Le portrait linguistique du colonisé.

Tribune libre

En maraudant sur la Toile, je suis tombé sur une liste de citations tirées du Portrait du colonisé d'Albert Memmi. Je vous la soumets telle quelle. En observant autour de vous, vous n'aurez aucun mal à reconnaître nombre de nos concitoyens ou, en tout cas, nombre de leurs comportements; même notre gouvernement Harper se mêle de jouer au colonisateur d'opérette.

«Le colonisé n'est sauvé de l'analphabétisme que pour tomber dans le dualisme linguistique. »
«Toute la bureaucratie, toute la magistrature, toute la technicité n'entend et n'utilise que la langue du colonisateur, comme les bornes kilométriques, les panneaux de gare, les plaques de rue et les quittances. Muni de sa seule langue, le colonisé est un étranger dans son propre pays. »
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« Dans le contexte colonial, le bilinguisme est nécessaire. Il est la condition de toute communication, de toute culture et de tout progrès. »
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« Le colonisateur cherche-t-il un emploi ? Lui faut-il passer un concours ? Des places, des postes lui seront réservés d'avance ; les épreuves se passeront dans sa langue, occasionnant des difficultés éliminatoires au colonisé. Le colonisé est-il donc si aveugle ou aveuglé, qu'il ne puisse jamais voir qu'à conditions objectives égales, classe économique, mérite égaux, il est toujours désavantagé ? »
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« La possession de deux langues n'est pas seulement celle de deux outils, c'est la participation à deux royaumes psychiques et culturels. La langue maternelle du colonisé, celle qui est nourrie de ses sensations, ses passions et ses rêves, celle dans laquelle se libèrent sa tendresse et ses étonnements, celle enfin qui recèle la plus grande charge affective, celle-là précisément est la moins valorisée. Elle n'a aucune dignité dans le pays ou dans le concert des peuples. S'il veut obtenir un métier, construire sa place, exister dans la cité et dans le monde, il doit d'abord se plier à la langues des autres, celle des colonisateurs, ses maîtres. Dans le conflit linguistique qui habite le colonisé, sa langue maternelle est l'humiliée, l'écrasée. Et ce mépris, objectivement fondé, il finit par le faire sien. De lui même, il se met à écarter cette langue infirme, à la cacher aux yeux des étrangers, à ne paraître à l'aise que dans la langue du colonisateur. En bref, le bilinguisme colonial n'est ni une diglossie, où coexistent un idiome populaire et une langue de puriste, appartenant tous les deux au même univers affectif, ni une simple richesse polyglotte, qui bénéficie d'un clavier supplémentaire mais relativement neutre. Si le bilingue colonial a l'avantage de connaître deux langues, il n'en maîtrise totalement aucune. »
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« Supposons qu'il ait appris à manier sa langue, jusqu'à la recréer en ouvres écrites, qu'il ait vaincu son refus profond de s'en servir ; pour qui écrirait-il, pour quel public ? S'il s'obstine à écrire dans sa langue, il se condamne à parler devant un auditoire de sourds. Une seule issue lui reste qu'on présente comme naturelle : qu'il écrive dans la langue du colonisateur... »
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« Le colonisé ne connaissait plus sa langue que sous la forme d'un parler indigent... Revenant à un destin autonome et séparé, il retourne aussitôt à sa propre langue. On lui fait remarquer ironiquement que son vocabulaire est limité, sa syntaxe abâtardie, qu'il serait risible d'y entendre un cours de mathématiques supérieures ou de philosophie. Même le colonisateur de gauche s'étonne de cette impatience, de cet inutile défi, finalement plus coûteux au colonisé qu'au colonisateur. Pourquoi ne pas continuer à utiliser les langues occidentales pour décrire les moteurs ou enseigner l'abstrait ? »


Je croyais que l'adoption de la loi 101 et sa mise en vigueur, même mutilée, allait régler la question et faire prendre conscience aux Québécois de la valeur et de l'importance de leur langue, leur redonner leur fierté et leur inculquer la notion de leurs intérêts véritables. Je me trompais. Il y a encore beaucoup de chemin à faire. L'esprit de colonisé est plus tenace qu'on pense : il se transmet d'une génération à l'autre comme une tare héréditaire.
Pour se consoler, on peut toujours se dire que les Européens sont dans la même situation, eux qui après 1945 se sont soumis plus ou moins volontairement à l'influence culturelle de leurs libérateurs. Ils en paient peut-être actuellement le prix. Quant à nous, il faudra bien un jour accepter de prendre en main nos propres affaires et cesser de nous laisser mener par les autres. La situation instable actuelle du Canada caractérisée par la domination de l'Ouest sur l'Ontario et sur le reste du pays, avec un parti au pouvoir décidé à démanteler l'État canadian et à ne garder que ce qui sert les milieux économiques et les mieux nantis sera peut-être l'occasion de se libérer du joug.
Mais ce n'est pas tout. Même dans un pays indépendant il faut rester vigilant. La France, ancienne puissance colonisatrice en est un exemple patent. La position du PQ sur la question de l'enseignement de l'anglais est très douteuse et n'est pas plus acceptable que ce celle du PLQ. Il ne faut pas tomber dans le piège de faire de tous les Québécoise de parfait bilingues. Il faut considérer que la langue française est notre langue et encourager l'apprentissage du plus grand nombre de langues étrangères possible pour pouvoir le plus possible entrer en communication directement avec les membres des autres peuples. Le monde est en train de redevenir multipolaire. L'enfermement dans une seule langue, qui n'a jamais été souhaitable, ne sera plus possible.
Pour conclure je vous propose un résumé du Portrait du colonisé tiré du site anticolonial.net.

