Le Canada a connu au fil des ans toutes sortes de variantes du fédéralisme. Le gouvernement Harper est en train de renouveler le genre avec ce que l'on pourrait appeler le fédéralisme bitumineux.
Avec sa prestation peu reluisante à la rencontre internationale de Copenhague, le gouvernement canadien donne la fâcheuse impression qu'il n'a pas vraiment de politique environnementale, mais plutôt une politique pétrolière. Comme si Stephen Harper dirigeait une espèce de super-gouvernement albertain.Le jugement est injuste? Évidemment. On peut comprendre, ici et ailleurs dans le monde, que le défi canadien est énorme. Le fait que le Canada soit un gros émetteur de gaz à effet de serre par habitant s'explique en partie par sa géographie et sa structure industrielle. La réduction des GES demandera des efforts plus exigeants qu'ailleurs, notamment parce que le Canada doit concilier la lutte contre le réchauffement climatique et la production de pétrole provenant des sables bitumineux. Un pétrole dont le Canada et le reste du monde ont besoin.
Pour ces raisons, le Canada ne mériterait pas d'être le mouton noir de Copenhague. Mais le gouvernement Harper est le principal artisan de son malheur. Au lieu de présenter ce défi, de l'expliquer, les conservateurs ont choisi la voie de la résistance et de l'opacité. Après avoir flirté avec le négationnisme, ils manifestent pour le débat environnemental l'enthousiasme que l'on réserve d'habitude aux touchers rectaux.
Et surtout, au lieu de mettre cartes sur table, pour chercher un équilibre entre la lutte contre le réchauffement climatique et la croissance économique, pour assurer une forme d'équité entre les provinces productrices et les autres, le gouvernement a choisi de travailler en secret, en multipliant en sous-main des gestes qui ont tous pour but de protéger l'industrie pétrolière.
Par exemple, un document interne, qui a fait cette semaine l'objet d'une fuite, montrait qu'Ottawa a songé à établir des cibles de réductions de GES plus basses pour l'industrie pétrolière. Ou encore les allusions répétées à un système d'exemption fiscale pour le pétrole, comme pour le charbon aux États-Unis. Des cibles qui reposent non pas sur les réductions absolues de GES mais plutôt sur la réduction de leur intensité, ce qui signifie en pratique que, dans les années à venir, les émissions de carbone provenant des sables bitumineux augmenteront.
Tout cela ne justifie pas que nous cédions à un provincialisme primaire. Il est tentant, au Québec, comme le fait notre premier ministre Jean Charest, de se péter les bretelles avec nos cibles ambitieuses de réduction des GES. C'est pas mal plus facile quand on a de l'eau plutôt que du pétrole.
On ne devrait pas non plus jouer aux vierges offensées contre le pétrole sale de l'Alberta quand, dans les faits, nous en profitons nous aussi. Pour la sécurité énergétique qu'il procure, pour ses retombées économiques, et pour la marge de manoeuvre financière fédérale, dont nous avons largement bénéficié, qui tient essentiellement à la richesse albertaine.
L'idée, ce n'est pas de fermer le robinet du pétrole provenant des sables bitumineux, mais de trouver un rythme de croissance compatible avec les enjeux du réchauffement climatique. D'être équitable dans l'effort et les coûts pour chaque province. Si on multiplie les gestes pour protéger les sables bitumineux, il est assez évident que ce sont d'autres provinces et d'autres industries qui supporteront le fardeau. Et ça, ça pourrait coûter très cher aux conservateurs.
Pour l'instant, le gouvernement Harper semble en téflon. Les derniers sondages montrent que le débat sur les prisonniers afghans n'a pas affecté sa popularité. Parce que les Canadiens sont indifférents aux enjeux internationaux. Mais les Québécois et les Ontariens ne resteront pas longtemps indifférents s'ils ont l'impression de payer pour l'Alberta.
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