-« Êtes-vous pour ou contre l’indépendance ? »
-« Ça dépend »
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Le Québec est comme enserré dans des limites dont on peut se demander s’il en sortira : démographiques, politiques, constitutionnelles, historiques, mais peut-être surtout psychologiques. Malgré tous nos efforts et nos progrès, notre comportement, dont nous ne sentons pas très bien les lacunes, reste essentiellement le même.
Je fais cette hypothèse, qui est plutôt le fruit d’une intuition : une certaine insuffisance, peu consciente, nous habite et aussi nous entrave. Nous allons notre bonhomme de chemin. J’ai l’intime conviction qu’il y a, dans notre manière d’être et notre caractère, un côté négatif et hésitant qui nous échappe.
Nos échecs sont comme récurrents. Une sorte d’anomalie, inapparente et sur laquelle personne ne s’avise de mettre le doigt, semble fausser chroniquement notre destin, d’ailleurs à notre insu. Nous n’allons pas au bout de nos possibilités. Nous sommes retenus pour ainsi dire par nous-mêmes.
Il faut essayer d’expliquer ce qui devrait finir par apparaître là comme un singulier facteur de stagnation. Pourquoi ce qu’on espère, ce qu’on escompte avec ferveur, finalement n’arrive-t-il pas ? Pourquoi l’histoire, en ce qui nous concerne, semble-t-elle marquer le pas ?
Il y a eu toute l’activité déployée depuis quarante ans, la prise du pouvoir en 1976, l’agitation entourant deux référendums, mais le Canada résiste, imperturbable, comme une puissance inamovible. Il absorbe tout. Des forces importantes, agissantes, sont constituées contre lui. Il y a le PQ, il y a le Bloc. Des populations, nombreuses, se pressent dans ces cadres-là, dans ces partis. Elles ont des députés, en grand nombre, tant au fédéral qu’au provincial. Ces partis ont du personnel, bien organisé, et des militants. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais la situation demeure obstinément statique.
Les conditions d’une histoire qui finirait par s’accomplir paraissent de loin en loin réunies. Tout semble alors prêt pour des actions déterminantes, pour une issue enfin en vue, mais celle-ci n’a pas lieu et s’éloigne de période en période comme l’horizon.
On a l’habitude de commenter cela en invoquant des causes tout extérieures ; mais s’il s’agissait plutôt de nous-mêmes, qui, en fait, serions notre propre obstacle ? Le problème que je m’efforce d’élucider ici a quelque chose de surréel.
Nos partis occupent des positions sûres, mais malgré des phases plus actives, tout au fond le souverainisme demeure comme un idéal immobile. L’adversaire fédéraliste attend et le temps est son allié.
Nous avons connu des moments assez fébriles et même, deux ou trois fois, des élans dont on espérait beaucoup. Mais ils ont abouti à des échecs dont on a le curieux sentiment qu’ils nous ressemblent… On serait tenté d’y voir un sort. Peut-être s’agit-il plutôt d’une faille ?
On devrait s’interroger un peu sur ce qu’on peut en effet appeler une sorte de syndrome.
Tout se passe comme s’il y avait pour nous une frontière invisible. Je me risquerais à dire qu’elle est un peu en nous. On explique d’habitude cette frontière par des causes prétendument objectives. Mais, je le répète, si cette frontière était en nous-mêmes, au moins en partie ? Si l’obstacle était, dans la même mesure, intérieur ? Avons-nous hérité de notre histoire séculaire à ce point-là ?
Notre pensée, à ces égards, est paresseuse et peu hardie. Une sorte de convention inexprimée voile une réalité que je tente de tirer au clair ici. Nous ne faisons guère d’autocritique sérieuse à ce propos. Notre action, quelque peu routinière, se poursuit.
En 1980, en 1995, nous avons échoué, soit ! Mais ces échecs furent suivis par des périodes d’atonie beaucoup trop longues, donc symptomatiques.
Peut-être le sentiment, répandu mais inavoué, de la grande difficulté du projet souverainiste explique-t-il pareil flottement ? Mais cette difficulté n’explique que la moitié du phénomène. L’autre moitié correspond probablement à la psychologie que j’essaie d’analyser.
Notre histoire, depuis la Conquête, forcément fut ambiguë. Il reste sans doute pas mal de séquelles de cela, en particulier un certain esprit d’indécision. La Révolution tranquille avait secoué ces dispositions. Il faudrait faire un deuxième pas, tout aussi ambitieux que le premier. Une seconde étape s’imposerait en effet. Sans quoi de minables politiciens prendront la relève, comme c’est déjà plus que commencé.
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