En choisissant pour titre de son livre «Égalité ou indépendance», Daniel Johnson avait fort bien vu. À cinquante ans de distance la formule n'a rien perdu de son actualité. Malheureusement son approche confiante, qui interpellait le Canada posément pour lui rappeler que nous sommes du bon coté du droit et de la justice, un rappel que déteste le Canada, n'aura pas connu d'échos durables. Le Canada, qui n'en manque pas une pour se draper de sa fatigante supériorité morale, n'aime pas qu'on lui renvoie ses crimes en pleine gueule. C'est pourtant ce que fit Johnson avec sa formule lapidaire.
Le Canada ne pouvait apprécier qu'on le mette au défi d'assurer l'égalité des peuples, elle était pourtant promise. Elle l'était dès les premières délibérations constitutionnelles de 1864, entre les fondateurs d'origine, les « descendants des vaincus »(1); et les occupants venus ensuite, les deuxièmes «fondateurs», qualifiés souvent d'usurpateurs, qui se superposèrent aux premiers.
Si le deuxième Canada, parangon de vertu aux tribunes internationales, n'aime pas qu'on le fasse suer, cela tombe fort bien puisqu'il semble que les rapports de domination sont très difficiles à décoder chez les colonisés. Comme on dit chez Réseau contact, on a un « match parfait » ! Pendant que la politique autonomiste québécoise ne cesse de nous alimenter par de nouvelles illustrations de son caractère inoffensif, l'agresseur fédéral grignote petit à petit le patrimoine d'un Québec déplumé qui semble «Jouer avec le fantasme». Mais en solitaire. Et pire, pour lui la règle de la tolérance zéro ne s'applique pas. Si bien que l'exposition des rapports de domination, notamment dans les élections provinciales et ailleurs dans le débat public, est devenue un cas de conscience insurmontable qu'il vaut mieux laissé aux ténèbres du placard. Pas sortable !
Faut-il se surprendre que, vue la pudeur ma chère, mis à part Johnson, et quelques figures d'exception dans la bourgade,(2) le dévoilement de cette relation dans toute sa splendeur inégalitaire n'a jamais fait école ? Mettre le Canada au pied du mur, le pousser à la défensive, l'obliger à réagir en l'amenant sur notre terrain, indisposer le colosse aux pieds d'argile n'a jamais été le fort des premiers ministres qui suivirent Johnson. Y compris ceux de son propre parti, et pas davantage à ce jour du coté d'Option nationale et du Parti québécois. Me faut-il rajouter Québec solidaire ?
La formule heureuse de Johnson était une application de la règle qui veut que la meilleure défense c'est l'attaque. On a vécu tout le contraire. Le slogan du référendum de 1995, «Oui, et ça devient possible» est désarmant de naïveté. Mais ce slogan préparait bien le catastrophisme de la défaite par son inversion prévisible : Non, et ça devient impossible. Les maîtres du jeu ne le veulent pas. (3)
Et si on se donne la peine de poursuivre avec les slogans électoraux du Parti québécois au fil des ans, il serait difficile pour un observateur étranger parachuté au Québec de s'imaginer que «nous sommes en guerre», pour paraphraser un représentant de la garde zouave du camp fédéral, le très honorable Charles «Chuck» Guité.
Voici donc la liste des misérables saillies d'« indépendantistes » qui refusent de s'assumer, ne serait-ce qu'avec subtilité. Bannières et placards qui ne feraient pas de mal à une mouche. C'est comme si elles avaient été formulées pour être justement inoffensives. Comme le colonisé qui aime sa condition d'infériorité, qui refuse d'assumer son passé néo-français si glorieux et se voit désormais trop petit. C'était donc cela le Parti québécois.
Liste partielle des slogans électoraux du Parti québécois
2014
Plus prospère, plus fort, plus indépendant, plus accueillant
2012
À nous de choisir
1998
J'ai confiance
1994
Une autre façon de gouverner
1981
Faut rester forts au Québec
1976
On a besoin d'un vrai gouvernement (On mérite mieux que ça)
À lire ces slogans, qui pourrait croire qu'un conflit national larvé et occasionnellement ouvert, voire les armes à la main, traverse ce territoire ? Personne ! Une vérité de l'oppression nationale bien maquillée par les agences publicitaires auxquelles notre PQ a donné le mandat de «gagner les élections». Mais ce ne sont pas les agences qui sont responsables de l'indigence, de l'absence de hauteur, n'est-ce-pas ? C'est le patron péquiste derrière qui y a vu.
Et pour ceux qui penseraient qu'Option nationale se démarque du PQ :
Liste des slogans électoraux d'Option nationale
2012
ON peut mieux pour le Québec
2014
Oui ou non, entreprendrez-vous un référendum dans le prochain mandat pour un Québec indépendant?
Quelles niaiseries pusillanimes pour un parti tout juste créé et qui n'avait rien à perdre ! Mais il est vrai qu'il sortait des couches du Parti québécois, faut-il le rappeler ?
