Le Portugal et l’Irlande sont désormais pris au piège d’un surendettement et d’une austérité qui se renforcent mutuellement, en une spirale menant à la dépression, écrit Evans-Pritchard. Pour des pays privés des mécanismes d’ajustement monétaires, les coupes budgétaires amplifient la récession et le besoin de refinancement. La sortie de crise, suggère-t-il à la suite de Simon Johnson, pourrait requérir une renégociation de la dette. En refusant d’envisager cette possibilité, le FMI et l’Union européenne les condamnent à se saigner pour payer leurs créanciers rubis sur l’ongle. Vus ainsi, les fonds de soutiens accordés bénéficieront in fine aux seuls créanciers, absouts de toute responsabilité, protégés contre toute perte, note-t-il. En d’autres termes, on exige de ces nations de se sacrifier pour préserver la rente. --- La thèse de la restructuration (puisque la solution inflationniste semble hors de portée) commence à gagner du terrain. L’article de Martin Wolf signalé en brève ces jours derniers explique fort bien quels sont les différents paramètres du problème. Il préconise la poursuite des déficits publics, mais également une restructuration de la dette privée au détriment des créanciers. Cela paraît inévitable, au vu de la masse de créances fictives (au sens de capital fictif) qui se sont accumulées, et tout spécialement depuis l’emballement financier qui a débuté en 2002. Tant que ce papier surnuméraire n’aura pas été détruit d’une manière ou d’une autre, l’économie réelle restera plombée. Contre Info.
par Ambrose Evans-Pritchard - Par Ambrose Evans-Pritchard, Telegraph, 19 septembre 2010 - Le Portugal s’est rapproché de la ligne fatidique vendredi, lorsque le quotidien Diario de Noticias a rapporté les propos de trois anciens ministres des Finances avertissant que le pays devrait faire appel au Fonds monétaire international (FMI).
L’un d’entre eux a parlé d’une « imprudente dépendance à la dette extérieure », et un autre d’une « dérive des dépenses publiques ». Peu importe que tous aient été impliqués dans le processus d’adhésion du Portugal à l’euro, un choix politique qui a préparé cette crise et qui enferme aujourd’hui le Portugal dans le piège de la dépression.
Le Portugal avait un solde créditeur net vis-à-vis de l’étranger au milieu des années 1990. L’Union Monétaire en a fait un débiteur net, à hauteur de 109 % du PIB. Voila ce qui advient lorsqu’on réduit subitement les taux d’intérêt de 16 % à 3 %.
Quoi qu’il en soit, ces déclarations ont touché une corde sensible. Les rendements sur la dette portugaise à 10 ans ont bondi à 6,15 %, retrouvant le niveau atteint durant la crise du mois de mai, lorsque l’UE fit face à son « moment Lehman-Brother » et a lancé un plan de sauvetage de 750 milliards d’euros.
António de Sousa, le patron du syndicat des banques portugaises, a déclaré que ses membres sont dans une situation désespérée. Les banques ne peuvent lever de fonds à l’étranger, demeurent « extrêmement fragiles », et n’auront « tout simplement » plus rien à prêter tant que les capitaux étrangers ne seront pas de retour.
Les banques portugaises ne peuvent survivre en comptant sur l’épargne locale. Elles dépendent des financements étrangers à hauteur de 40 % de leurs actifs, selon les chiffres du FMI. C’est la raison pour laquelle une réunion d’urgence a eu lieu vendredi entre le gouverneur de la banque centrale et le président Cavaco Silva. Le gouverneur a déclaré que les flux de financement de l’étranger en direction du Portugal étaient en train de se tarir. Les marchés n’acceptent plus le rythme trop lent des mesures d’austérité budgétaire au Portugal.
Quelques heures plus tard, les dirigeants portugais se sont accordés sur le principe d’un durcissement du nouveau budget 2011, abandonnant l’espoir qu’ils pourraient à la fois éviter des coupes budgétaires et réduire le déficit de 9,3 % du PIB en 2009 à 7,3 %. La première victime pourrait être le train à grande vitesse vers Madrid.
Que peut on attendre de cette austérité budgétaire ? Le total de la dette publique et privée combinée équivaut à 325 % du PIB, contre 247 % pour la Grèce, de sorte que le pays risque déjà d’être entraîné dans une spirale de surendettement. Lisbonne a supprimé des emplois publics depuis plusieurs années. Cela a certainement entravé la croissance, mais pas résolu le problème. La productivité du pays reste bloquée à 64 % de la moyenne de l’UE.
