Pour une très rare fois depuis qu’il est devenu premier ministre, Philippe Couillard a fait l’unanimité ou presque avec son ouverture à l’accueil d’un plus grand nombre de réfugiés syriens. Enfin ses « valeurs » semblaient au diapason de celles de la population.
Devant l’insensibilité du gouvernement Harper, les Québécois éprouvaient la même honte que Jean Chrétien — une fois n’est pas coutume ! — et ils étaient désireux que le monde entier sache qu’ils étaient aussi émus par cette détresse que le reste de la planète et qu’ils voulaient participer au mouvement de solidarité qu’elle a provoqué.
Ce n’est pas d’hier que le Québec désire faire entendre une voix distincte de celle du Canada dans le concert des nations. Pendant plus d’un demi-siècle, ses gouvernements successifs ont patiemment édifié à cet effet un réseau de délégations et de bureaux à l’étranger, malgré les obstacles multipliés par Ottawa.
Jean Chrétien prenait plaisir à railler les ministres péquistes qui aimaient parader en limousine « le flag su’l hood », mais ce sont des gouvernements authentiquement fédéralistes qui ont compris que la diplomatie canadienne n’avait aucune intention de défendre les intérêts du Québec.
Il vaut la peine de relire le livre de Claude Morin, intitulé L’art de l’impossible, qui relate les premières incursions du Québec sur la scène internationale dans les années 1960, alors que la moindre note de service interceptée par Ottawa déclenchait une véritable tempête. Dans l’esprit de Jean Lesage et de Daniel Johnson, il ne s’agissait pas de préparer sournoisement l’indépendance, mais simplement d’assurer au Québec un minimum d’espace pour affirmer sa différence.
Alors que les parents forment des chaînes humaines autour des écoles pour protester contre les compressions décrétées par le gouvernement Couillard, qui leur font craindre pour la qualité de l’éducation offerte à leurs enfants, les suppressions de postes dans la représentation du Québec à l’étranger ne risquent pas de créer une grande émotion, comme si les unes pouvaient justifier les autres. Dans l’austérité ambiante, qui se soucie de la fermeture d’un bureau à Taipei ou de la vente de la résidence du délégué général à Londres ?
Il y a un an, on avait sérieusement envisagé de rétrograder le ministère des Relations internationales (MRI) au rang de simple secrétariat, mais la ministre Christine St-Pierre s’y était opposée, expliquant que cela enverrait un « très mauvais message », aussi bien à ses interlocuteurs étrangers qu’aux Québécois eux-mêmes.
Le projet n’a finalement pas eu de suite, mais un ancien ambassadeur du Canada, Gilles Duguay, qui a consacré un ouvrage à la relation triangulaire entre Québec, Ottawa et Paris, avait expliqué au Devoir qu’au-delà de l’appellation officielle, l’important était que les ressources mises à la disposition de la diplomatie québécoise soient suffisantes.
« Un ministère qui a peu de moyens est un gros secrétariat, et un secrétariat qui a beaucoup de moyens est une espèce de ministère qu’on déguise avec une jupe verbale, disait-il. Un ministre délégué peut être très efficace à condition d’avoir un budget de voyage. Il faut mettre du gaz dans la tank. »
Après les nouvelles compressions budgétaires dont Mme St-Pierre a donné confirmation à La Presse canadienne, la représentation du Québec à l’étranger risque fort de « manquer de gaz ». Le quart des 208postes qui avaient échappé aux compressions précédentes seront abolis. Tous effectifs confondus, le nombre d’employés du MRI sera passé de 576 à 432 au cours des huit dernières années.
Le PQ ne manquera sûrement pas de voir dans ce ratatinage une nouvelle attaque perpétrée contre l’État québécois par un gouvernement indifférent à la spécificité québécoise, qui est toujours prêt à s’effacer devant Ottawa, que ce soit en matière de relations internationales ou de perception des impôts.
En toute justice, il faut reconnaître que ce n’est pas la première fois que le MRI fait les frais de la quête du déficit zéro. Sous le gouvernement de Lucien Bouchard, l’opposition libérale avait versé des larmes de crocodile sur ce ministère transformé en « coquille vide ». Alors que les libéraux ne manquaient aucune occasion de dénoncer les voyages des ministres péquistes, toujours soupçonnés de promouvoir leur projet souverainiste, Fatima Houda-Pepin avait déclaré sans rire : « Lorsque le Parti libéral était au pouvoir, nous n’avions ménagé aucun effort pour assurer la présence du Québec à l’étranger. »
L’incurie des uns ne justifie cependant pas celle des autres. Tout le monde reconnaît que les temps sont difficiles et que Québec n’a pas les moyens de s’offrir la diplomatie d’un État souverain, mais il ne peut pas davantage se permettre d’agir comme une simple province, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada.
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