Aparté. Pour André Racicot qui écrit sans complaisance : Option nationale « nous sert une désopilante fricassée linguistique, sous forme de question à Mme Marois. Cette question du chef Sol Zanetti est renversante sur le plan linguistique. Elle montre que le français au Québec, avec des amis pareils, n’a vraiment pas besoin d’ennemi.
En français : Organiserez-vous un référendum sur l’indépendance du Québec au cours du prochain mandat? »
http://andreracicot.ca/les-slogans-electoraux/
Mais ne chipotons pas sur la qualité du français d'Option nationale. Allons tout de suite à l'essentiel. Rien ne distingue ON du PQ dans leurs efforts pour maquiller le conflit national qui divise les «descendants des vaincus» et les maîtres du jeu depuis 150 ans. Également sibyllins, ils se gardent bien d'interpeler les gardiens de la prison. Aucun des slogans présentés aux Québécois par le PQ ou ON, tous les deux péquistes sur le fond, ne peut rivaliser avec l'éclairante et simple vérité, celle de feu Daniel Johnson qui titrait : Égalité ou indépendance. Pour les PQ-ON-QS, le fédéralisme est non réformable, par conséquent il est inutile de lutter contre lui, il suffit de passer directement à l'indépendance. Mon œil !
Que font-ils ? Que font ces autonomistes déprimés ou épuisés ? Au lieu de dévoiler les rapports de domination dans leur nudité, le fédéralisme étant un château fort qu'on ne saurait attaquer, ils se divertissent à la pédagogie du «on est capable» et du «c'est viable». Ils oublient que la leçon de la petite école n'a pas été apprise, mais ils se lancent néanmoins dans une mission pédagogique.
À l'heure des bilans. Le projet de modifier le statut constitutionnel du Québec n'a jamais été qu'une suite de levées de rideaux sur une comédie burlesque peuplée de prestidigitateurs qui s'affairent à éviter une rude lutte politique en accusant le peuple de ne pas les suivre. Un jugement qui est d'ailleurs totalement erroné. Ce sont les chefs qui ont lâché le morceau. Quatre fois en cinquante ans, il faut le savoir ! La paix des tombes de nos missionnaires du passé ne peut être que troublée à la vue de l'élite démissionnaire d'aujourd'hui. Les plus visibles porte paroles de l'indépendance dénationalisée pérorent sur la pédagogie des soins de fin de vie pratiquée par le PQ. Une pédagogie circulaire qui ne renvoie qu'à nous-mêmes, confinée à la bourgade, tel le mythe de Sisyphe, une quête perpétuelle d'indépendance qui nous accompagne au trépas sans possibilité de libération.
__________________________
1. Les «descendants des vaincus», expression employée souvent par le principal artisan et père fondateur de la Confédération, George Brown, pour décrire l'identité de ceux avec qui il négociait l'accord constitutionnel signé en 1967. Dans les termes des constituants, les promesses faites et les accords passés le furent avec les «descendants des vaincus». Or, les «descendants des vaincus», entité constitutionnelle - pas Québécois ni Canadiens français - ont voté majoritairement en faveur du référendum de 1995.
2. Pour exemple positif et rare de résistance. Le réseau de résistance des Québécois et le Bloc québécois eurent ici gain de cause : http://www.ledevoir.com/politique/canada/231445/le-bloc-demande-d-annuler-la-reconstitution-de-la-bataille-des-plaines-d-abraham
3. «Au PQ, on ne s'était pas cassé la tête pour concevoir le nationalisme du vingt et unième siècle. On ne s'était pas non plus donné la peine de traduire la défaite de 1995 comme le résultat d'une agression fédérale pure et simple et la défection de Parizeau, comme la basse désertion d'un membre de sa bourgeoisie entrelardée. Sortie de scène d'autant moins perceptible qu'elle était accomplie par un homme dont la sincérité et les efforts ne sauraient être remis en doute, mais d'autant plus catastrophique qu'elle interdit justement la conception d'un après 1995 autrement que sous les formes spectrales de Lisée et consorts. Alors qu'il détenait le pouvoir, le PQ a toujours préféré vénérer la moralité vide à l'intérieur du fédéralisme plutôt que de mettre à mal l'ordre constitutionnel unitaire.»
(NAÎTRE COLONISÉ EN AMÉRIQUE, Christian Saint-Germain, 2017, pp 83-84)
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4 commentaires
André Gignac Répondre
5 décembre 2017@ Pierre Bouchard
J'ai lu et relu votre excellent commentaire et comme vous avez raison! Votre dernier paragraphe est la constatation exacte sur l'état de colonisation de nos dirigeants politiques québécois; pas surprenant que la cause de l'indépendance n'avance pas. Puis-je rajouter ceci? Nos dirigeants politiques de tous les partis confondus à l'Assemblée Nationale ont la frousse d'être traités de racistes s'ils osent dénoncer cette immigration démesurée, assimilante, ce multiculturalisme colonial de Trudeau pendant que la nation québécoise se meurt à petit feu, quelle lâcheté!
