Il fallait s’y attendre, partout où il le pourra, ce gouvernement va réduire la taille de l’État pour faire place à l’entreprise privée. On savait, par le rapport Demers, qu’il s’apprête à sabrer la formation générale (philosophie, littérature, etc.) au collège au profit d’une formation spécialisée qui puisse répondre aux besoins du marché. Voici qu’avec le rapport Robillard (celle-là même qui, en éducation, a mis en place la réforme abrutissante de 1993), il pense remettre à Ottawa la perception de nos impôts « tout en conservant, bien sûr, notre autonomie fiscale », à enlever le monopole de la SAQ « sans, bien sûr, la privatiser ».
On connaît très bien maintenant le refrain de ce gouvernement, entonné avec brio par le premier ministre Couillard qui ne fait presque jamais de fautes de français, mais qui réussit à dire une chose et à faire son contraire, comme défendre le territoire du Québec mais l’exposer au pétrole de l’Alberta, affirmer l’importance des régions mais s’en détourner, promettre à tous de faire mieux mais en faire moins. Le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, a déjà candidement admis que les coupes effectuées dans le secteur public allaient servir à financer des réductions d’impôt, ce qui revient à admettre que la réduction de la taille de l’État ne serait pas provisoire mais permanente et continue.
Couper dans le filet social
Rappelons l’ampleur des coupes effectuées et projetées. Les professeurs du primaire, du secondaire et du collégial, les infirmières, les travailleurs sociaux, les psychologues et les physiothérapeutes, déjà surchargés, voient leur tâche s’alourdir et leur salaire gelé sur deux ans. Les écoles sont privées de ressources, notamment pour les élèves en difficulté. Les parents de la classe moyenne voient les tarifs de garderie augmenter parfois jusqu’à 35 dollars par jour, par enfant. Les employés municipaux voient leur contrat de retraite déchiré. Le réseau des cégeps écope de compressions atteignant 155 millions de dollars depuis 2012. Les universités ont dû subir des coupes de plus de 700 millions. Sans compter les centres de la petite enfance, les écoles publiques, les organismes communautaires, les centres pour femmes victimes de violence, les commissions scolaires, les CLSC et les hôpitaux qui sont durement touchés.
Le gouvernement s’en prend aux services et aux programmes sociaux comme s’ils étaient les véritables causes des déficits et de la dette. L’IRIS a pourtant démontré que les deux tiers de cette dette sont reliés à des dépenses d’infrastructure et au manque de revenus de l’État, dû à la crise financière de 2008, aux échappatoires fiscales, aux paradis fiscaux, au faible taux d’imposition des entreprises qui bénéficient de généreuses subventions sans réinvestir leurs profits, à l’absence de plusieurs paliers d’impôt et de taxes sur le capital des banques.
Retour à la noirceur ?
De toutes les mesures annoncées, qui remettent en cause le modèle québécois, l’idée de confier à Ottawa le soin de percevoir nos impôts est la plus révélatrice de ce qui est en train de se passer, à savoir un retour à la politique centralisatrice de Trudeau père qui, après avoir combattu Duplessis, a réussi à faire croire au Québec qu’il valait mieux confier à Ottawa le soin de rapatrier sa Constitution et de gérer ses affaires. Un Canada fort avec la complicité d’un Québec affaibli, telle semble être la devise du gouvernement Couillard qui ne garde de Duplessis que le pire de son héritage. Sous prétexte d’efficacité, ce gouvernement semble vouloir ramener le Québec dans la Grande Noirceur en réduisant l’éducation pour tous à l’apprentissage de techniques (vive les nouveaux porteurs d’eau) et en réservant l’éducation de qualité aux plus riches (bienvenue aux nouvelles professions libérales). Évidemment, tout cela est pour le bien du « citoyen-consommateur », cet animal à qui on dénie a priori toute autre forme de besoin que celui de s’enivrer pour moins cher, toute autre forme de conscience que celle qui consiste à payer le moins d’impôt possible.
Qui profite vraiment des « vraies affaires » défendues par ce gouvernement ? Les six plus grandes banques canadiennes qui ont engrangé des profits de 9,2 milliards au trimestre se terminant le 31 juillet (des sommes qui n’enrichissent que leurs actionnaires), les grandes entreprises qui, au Québec, sont bien assises sur leur épargne de 120 milliards de dollars, les plus riches d’entre nous qui profitent d’échappatoires fiscales et de paradis fiscaux.
Espérons que les citoyens comprendront que ce gouvernement ment lorsqu’il laisse entendre que nous vivons au-dessus de nos moyens. Ne sommes-nous pas plutôt dépouillés de nos moyens par une classe politique qui n’a aucune vision sociale et écologique de l’économie ?
Espérons que les différents groupes de la société comprendront que le corporatisme est notre pire ennemi, que ceux qui veulent liquider le Québec misent sur notre division. Lorsqu’un gouvernement refuse de gouverner, il nous appartient de le rappeler à l’ordre par tous les moyens possible, par le dialogue et la désobéissance, jusqu’à ce qu’il se souvienne que l’État est au service des citoyens et non l’inverse.
Ont cosigné ce texte: Yves-Marie Abraham, Paul Ahmarani, Marcos Ancelovici, Isabelle Baez, Mireille Beaudet, Jean Bédard, Étienne Beaulieu, Claude Béland, Nadine Bismuth, Camil Bouchard, Ryoa Chung, Élodie Comtois, Éric Cornellier, Jocelyne Couture, Martine Delvaux, Jean Désy, Alain Deneault, Jonathan Durand-Folco, Bernard Émond, Philippe Falardeau, Mark Fortier, Lamine Foura, Natasha Kanapé Fontaine, Michel Lacroix, Diane Lamoureux, Aurélie Lanctôt, Pierre Lefebvre, Nicolas Lévesque, Jonathan Livernois, Ianik Marcil, Gilles McMillan, Éric Martin, Karel Mayrand, Isabelle Miron, Christian Nadeau, Pierre Nepveu, Michèle Nevert, Kai Nielsen, Claude Paradis, Jacques Pelletier, Stéphanie Pelletier, Monique Proulx, Sandrine Ricci, Sarah Rocheville, François Saillant, Geneviève Sicotte, Larry Tremblay, Élise Turcotte, Louise Vandelac et Laure Waridel.
IDÉES
Le refus de gouverner
Le Québec mérite mieux qu’un État désengagé
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