La vérité dérangeante, c’est que le Portugal a perdu une grande partie de sa compétitivité depuis son adhésion à l’Union monétaire, et n’a jamais été en mesure de la retrouver. La « convergence » n’a pas eu lieu.
L’Irlande illustre ce qui arrive lorsqu’on recourt à la purge budgétaire, en réduisant les salaires du secteur public de 13 % - sous les applaudissements de l’élite de l’UE - sans qu’elle soit compensée par une relance des exportations et la politique monétaire. Les obligations irlandaises ont grimpé encore plus haut, à 6, 38 %, un record depuis l’entrée dans la zone Euro.
Cet envol des taux a été déclenché par la publication de deux notes de conjoncture publiées par les banques : La Barclays prévoit que l’Irlande aura peut-être besoin de l’aide du FMI et Willem Buiter, de la Citigroup, estime que l’Irlande « pourrait ne pas être en mesure d’honorer » en même temps les créanciers de la dette souveraine et les créanciers des banques. Le Dr Buiter a également déclaré qu’un défaut de paiement de la Grèce est « un événement de forte probabilité ».
Deux ans après sa purge, l’Irlande enregistre un déficit budgétaire atteignant près de 20 % du PIB. Mais ce chiffre est réduit à 12 % si l’on exclut le sauvetage des banques. La raison pour laquelle le volume de créances douteuses de la banque Anglo Irish continue à augmenter, c’est que l’économie continue de s’enfoncer. Les prix des logements ont chuté 35 %. Le PIB nominal s’est contracté de 19 %.
« La dette de l’Irlande monte comme une montgolfière sans pilote, alors que sa capacité à payer s’est effondrée », avertit Simon Johnson, ex-économiste en chef au FMI. Il estime que le pays a signé un pacte faustien avec l’Union Européenne, l’autorisant à emprunter jusqu’à hauteur de 75 % du PIB auprès de la BCE, tant que les contribuables irlandais serviront de bouclier pour les créanciers européens.
Quoi qu’il en soit, le FMI lui-même est devenu un problème, en agissant comme le bras armé de l’idéologie de l’UE sous la conduite de Dominique Strauss-Kahn. Il n’offre pas de recours car il acquiesce à l’interdiction de l’UE de restructurer la dette.
En Grèce, il soutient une politique qui laissera le pays chargé d’une dette publique atteignant 150 % du PIB au sortir de l’épreuve - permettant ainsi aux créanciers français et allemands de transférer une grande partie du risque vers les contribuables d’Asie via le FMI, et vers les contribuables de l’UE grâce au système de soutien de la zone euro .
M. Strauss-Kahn a engagé à hauteur de 250 milliards d’euros les fonds du FMI pour « sauver » l’Union Européenne, sans l’approbation préalable du Conseil du FMI, provoquant la fureur de ses membres asiatiques. Il a promu la doctrine spécieuse qui affirme que les défauts sur la dette souveraine sont « inutiles, indésirables, et peu probables ».
Disons-le clairement : le Fonds Monétaire International est devenu le promoteur d’une politique incohérente et de l’aléa moral. En août, il a aboli son plafond de crédit et a créé un nouvel outil pour précipiter dans de nouvelles dettes les États qui ont autant besoin que de se tirer une balle dans le pied.
Simon Johnson indique que la solution, pour les parents pauvres de l’Union monétaire, serait un mécanisme de réduction de la dette semblable à celui des « obligations Brady », mis en œuvre en Amérique latine dans les années 1980, qui obligeait les créanciers à partager les difficultés des débiteurs, comme c’était le cas par le passé, et donnait aux débiteurs un moyen de sortir du bourbier.
Pour être juste envers les responsables européens, il faut cependant reconnaitre que le problème auquel ils font face est peut-être tellement énorme que, s’ils laissaient la Grèce, le Portugal et l’Irlande restructurer leur dette, ils risqueraient une contagion instantanée à l’Espagne, et de là à l’Italie. Peut-être n’ont-ils pas vraiment le choix. Si c’est le cas, l’union monétaire a créé un monstre.
Publication originale Telegraph, traduction communiquée par G.C.
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