«Portrait du colonisé
Le colonisé apparaît d’abord aux yeux du colonisateur par un « portrait mythique », où tous les traits sont avantageux pour le colonisateur et répondent à ses « exigences économiques et affectives ». Accusé de tous les maux et finalement déshumanisé, le colonisé est constamment confronté à cette image de lui-même, et ce portrait finit dans une certaine mesure par être accepté et vécu par lui. Ce discours du mépris absolu, assorti de répressions sanglantes des soulèvements, « contribue au portrait réel du colonisé », par un mécanisme de mystification, qui explique la relative stabilité des sociétés en colonie pendant de longues années : « le colonisé est obligé, pour vivre, de s’accepter comme colonisé ».
« La colonisation carence le colonisé », et la plus grave de ces carences est celle qui le place « hors de l’histoire et hors de la cité », et qui fait que « le colonisé hésite (...) avant de reprendre son destin entre ses mains ». Le colonisé vit ainsi hors du temps : privé d’une grande partie de son passé (sauf de certains éléments « rétrogrades » favorisés par le colonisateur pour éviter toute mise en cause de la colonisation : religion, famille), son présent est amputé et il ne peut se projeter ni construire un avenir.
Pourtant, « il y a, dans tout colonisé, une exigence fondamentale de changement », un refus qui découle de la nature même de la situation coloniale. Pour cela, deux issues s’offrent à lui : il tente « soit de devenir autre, soit de reconquérir toutes ses dimensions, dont l’a amputé la colonisation ». La première solution est illusoire : le colonisateur refuse l’assimilation du colonisé, et « assimilation et colonisation sont contradictoires ». Dès lors, « cet éternel refus que la colonisation lui oppose, il en fera le refus absolu de la colonisation » (Jean-Paul Sartre, préface), car « sa condition est absolue et réclame une solution absolue, une rupture et non un compromis » : « la condition coloniale ne peut être aménagée ; tel un carcan, elle ne peut qu’être brisée. »
Mais même dans la révolte, la situation coloniale est toujours patente. Le colonisé se bat au nom des valeurs mêmes du colonisateur, utilise ses techniques de pensée et ses méthodes de combat, pour le refuser et le rejeter absolument. De même, dans la forte affirmation de soi du colonisé en révolte, ce dernier continue à se servir de la « mystification colonisatrice » : le colonisé en révolte commence par s’accepter et se vouloir comme négativité, et glorifie cette négativité (religion, langue, etc.) qui devient « parfaite positivité » : il crée ainsi une véritable « contre-mythologie », ayant pour repère la mythologie coloniale. Ainsi, « l’homme produit et victime de la colonisation n’arrive presque jamais à coïncider avec lui-même », et sa « guérison » n’est possible qu’avec la disparition complète de la colonisation, « période de révolte comprise ».


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2012

    @ Louis Méthé
    Très beau texte qui nous envoie en plein visage la cause de tous nos malheurs d'être colonisé. Le colonialisme nous paralyse, en plus; est-ce normal qu'un peuple vote pour le parti politique de ses colonisateurs (fédéralisme "canadian") pour se faire dénigrer, voler et se laisser déposséder de sa langue et de sa culture pendant 9 années? Et que penser de l' obsession de ce peuple à vouloir continuer de demeurer dans ce système fédéraliste "canadian" dans lequel il sera toujours minoritaire et soumis à un bilinguisme assimilateur, semeur de confusion identitaire et menant à une aliénation collective qu'on appelle la schizoprénie.
    Nous ne pensons pas par nous-mêmes, nous sommes pensés par nos colonisateurs. Pas surprenant que notre classe politique se soit identifiée à ce modèle pour nous diriger et faire carrière dans ce système opprimant pour le peuple québécois. Pour nous en sortir, il n'y a qu'une solution et c'est l'indépendance du Québec où nous retrouverons, par le fait même, notre UNICITÉ QUÉBÉCOISE, NOTRE VRAIE IDENTITÉ NATIONALE en tant que peuple libéré.
    André Gignac 2/4/12