Voilà près d'une semaine et demie que l'affaire des résidences de Jean Charest fait jaser au Québec. Voilà une semaine que Jean Charest, par l'entremise de son cabinet d'avocats McCarthy Tétrault, a distribué « généreusement » quatre mises en demeure à des journaux du Québec (Journal de Sherbrooke, Journal de Montréal, Journal de Québec et Journal Le Québécois). Cette réaction violente du premier ministre du Québec a provoqué, comme on le sait tous maintenant, le congédiement des deux journalistes de Sherbrooke qui ont pourtant couvert de façon professionnelle l'histoire en question, donnant la parole à tous les acteurs impliqués dans le dossier et vérifiant deux fois plutôt qu'une les informations auprès de la Ville de North Hatley. Voilà aussi une semaine que Me Guy Bertrand, l'avocat responsable de la défense du Québécois et des deux journalistes congédiés par l'empire Quebecor qui est noyauté par d'anciens conservateurs et anciens collègues de Jean Charest, multiplie les entrevues au cours desquelles il affirme - avec raison - que le politique s'est ici immiscé violemment dans le contenu journalistique. Censure et intimidation, voilà ce dont il est question dans ce dossier. À nos yeux, cela constitue une menace plus que certaine pour la liberté de presse au Québec!
En abordant le sujet des résidences de Jean Charest, Le Québécois savait qu'il touchait à un sujet épineux et en mesure de susciter bien des réactions passionnées. Mais Le Québécois savait aussi fort pertinemment qu'il était loin d'être le premier journal à traiter du sujet, ce qui nous laissait croire que le débat serait malgré tout civilisé. À écouter les insanités qui sortent de la bouche du tortionnaire de Quebecor, Luc Lavoie, force est de constater que nous avions tort.
Afin de démontrer qu'il y a maintenant près de 10 ans que des journalistes du Québec et du Canada s'interrogent sur la possibilité que Jean Charest ait bénéficié d'un pont d'or en 1998, nous avons placé une revue de presse sur le site du Québécois. À la lecture de ces articles, tous se rendront compte que plusieurs journalistes se sont même permis d'aller beaucoup plus loin que Le Québécois ou le Journal de Sherbrooke. Et pourtant, aucun d'entre eux n'a perdu son emploi! Depuis 10 ans, les seules fois où Jean Charest a accepté de commenter l'affaire, il l'a fait avec beaucoup de violence, sans jamais démentir les analyses de ceux qui remettent en question sa capacité de payer.
Dans le cas présent, force est de constater que Jean Charest conserve la même attitude néfaste. En refusant de faire la lumière une fois pour toutes sur le possible pont d'or et sa capacité de payer, il desserre le droit du public à l'information. Quoi qu'on en dise, la fonction de premier ministre du Québec en est une éminemment publique. Il est, par conséquent, normal que les gens pénètrent plus profondément dans la vie de ceux qui occupent ce poste qu'ils ne le font pour les autres citoyens ordinaires, de façon à s'assurer que rien ne cloche et que tout va. Notre histoire était donc tout à fait d'intérêt public. Nous avons entrepris nos recherches de bonne foi, de façon à vérifier si les questions que se posaient les journalistes depuis des années par rapport au pont d'or étaient fondées. La transparence dont devraient faire preuve les hommes publics aurait dû permettre de répondre à ces interrogations depuis belle lurette déjà, ce qui nous a justifié d'autant d'entamer ces jours-ci une telle recherche.
Pour cette raison et bien d'autres, Le Québécois, modeste journal alternatif dont la vocation est d'oeuvrer pour la libération du Québec, reste sur ses positions. Le Québécois ne se pliera pas aux exigences de l'homme fort des fédéralistes en terre Québec parce que celui-ci le menace de représailles judiciaires par le truchement du cabinet McCarthy Tétrault, cabinet au sein duquel on retrouve Daniel Johnson, ancien chef du parti libéral du Québec et Marc-André Blanchard, haut dirigeant du Parti libéral du Québec. La direction de ce dernier parti n'en est d'ailleurs pas à ses premières attaques dirigées contre Le Québécois. En 2003, lors de la campagne électorale, le PLQ avait tenté de nous empêcher de distribuer Le Québécois à l'aide d'une plainte logée auprès du Directeur général des élections du Québec, et ce, parce qu'on appuyait le Parti Québécois. Ce qui en dit long sur la capacité des libéraux à accepter la diversité des points de vue dans les médias et sur le respect qu'ils leur portent vraiment.
Les nouvelles investigations que nous avons effectuées depuis la mise en demeure que Jean Charest nous a fait parvenir (le lundi 23 octobre) nous confortent dans notre décision de rester sur nos positions. Jamais nous n'avons accusé, dans Le Québécois, Jean Charest d'avoir bénéficié d'un pont d'or. Nous nous sommes simplement questionnés quant à savoir si la chose était possible et, surtout, s'il avait les moyens de se payer les deux luxueuses résidences qu'il occupe. Nous croyions alors, bien naïvement il est vrai, que les gens avaient encore le droit de se poser des questions au Québec. À l'évidence, nous avions tort! C'est même Jean Charest qui le confirme aujourd'hui.
