L’idée d’implanter un port pétrolier à Cacouna suscite des inquiétudes de plus en plus vives sur les deux rives du Saint-Laurent. Des élus tirent d’ailleurs la sonnette d’alarme et font valoir que le projet de TransCanada poserait de sérieux risques pour des pans entiers de l’économie régionale, fortement dépendante du tourisme.
« Nous ne sommes pas du tout contre l’économie, affirme au Devoir Sylvain Tremblay, maire de Saint-Siméon et préfet de la MRC de Charlevoix Est. Au contraire, nous avons l’habitude dans les régions de nous battre pour développer notre économie. Mais il faut aussi être logiques. Pourquoi veut-on implanter ce port en plein milieu d’une région où on retrouve un parc marin et un produit touristique aussi stratégique que les baleines ? »
80 millions
« J’ai de sérieuses craintes pour notre économie », ajoute-t-il. Le maire redoute particulièrement un déversement qui surviendrait lors de l’exploitation du port. Les pétroliers qui viendront se charger de brut pourraient transporter jusqu’à un million de barils d’or noir tiré des sables bitumineux. « Il suffit d’un seul incident malheureux, il suffit d’avoir une flaque de pétrole de trois pieds sur trois pieds pour perdre la notoriété internationale que nous avons développée autour des croisières. Cette image de marque, ce fonds de commerce, ce sont 80 millions de dollars de retombées économiques annuellement dans la région. »
Pour M. Tremblay, il ne fait aucun doute que toute tache au dossier du Québec serait très difficile à effacer. « Nous avons déjà de la difficulté à défendre notre place parce que nous n’avons pas tous les outils nécessaires pour la promotion à l’échelle internationale. » Selon lui, peu de régions au Québec parviennent donc à tirer leur épingle du jeu dans le marché mondial très concurrentiel du tourisme. « Et on voudrait risquer de scrapper ça pour servir de point de passage à du pétrole de l’Ouest ? »
Saint-Siméon vient d’ailleurs d’adopter une résolution qui sera soumise à la Fédération québécoise des municipalités. Elle y manifeste très clairement ses inquiétudes par rapport au projet de la pétrolière albertaine. Le texte souligne notamment que l’industrie liée aux croisières sur le Saint-Laurent attire chaque année pas moins de 400 000 touristes dans les régions de Charlevoix, de la Côte-Nord et du Bas-Saint-Laurent. Elle fait également valoir que ce pilier économique est vital, contrairement aux 200 emplois promis pour l’exploitation d’un port pétrolier d’exportation à Cacouna.
Inquiétudes à Tadoussac
Cette résolution rejoint les préoccupations du maire de Tadoussac, Hugues Tremblay. « Ce projet de port nous inquiète énormément, explique-t-il. Les baleines, c’est notre image de marque, c’est une question de survie pour Tadoussac. » Selon les données de la municipalité, entre 30 000 et 40 000 touristes visitent Tadoussac chaque année pendant la période estivale. Le centre d’intérêt est le Saint-Laurent et ses cétacés.
« Mais les mammifères marins sont fragiles, on le voit bien avec les bélugas »,poursuit M. Tremblay. Il ne croit pas aux discours rassurants de l’industrie pétrolière, qui écarte pour ainsi dire toute possibilité de déversement accidentel. « Ils nous disent toujours que c’est sécuritaire. Dans le golfe du Mexique, ils disaient exactement ça. Même chose au Japon, avec les centrales nucléaires. »
Le maire de Tadoussac demande donc au gouvernement de Philippe Couillard de « prendre position » dans ce dossier en tenant compte de l’économie des régions. Son confrère de Saint-Siméon juge que Québec oublie systématiquement les petites municipalités dans l’évaluation de ce genre de dossier. « Nous nous faisons toujours imposer des projets par des ordres de gouvernement supérieurs sans aucune forme de consultation. C’est insultant », lance Sylvain Tremblay.
La préfète de la Haute-Côte-Nord, Micheline Anctil, a elle aussi exprimé ses inquiétudes la semaine dernière. « Il est primordial de préserver nos paysages naturels et toute l’industrie qui s’y rattache », a-t-elle également fait valoir.
Du côté de la rive sud, les délégués du Bloc québécois ont adopté la semaine dernière une résolution d’opposition au projet de TransCanada. « C’est un projet qui n’a pas de sens dans une optique de développement durable et qui ne concorde pas avec les valeurs des Québécois », fait valoir Jean-François Fortin, député de Haute-Gaspésie–La Mitis–Matane–Matapédia depuis 2011.
Chez Croisières AML, la plus importante entreprise québécoise dans le secteur, on dit suivre le dossier de près. L’entreprise est « préoccupée par ce développement », souligne la porte-parole Mélika Robert. Les bateaux d’AML accueillent 175 000 passagers chaque année uniquement pour les croisières d’observation de baleines.
D’autres intervenants des milieux politique et économique contactés par Le Devoir ont manifesté leurs inquiétudes, tout en refusant de parler publiquement.
Déversement catastrophique
Les déversements pétroliers de grande ampleur sont certes des événements rares, mais leurs conséquences peuvent être désastreuses, fait valoir le spécialiste en écotoxicologie marine Émilien Pelletier.
Selon lui, il ne fait aucun doute qu’un accident qui surviendrait par exemple dans le secteur de Cacouna aurait des conséquences désastreuses pour le Saint-Laurent. « Les navires qui viendront au port peuvent transporter des volumes de pétrole très importants. On parle de 80 000 à 200 000 tonnes de brut. À titre de comparaison, l’Exxon Valdez a déversé 40 000 tonnes de pétrole lorsqu’il s’est échoué en Alaska en 1989. »
M. Pelletier évalue qu’un déversement risquerait de souiller une bonne partie de la rive sud, de Cacouna à Gaspé. « Nous n’avons pas ce qu’il faut pour nettoyer une marée noire au Québec. Et si le déversement se produisait en hiver, ce serait pire. Il n’existe aucun moyen efficace de ramasser du brut en présence de glace. »
Il existe en outre plusieurs sites désignés comme des zones naturelles importantes dans la région, fait valoir Émilien Pelletier. Le Devoir a recensé une douzaine de ces zones. Même le gouvernement fédéral étudie la possibilité de créer une énorme zone de protection marine qui irait de Baie-Saint-Paul jusqu’à l’est de Rimouski, en englobant le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.
Cette zone inclurait l’île Verte, située à une dizaine de kilomètres à l’est du site du port pétrolier de TransCanada. Si la municipalité de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs n’a pas encore pris position, le projet inquiète déjà plusieurs propriétaires de maisons, dont le réalisateur Hugo Latulippe.
« Avec ce projet, on devient l’instrument du grand projet pétrolier canadien de Stephen Harper, estime-t-il. Je ne pense pas, d’un point de vue économique, qu’on gagne quoi que ce soit. Nous ne serons que le point de transit du pétrole. En fait, ce projet est à contresens de la logique de notre époque. Il faut se battre contre cette industrie anachronique. Sinon, dans 100 ans, les gens vont se dire qu’on avait perdu la tête. »
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