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Le Québec face à l’ordre pétrolier canadien

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L'urgence de contrer la menace qui pèse sur le Fleuve

La quête effrénée de l’or noir depuis plus d’un siècle a profondément marqué la vie des peuples. Considéré comme une « ressource stratégique » de premier plan, le pétrole a été source de bien des convoitises et a généré maints conflits territoriaux au cours de cette période. Encore aujourd’hui, on peut affirmer qu’il façonne à sa manière une bonne part de la géopolitique de la planète. Face aux tribulations de ce qu’on a appelé les « majors » de l’industrie, les citoyens et les petites collectivités auront la plupart du temps été considérés comme de simples pions. Effectivement, face à un « droit du pétrole », qui s’est graduellement imposé un peu partout, la terre, les fleuves et les rivières, les communautés locales, bref, les milieux de vie intimement reliés à l’histoire des peuples ne pèsent souvent pas très lourd.

La menace qui, soudainement, s’abat sur le Québec, avec l’annonce de pipelines boulimiques, de terminaux d’exportation et la main basse qui est faite sur son réseau de lignes ferroviaires pour désenclaver les réserves de 173 milliards de barils pétrole des sables bitumineux de l’Alberta, est porteuse d’impacts potentiellement très importants sur son devenir.

Il n’y a pas si longtemps, rien n’indiquait que les rives du Saint-Laurent, significativement éloignées des « mégapoles de consommation », pourraient, dans un avenir aussi rapproché, être appelées à devenir un « hub » du pétrole des sables bitumineux. C’était avant que son voisin américain se lance dans l’exploitation du pétrole de schiste, que l’administration Obama rejette le projet Keystone XL, que les Premières Nations de Colombie britannique n’opposent un refus ferme à l’oléoduc Northern Gateway et que la géopolitique pétrolière européenne ne soit modifiée dans la foulée de la crise ukrainienne.

Cette grande corvée de désenclavement par voie de l’est se déploie entièrement par-dessus la tête du Québec qui, prétend-on, à Ottawa n’a absolument rien à dire en matière de transport interprovincial et international. Son territoire est tout simplement requis au nom de la « raison d’État », canadienne et transcanadienne. La « Province » doit donner même si à terme, elle n’aura rien à en retirer, mis à part le plat de lentilles qui lui est proposé et qui ne pourra jamais, absolument jamais, compenser les risques qui sont associés à l’opération.

Une telle situation n’est toutefois pas unique. La Turquie de l’après-guerre, pour prendre l’exemple le plus connu, est devenue bien malgré elle, en quelques années seulement, un immense « hub » international du pétrole. Après plus d’un demi-siècle, ce pays n’en aura cependant pas tiré grand-chose sur le plan économique ; à peine aura-t-elle réussi à négocier de symboliques droits de transit et quelques quotas de pétrole pour ses propres besoins. Une fois l’ère du pétrole terminée, il ne lui restera plus qu’à ramasser les dégâts et à démanteler l’immense quincaillerie abandonnée sur place.

Au cours de la dernière décennie, l’industrie pétrolière canadienne, formée des « majors » Chevron, Husky Energy, Esso, North Atlantic, Nova Chemicals, Parkland Income, Petro-Canada, Shell Canada, Suncor, BP et Total, aura investi pas moins de 160 milliards dans le douteux bitume des sables de l’Alberta. On est allés très loin en matière d’investissements financiers et le gouvernement Harper tout aussi loin, en matière de soutien politique et diplomatique pour faire de cette industrie un « grand succès canadien », et ce, malgré toutes les critiques qui fusent internationalement quant à ses effets sur les plans environnemental et climatique.

Le combat que les citoyens et les ONG québécois ont maintenant amorcé contre l’ordre pétrolier canadien sera à la hauteur de celui de David contre Goliath. Il ne pourra être mené sans mobilisation générale. […]

Comme aux meilleurs temps des batailles contre les projets Rabaska et des gaz de schiste, il faut espérer que sera dressé sur cette autoroute québécoise des huiles, un imposant barrage d’idées, de réflexions et d’actions. Les obstacles techniques majeurs reliés au Saint-Laurent et à ses principaux affluents, les contraintes naturelles, environnementales et humaines reliées aux sites portuaires, de même qu’à la navigation, doivent être dévoilés et expliqués avec une vigueur telle que les mesures de mitigation qui seront imaginées par le promoteur pourront difficilement convaincre.

C’est dans un tel contexte que le poids politique d’une non-acceptabilité sociale pourrait prendre tout son sens politique. Si, face au projet Energy East, le pourcentage de refus déjà exprimé par les citoyens devait se maintenir à plus des deux tiers, en dépit des efforts de vente sous pression, legouvernement libéral serait placé devant un douloureux dilemme. Bien qu’il ne soit pas lié par les recommandations d’un rapport du BAPE, il lui serait assez malvenu politiquement de donner un signal positif et au promoteur et à son indéfectible allié fédéral. L’entreprise TransCanada aura beau refuser de se soumettre à la Loi sur la qualité de l’environnement du Québec et clamer que son projet relève uniquement de la seule compétence fédérale, rien n’y fera, bien au contraire, cela ne pourra qu’attiser le feu de la résistance.


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