d’une solution alternative « anti-Salvini » se renforce.
Jeudi dernier, l’omniprésent ministre de l’Intérieur et patron de la Ligue (extrême droite), Matteo Salvini, a joué un coup de poker en dynamitant son alliance gouvernementale avec le Mouvement Cinq Étoiles (M5S, antisystème) après seulement 14 mois de pouvoir.
Misant sur la torpeur du mois d’août et sur sa position dominante dans les sondages (36 / 38 % des intentions de vote, 20 points de plus qu’au printemps 2018) après avoir pilonné pendant des mois son partenaire gouvernemental, il pense avoir la main et se voit déjà à la tête de son pays après des élections anticipées qu’il réclame pour octobre.
Afin d’y parvenir, Matteo Salvini entend pactiser avec ses vieux alliés de droite, Forza Italia (FI, droite) de Silvio Berlusconi et Fratelli d’Italia (Frères d’Italie, post-fasciste) de Giorgia Meloni.
Mais son plan d’attaque n’avait pas pris en compte la formation, pour lui barrer la route, d’une sorte de « front républicain » qui rassemble notamment le M5S, furieux d’avoir été trahi, et une aile du Parti démocrate (PD, centre gauche) incarnée par l’ancien chef du gouvernement Matteo Renzi (2014-2016).
Les pourparlers au sein du camp refusant de nouvelles législatives sont compliqués, notamment pour le PD. Son nouveau patron, Nicola Zingaretti, en place depuis mars, préconise des élections au plus vite pour ne pas brouiller le message de l’opposition de gauche et éviter de faire grimper dans les sondages son ennemi déclaré.
Mais le chef de file du M5S, Luigi Di Maio, semble bel et bien avoir des cartes à abattre, éloignant quelque peu le scénario d’un départ inéluctable du premier ministre Giuseppe Conte.
Le Sénat se réunit donc mardi pour trancher entre d’un côté la position de M. Salvini qui veut voter la censure et la chute du gouvernement Conte dès mercredi et de l’autre celle de M5S qui plaide pour une simple déclaration de M. Conte le 20 août au Sénat sans démission automatique.
Tout est possible
Toutes les hypothèses restent donc vraisemblables : un gouvernement provisoire de techniciens pour adopter le budget 2020 et préparer de nouvelles élections, un gouvernement remanié, peut-être dirigé de nouveau par M. Conte et dominé par des ministres M5S avec l’appui externe du PD et d’autres formations, ou des législatives anticipées en octobre.
Le « Palazzo Madama », qui abrite le Sénat en plein coeur de la capitale italienne, avait fermé ses portes pour les vacances le 7 août. À la surprise générale, tous les sénateurs ont été convoqués d’urgence par la présidente du Sénat Elisabetta Casellati (Forza Italia). Les chefs des groupes parlementaires réunis lundi n’étaient en effet pas parvenus à s’entendre sur un calendrier pour une sortie de crise.
Faisant naître du coup une autre incertitude de taille : le nombre des sénateurs qui interrompront leurs congés pour arriver à temps (ils sont convoqués pour 16 h 00 GMT).
Le front anti-Salvini pourrait numériquement dégager une majorité suffisante au Sénat, en agrégeant les sénateurs du M5S, les fidèles de Matteo Renzi au sein du PD et les voix potentielles de multiples formations soucieuses de ne pas perdre leurs fauteuils.
La Ligue ne peut compter que sur 58 sénateurs, Forza Italia 61 et Fratelli d’Italia 18. Leur demande du vote immédiat d’une motion de censure a donc peu de chances d’être adoptée.
Pour Giorgia Meloni, le premier ministre aura, le 20 août, « l’occasion de feindre que son gouvernement peut aller de l’avant en bâtissant une majorité différente avec 5 Étoiles et le PD ». Mais ce serait « trahir la volonté des Italiens », a-t-elle dit à la Repubblica.
Signe du caractère inédit de la crise, ce quotidien évoque, dans un éditorial, un « big bang du système », dont la « géographie politique » est en train d’« exploser ». « C’est le résultat de la furie antisystème politique qui a envahi les institutions, la République et la démocratie, un processus de fausse révolution et de vraie délégitimation républicaine », s’inquiète Ezio Mauro.