Peut-être allez-vous trouver la comparaison boîteuse mais voici: un animal lorsqu'il est attaqué va se défendre et lorsque qu'une race animale est menacée d'extinction, tous les animaux de cette espèce vont se regrouper par instinct de survie. Nous, Québécois, sommes rendus à ce stade; nous nous mettons tous ensemble pour nous en sortir ou nous disparaissons!
INDÉPENDANCE OU ASSIMILATION!
André Gignac 5/12/17
Pierre Bouchard Répondre
4 décembre 2017Avec cette propension à ne pas affronter le Canada, cette lâcheté, le PQ (et plusieurs commentateurs souverainistes) a conforté les Québécois dans l’idée que le Canada n’est pas un ennemi, que nous n’agissons pas contre lui. C’est contraire à la réalité et le PQ est coupable de cela.
Nous subissons les agressions en continu et à peu près personne ne les dénonce ; dans un électoralisme crasse on se concentre sur l’adversaire politique provincial. Comment voulez-vous convaincre les gens de se battre pour leur survie si vous cachez continuellement l’ennemi ?
Les citoyens voient les agressions mais voient aussi que personne ne les affronte sérieusement. Les citoyens finissent par comprendre, au fil des décennies, que le Canada est omnipotent, qu’il détermine notre condition et qu’il n’y a pas de mal à ça. Nous sommes toujours très colonisés.
Avec le temps, le citoyen politique québécois est devenu confus : il y a des situations sans solution, les agressions fédérales, elles sont provoquées par la fatalité et nous n’y pouvons rien. Notre aire de jeu est la province.
Le cœur de notre problème est la décolonisation des esprits dans la population mais surtout chez nos élites indépendantistes. On ne peut plus continuer avec ce PQ. Dans 10 ans serons-nous encore plus colonisés, ou un peu moins ? Ça déterminera l’évolution de la mouvance nationaliste canadienne française.
André Gignac Répondre
4 décembre 2017Monsieur Verrier
Un de vos meilleurs textes! Les seuls chefs vraiment québécois, indépendantistes qui passaient à l'offensive et qui n'avaient pas peur de mettre le gouvernement fédéral sur la défensive en dénonçant les politiques antiquébécoises d'Ottawa, furent Daniel Johnson et Pierre Bourgault. C'était la meilleure statégie pour politiser les Québécois à la cause de l'indépendance. C'est désespérant de voir agir aujourd'hui le chef (?) péquiste pelleter l'indépendance en 2022 lorsque, aujourd'hui, les arguments pour réaliser le pays sont tellement plus flagrants et conscients dans le quotidien québécois, ça saute tellement aux yeux!
Pensez à cette immigration massive (au-dessus d'un million d'immigrants entrés au Québec et mal intégrés en plus depuis le référendum de 1995), immigration combinée avec le multiculturalisme "canadian" pour diluer notre cohésion collective et pour nous empêcher de réaliser l'indépendance du Québec. Et la mondialisation de Soros pour évacuer et niveler les souverainetés nationales au profit des multinationales. Ce ne sont pas les arguments qui manquent pour réaliser l'indépendance en 2018 mais que voulez-vous, nos politiciens au Québec n'en ont que pour ce minable provincialisme sécurisant qui leur permet de faire carrière aux frais de sa majesté sans aucune vision d'avenir pour leur peuple qui les fait vivre en plus. J'arrête là, je serais trop bav...! Manque de volonté politique tout simplement!
À BAS NOTRE DÉPENDANCE AU FÉDÉRALISME "CANADIAN!"
VIVE L'INDÉPENDANCE DU QUÉBEC!
André Gignac 4/12/17
Yves Corbeil Répondre
2 décembre 2017Non mais sérieusement pourquoi voudrait-on encore se séparer en 2017. Nous avons le summum comme premier ministre canadian, la planète entière l'adore. Alors comment pourrions-nous expliquer au reste du monde que nous on ne l'aime pas ce grand acteur canadian pour qui même Hollywood était trop petit pour exposer son grand talent, il lui fallait une tribune mondiale et cette tribune, il l'a trouvé au sein du très grand Liberal Party of Canada, ce très grand commanditaire de plus meilleur pays au MONDE.
C'est ici dans une mise en scène incroyable que notre vedette national a pris l'envol qui le conduira quelque années plus tard, sur la grande scène qu'il a fait sienne ces dernières deux années. Je me demande quel Nobel, la planète lui réservera-t-elle.
Admirer le personnage dans son meilleur rôle avant d'exploser sur la scène internationnale à la tête du Canada.
https://www.youtube.com/watch?v=5p4NUJMPAjQ
Il méritait vraiment un Justin pour cette formidable performance. Malaise dans le jury.
P,S_ Fallait quand même sortir M.Harper qui était usé par le temps.