Nous avons présentement entre nos mains les dossiers des résidences de Jean Charest. Nous avons son contrat d'hypothèque pour sa résidence de Westmount, ses factures d'Hydro-Québec. Nous connaissons les montants des taxes. Nous savons combien il en coûte pour envoyer des enfants à l'école privée et à McGill. Nous savons, grâce aux études effectuées par Statistiques Canada, combien une famille doit débourser pour se nourrir, s'habiller, se déplacer, etc. Et nous savons, grâce aux explications détaillées et fournies par l'Assemblée nationale que Jean Charest gagne 164 951$ par année. Après impôts, il lui reste environ 100 000$ par année. Il bénéficie bien sûr d'un compte de dépense de 14 234$ qu'il ne peut utiliser que dans le cadre de ses fonctions de premier ministre mais qui a tout de même un impact sur les dépenses de la famille, tout comme l'allocation pour l'exécutif de 9 600$ qu'il reçoit aussi d'ailleurs. Malgré tout, nos estimations établissent, pour Jean Charest, un manque à gagner qui ne peut que représenter plusieurs milliers de dollars par année. C'est pour le moins intrigant et cela devrait à tout le moins nous accorder le droit de nous poser de simples questions!
Évidemment, il y a bien des moyens qui demeurent à la disposition de Jean Charest pour joindre les deux bouts. Il a pu, dans le passé, bénéficier d'un héritage ou d'un gain à la loterie. Sa famille pourrait aussi se cotiser pour lui fournir l'argent qu'il lui manque, toute fière qu'elle serait qu'il s'investisse autant dans la défense de l'unité canadienne. Sa femme possède peut-être un pactole qui permet d'éponger le déficit familial. Ou, encore, de judicieux placements faits par Jean Charest à la bourse ou dans des institutions bancaires dans le passé pourraient lui permettre aujourd'hui de se justifier et de clore ce débat qui a cours depuis 10 ans.
Mais parce que Jean Charest refuse de mettre un terme aux supputations de toutes sortes en répondant enfin aux questions, nous ne pouvons évacuer du revers de la main la possibilité qu'il bénéficie toujours en 2006 d'un fonds secret qui aurait pu être de 4 millions$ si l'on en croit les dires du très respecté journaliste Michel David (Le Soleil, 8 avril 2000). Pas moins respectable, Michel Vastel, en 1998, se posait lui aussi des questions quant à la constitution possible, par Paul Gobeil, d'une caisse occulte qui aurait pu servir à Jean Charest à payer son hypothèque ou d'autres dépenses personnelles (Le Soleil, 20 avril 1998). Vastel parlait aussi à la même époque de la possibilité que Marcel Dutil ait contribué à éponger d'anciennes dettes que Jean Charest aurait pu contracter lors de sa campagne à la direction du Parti Progressiste-Conservateur. Et le Globe and Mail, jamais en reste, se questionnait en 1998 afin de savoir comment Jean Charest pouvait payer une maison dans le Glebe, à Ottawa, qui lui coûtait pas moins de 40 000$ par année (hypothèque et taxes).
À partir de tels éléments, on pourrait aussi se demander s'il est possible que le chalet de North Hatley que Jean Charest dit louer normalement (ce qui signifie qu'il paie le gros prix) lui soit dans les faits généreusement prêté ou loué à prix d'ami par Sam Pollock, fidèle collaborateur de la famille Bronfman. Cela, seul Jean Charest le sait.
Il faut aussi savoir que tous les agents immobiliers de l'Estrie que nous avons consultés soutiennent qu'il est à peu près impossible de se trouver une résidence à louer sur le bord du lac Massawippi pour un coût inférieur à 3000$ par mois. On parle ici d'un montant qui avoisine les 36 000$ par année. Considérant que Jean Charest, seulement en remboursements hypothécaires pour sa résidence de Westmount, paie 36 195,12$ par année, l'on est très certainement en droit de s'interroger sur ses capacités de payer. Environ 72 000$ par année pour se loger quand on a des revenus de l'ordre des 100 000$, plus les comptes de dépense, ça nous apparaît énorme.
Le jour où les journalistes et les citoyens ne pourront plus se poser de questions sur les actifs d'un politicien, d'un premier ministre ou des gens avec qui ils font affaire, la démocratie tombera à son plus bas au Québec. Si les libéraux de Paul Martin avaient refusé que de telles questions se posent il y a quelques années de cela, il n'y aurait jamais eu de Commission Gomery. Serait-ce à dire que Paul Martin est plus démocrate que Jean Charest? Tout porte à le croire.
Via ses avocats et la mise en demeure qu'il a fait parvenir au Québécois, Jean Charest dit « respecter la liberté d'expression et le rôle des médias ». Quoi qu'il en dise, l'évidence est qu'il ne ménage aucune énergie pour faire taire ceux qui le questionnent, ce qui est contraire aux principes de liberté d'expression qu'il dit avoir en haute estime. Maintenant, il ne reste plus qu'à espérer que les journalistes et les chroniqueurs du Québec se lèveront en bloc pour dénoncer l'affront qui a été perpétré par Jean Charest contre la liberté de presse. Après tout, le prochain à subir les foudres du censeur de Sherbrooke pourrait être n'importe qui parmi la classe journalistique du Québec.
Affaire des résidences de Jean Charest
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