Le passeport sale

Le premier ministre peut faire de l'esbroufe, mais personne ne croit sérieusement que le Québec pourrait faire invalider un engagement contracté par le Canada (...)

Le "fédéralisme bitumineux" - américanisation du Canada



De l'avis général, le plus efficace porte-parole du camp du NON durant la campagne référendaire de 1995 était Jean Charest, quand il brandissait son passeport canadien qui symbolisait tout ce à quoi il faudrait renoncer si le OUI l'emportait.
«Lorsque vous irez voter le 30 octobre, lorsque vous irez dans l'isoloir, faites-vous donc plaisir, touchez-le donc un peu, votre passeport. Et lorsque vous sortirez de l'isoloir, sortez avec votre passeport dans les mains, plutôt que de le laisser dans les mains de Jacques Parizeau», lançait le chef conservateur sous un tonnerre d'applaudissements.
Parfaitement conscients de la force de ce symbole, les ténors du OUI s'étaient efforcés durant toute la campagne de convaincre les Québécois qu'ils pourraient conserver le précieux document, même si le Québec devenait un État souverain. Selon les sondages, une majorité de partisans du OUI croyaient que ce serait le cas. Si cela n'était pas possible, l'appui à la souveraineté fondait comme neige au soleil.
Quand Mario Dumont avait tenté de faire l'éloge du futur passeport québécois, qu'«on sera fier d'exhiber à travers le monde», ni Jacques Parizeau ni Lucien Bouchard ne lui avaient emboîté le pas.
Les fédéralistes pouvaient plaider à bon droit que le Canada était un pays éminemment respectable et respecté partout. Malgré la Loi sur les mesures de guerre et les coups fourrés de la GRC, les souverainistes eux-mêmes devaient convenir que peu d'endroits sur la planète offraient une meilleure qualité de vie, y compris de vie démocratique, même s'ils estimaient que le Québec s'épanouirait davantage à l'extérieur de la fédération. Ce n'était peut-être pas le plus-meilleur-pays-au-monde, mais pas loin.
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Il y a eu des moments assez peu glorieux dans l'histoire canadienne récente. En 1997, le pays tout entier avait été consterné d'apprendre que des soldats canadiens avaient torturé et assassiné de jeunes Somaliens. La mésaventure kafkaïenne de Maher Arar a également été très gênante.
On a déploré ces bavures, mais elles n'ont pas altéré de façon significative l'opinion généralement positive que les Canadiens, y compris les Québécois, avaient du Canada, qui demeurait malgré tout une sorte de phare.
En septembre 2001, bon nombre d'Américains avaient été consternés de découvrir la profondeur de la haine qu'ils pouvaient inspirer, mais la mauvaise presse n'avait rien de nouveau pour nos voisins.
C'est très différent de ce côté-ci de la frontière. Si ce n'est la chasse aux phoques, que les Européens réprouvent depuis longtemps, nous étions plus habitués à être donnés en exemple qu'à être montrés du doigt.
Sous la gouverne de Stephen Harper, le pays, dont un ancien premier ministre avait été à l'origine de la création des Casques bleus de l'ONU, a plutôt livré ses prisonniers à des tortionnaires qui semblaient sortis tout droit du Moyen Âge.
Alors que sa nature sauvage — ah, les Rocheuses! — et ses grands espaces faisaient l'envie du monde entier, le Canada est maintenant considéré comme un voyou, un goujat, un menteur et un hypocrite, qui pollue l'atmosphère de façon indécente avec ses sables bitumineux. Le «fossile de l'année».
M. Harper n'est évidemment pas le seul responsable des piètres résultats de la conférence de Copenhague, mais il n'a strictement rien fait pour améliorer les choses. Dans la capitale danoise, il n'y avait pas de Tim Hortons où le premier ministre aurait pu se réfugier, mais laisser à son ministre de l'Environnement, Jim Prentice, le soin de parler au nom du Canada a eu le même effet que la fois où il avait boudé l'Assemblée générale de l'ONU.
En se portant à la défense de l'industrie pétrolière, le Canada protège simplement ses intérêts économiques, comme le font tous les pays du monde, a-t-on fait valoir. Comme les pays qui ferment les yeux sur la culture du pavot.
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En 1992, Jean Charest avait vu dans le succès du sommet de Rio une «expérience significative pour le fédéralisme», dans la mesure où le gouvernement fédéral et les provinces avaient agi de concert tout au long du processus.
Cette semaine, à Copenhague, M. Charest s'est fait remettre à sa place brutalement par M. Prentice. Il n'y a qu'un boss au Canada et il est à Ottawa, a-t-il signifié. Le Québec devrait se contenter de toucher son chèque de péréquation et se taire.
Le premier ministre peut faire de l'esbroufe, mais personne ne croit sérieusement que le Québec pourrait faire invalider un engagement contracté par le Canada sous prétexte qu'il n'est pas suffisamment contraignant. Cette semaine, il a expliqué que cette malheureuse histoire n'avait rien à voir avec le fédéralisme, mais plutôt avec ceux qui le pratiquent mal.
Lise Payette peut toujours rêver: aucun miracle, à Copenhague ou ailleurs, ne pourra convertir M. Charest aux mérites de la souveraineté. Il aura cependant bien du mal à nous refaire le coup du passeport.
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P.-S. Cette chronique fera relâche jusqu'au début de janvier. Joyeux Noël et bonne année à tous.


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