L’affaire défraie la chronique en France depuis des semaines. Mais elle vient d’être relancée par le producteur Éric Brion qui a décidé de poursuivre en justice Sandra Muller. Cette journaliste française est celle qui a lancé le mouvement de dénonciation #BalanceTonPorc, la version française de #MeToo. Dénoncé sur les réseaux sociaux pour des propos tenus il y a plusieurs années, Brion réclame de Muller 50 000 euros pour les torts qu’il aurait subis, plus 10 000 euros pour les frais de cour.
C’est peu dire que le différend qui les oppose est devenu en France un cas d’espèce. Il est un des rares à avoir dépassé la dénonciation informelle sur Internet pour être analysé dans la presse, où il a suscité de nombreuses réactions.
L’histoire commence le 13 octobre dernier, alors que l’Amérique est sous le choc des dénonciations pour viol et agressions du magnat d’Hollywood Harvey Weinstein. Dans la foulée, le mouvement s’élargit sur les réseaux sociaux avec la relance du mot-clic #MeToo (#MoiAussi). C’est alors que Sandra Muller, qui travaille à New York, lance #BalanceTonPorc, incitant les femmes à dénoncer, avec noms et détails à l’appui, ceux qui ont « tenté des tripotages » et leur ont « manqué de respect verbalement ».
Joignant le geste à la parole, elle « balance » aussitôt Éric Brion. L’ex-patron de la chaîne de courses hippiques Équidia lui aurait dit il y a plusieurs années : « Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. » Le mouvement était né.
Les faits sur la table
Rapidement, Sandra Muller reçoit plus de 60 000 messages de soutien. Selon le magazine Le Point, Brion était chez lui lorsqu’il découvrit, « abasourdi », « l’emballement viral » dont il était l’objet. Il aurait alors tenté en vain de contacter Sandra Muller.
Loin des invectives d’Internet, le journal Le Monde mettra les faits sur la table en permettant à Muller et à Brion de s’expliquer dans des tribunes croisées publiées le 30 décembre dernier. Le producteur y réclame « le droit à la vérité et à la nuance » et reconnaît avoir effectivement tenu ces propos qu’il juge « déplacés » lors d’un cocktail cannois bien arrosé. Il précise qu’il n’a jamais eu de rapport professionnel avec Sandra Muller et qu’il n’était pas son « ancien patron », comme l’a écrit le magazine L’Obs (qui s’est excusé depuis). Il dément aussi avoir été congédié de France 2 pour harcèlement sexuel, comme on l’a écrit sur Internet. Des propos confirmés par la direction de la chaîne. Tout en s’excusant de cette « goujaterie », il dit n’avoir jamais touché Sandra Muller ni répété ses propos. « Quel rapport, demande-t-il, entre mon comportement et l’affaire concernant Harvey Weinstein ? »
Dans la même édition, Sandra Muller confirme les faits rapportés par Brion, qu’elle persiste à qualifier de « bourreau ». Il lui aurait fallu, dit-elle, « des années pour verbaliser » cet incident qui aurait même provoqué chez elle « honte, déni, volonté d’oubli, faille spatio-temporelle ». Selon elle, « personne ne peut juger l’impact psychologique d’une agression ». Le jour même, sur son compte Twitter, elle lance : « Faute avouée à moitié pardonnée. »
Cela n’empêchera pas l’homme de 51 ans d’assigner Sandra Muller en diffamation quelques jours plus tard. Au magazine Le Point, il déclare ne plus pouvoir travailler depuis le 13 octobre. Des conséquences qu’il juge « disproportionnées ». Ses contrats de consultant auraient été annulés.
« Victime » et « bourreau » ?
En France, le débat Brion/Muller a été largement commenté. « Voilà donc l’héroïne que l’on nous propose : une fille si ignorante des choses du sexe et du désir des hommes, qu’elle défaille quand un homme lui parle de ses seins et met des années à s’en remettre […]. Il lui a dit, en termes un peu lestes, qu’elle lui plaisait : elle est victime, il est bourreau. Et chômeur », ironise la polémiste Élisabeth Lévy, directrice du mensuel Causeur, qui a signé la lettre des cent femmes avec Catherine Deneuve.
Sur le site 20 minutes, l’avocate Elodie Tuaillon-Hibon dénonce quant à elle une « procédure bâillon » qui serait instrumentalisée « pour faire peur, pour empêcher de parler ». Souvent utilisée par les agresseurs, la dénonciation calomnieuse existe néanmoins « pour se défendre et dénoncer une injustice », précise sa consoeur Catherine Le Magueresse. Selon l’avocat de la défense, Alexis Guedl, même un cocktail pourrait être considéré par les juges comme un lieu de travail.
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