L’ARRÊT JORDAN

Le prix des vraies affaires

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Le gouvernement Couillard et le PLQ sont des bénéficiaires indirects de l'arrêt Jordan qui met fin à des procédures dans lesquelles ses comparses étaient impliqués

En juillet dernier, la Cour suprême rendait une décision importante en vertu de la Charte. Invoquant le droit à un procès dans un délai raisonnable, le tribunal statuait que ce laps de temps ne devait pas dépasser 18 mois pour la Cour du Québec et 30 mois pour la Cour supérieure. Résultat : des individus accusés de crimes graves ont été ou sont relâchés sans procès, et ce, même si certains ont reconnu leurs crimes.

Avec raison, le gouvernement Couillard est blâmé pour ne pas avoir consenti assez de ressources au système judiciaire. Il y a notamment un manque de juges et de salles de cour, ce qui allonge indûment le processus. Cette critique passe toutefois sous silence un autre problème que nous révèle l’arrêt Jordan, l’impact néfaste du régime chartiste sur la justice criminelle.

Avant l’enchâssement de la Charte dans la Constitution, il aurait été difficile pour la Cour suprême de libérer des prévenus en invoquant leur droit à un procès dans un certain délai. Les droits ne sont jamais absolus. Il y a toujours une limite, et la question est de savoir qui trace la ligne de ce qui est raisonnable.

Auparavant, les élus exerçaient cette prérogative. Une situation comme celle que nous vivons aurait été tranchée par eux et ils n’auraient certainement pas permis qu’on libère ainsi des accusés.

Incompétence

Les choses ont changé depuis 1982. D’abord, les avocats de la défense ont une panoplie d’outils grâce à la Charte pour défendre leurs clients, ce qui explique d’ailleurs en partie que le processus judiciaire soit plus long.

Le principal changement vient toutefois du fait que ce sont désormais les tribunaux fédéraux qui, dans une panoplie de domaines, décident de ce qui est raisonnable en matière de droits fondamentaux. Ils ont la prérogative d’invalider des lois ou de forcer le gouvernement à agir de telle ou telle manière.

Même s’ils le nient, ce pouvoir très grand a amené les juges sur le terrain politique plutôt que juridique, ce qui pose plusieurs problèmes. Experts en droit, ils n’ont pas l’expertise pour prendre des décisions en matière de gestion de la cité. Les magistrats ne siègent pas au gouvernement, ne possèdent pas toute l’information, n’ont pas une vue d’ensemble des problèmes et ne sont pas nécessairement en phase avec la population.

Voilà qui explique pourquoi les décisions de la Cour suprême en vertu de la Charte ont souvent des conséquences imprévues… et catastrophiques.

Précédent

Prenons l’arrêt Askov. Dans cette décision rendue en 1990, le plus haut tribunal avait annulé la procédure entamée contre un criminel notoire, Élijah Askov, sous prétexte qu’il n’avait pu être jugé dans des délais raisonnables. Juste en Ontario, où Askov sévissait, cette décision a entraîné l’arrêt de 50 000 accusations criminelles.

Parmi les accusés relâchés, on comptait 290 cas d’agressions sexuelles, 3 cas d’homicides involontaires et presque 12 000 cas de conduites avec facultés affaiblies, entre autres. Libéré, Askov lui-même commettra de nouveaux délits peu de temps après et sera condamné à six ans de prison. Fait sans précédent par ailleurs dans cette histoire, un juge de la Cour suprême, Peter Cory, admettra publiquement quelques mois plus tard que de telles conséquences n’avaient jamais été anticipées par le plus haut tribunal.

Un désastre semblable se profile à nouveau. Voilà pourquoi la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, vient d’annoncer 50 millions pour désengorger les tribunaux ainsi que l’ajout de personnel. Mais de son propre aveu, il s’agit d’un gros paquebot et le changement de cap prendra du temps. Dans l’intervalle, des milliers d’accusés pourraient avoir été libérés, ce qui constitue une atteinte inacceptable au droit à la sécurité des citoyens.

Disposition de dérogation

Les pères de notre régime constitutionnel avaient toutefois prévu qu’en certaines circonstances, les tribunaux n’aient pas nécessairement le dernier mot. Ils ont inclus une disposition de dérogation qui permet aux assemblées parlementaires de surseoir aux décisions judiciaires pour cinq ans. Dès l’été dernier, les libéraux auraient dû utiliser cette disposition. Cela leur aurait permis de protéger la population des conséquences désastreuses de l’arrêt Jordan. Le gouvernement aurait aussi eu plus de temps pour remédier au problème au lieu d’agir dans l’urgence et l’improvisation.
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Frédéric Bastien167 articles

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Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal, il est l'auteur de Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle et collabore avec plusieurs médias tels que l'Agence France Presse, L'actualité, Le Devoir et La Presse à titre de journaliste. Depuis 2004, il poursuit aussi des recherches sur le développement des relations internationales de la Ville de Montréal en plus d'être chercheur affilié à la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec.





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