Le pape pourrait bien avoir remis le feu aux poudres avec son Motu proprio « Traditionis Custodes », par lequel il contraint fortement l’usage de la messe en latin. Le Saint-Père a pris cette décision au sortir de son séjour à l’hôpital Gemelli où il avait subi une opération délicate.
Étonnement également de la part de ce youtubeur populaire (près de 30 000 abonnés, 10 000 vues par vidéos) :
Le point de vue de Jean-Marie Guénois dans Le Figaro :
François abroge la grande réforme de Benoît XVI
Le pape allemand avait libéralisé la messe en latin, mais son successeur argentin y voit un dangereux ferment de division.
La potion était attendue amère, dans les milieux traditionalistes, mais pas aussi sévère. Par décision du pape François, il n’y a plus de rite « extraordinaire » — messe de saint Pie V — mais un seul rite, celui du concile Vatican II. La possibilité ouverte par Jean-Paul II et libéralisée par Benoît XVI en 2007 de célébrer la messe selon le rite tridentin, communément appelée « messe en latin », est désormais « abrogée ».
Un motu proprio — un décret juridique — intitulé « Traditionis Custodes », « gardiens de la Tradition », signé par François le 16 juillet 2021, impose désormais comme « unique expression » du rite romain celui dit « de Paul VI », partout en usage selon la langue de chaque pays. François redonnant aussi aux évêques « la compétence exclusive » d’autoriser ou non ce type de messes dans leur diocèse. Le pape impose également des conditions très strictes aux prêtres qui célébreraient dans la forme ancienne : « ne pas exclure la validité, la légitimité de la réforme liturgique du concile Vatican II, des normes du concile Vatican II et du magistère des Souverains pontifes » et « redemander » à l’évêque diocésain, « l’autorisation » de continuer à célébrer ainsi.
Limiter les lieux de pratique
Quant aux jeunes prêtres qui voudraient célébrer dans ce rite à partir du 16 juillet 2021, ils devront non seulement demander à l’évêque, mais celui-ci devra soumettre cette requête à l’autorité romaine.
François veut clairement stopper le mouvement de fond en faveur de la liturgie traditionnelle de la jeune génération, clergé et fidèles, car il demande aussi aux évêques de limiter les lieux où se dérouleront les messes, d’exclure « les églises paroissiales » et « de ne pas ériger de nouvelles paroisses personnelles » et encore moins « d’autoriser la constitution de nouveaux groupes ». Pour ce qui est des « paroisses personnelles » existantes (statut particulier pour célébrer selon l’ancien rite) l’évêque est missionné pour mener une « vérification » afin « d’évaluer s’il maintient ou pas » cette paroisse.
Dernière nouveauté du motu proprio, l’organisme Ecclesia Dei créé par Jean-Paul II et renforcé par Benoît XVI pour protéger les fidèles et les prêtres traditionalistes est supprimé. Tous les problèmes relatifs à ce sujet seront désormais traités par les services courants du Vatican.
Il n’y a donc plus d’exception traditionaliste dans l’Église. Le pape veut que ces fidèles rentrent dans le rang. Ainsi, dans la longue lettre rédigée par François accompagnant ce motu proprio, il insiste sur les « deux principes » qui dictent la mise en œuvre de cette décision : « veiller au bien de ceux qui sont enracinés dans la forme de célébration précédente et qui ont besoin de temps pour retourner au rite romain promulgué par saint Paul VI et saint Jean-Paul II » et « interrompre la création de nouvelles paroisses personnelles, davantage liées aux désirs et à la volonté de prêtres singuliers qu’à un réel besoin du saint peuple fidèle de Dieu ». Tout cela par un traitement « au cas par cas », les évêques devant pousser ces prêtres et fidèles « à se tourner » vers la seule « forme célébrative unitaire ».
L’objectif de François est effectivement de mettre un terme à ce qu’il dénonce dans cette lettre : un « usage parallèle » de la messe de saint Pie V au même titre que la messe de Paul VI. Comme le rite « ordinaire » avait été interchangeable avec le rite « extraordinaire ».
« Des oppositions qui blessent l’Église » selon Bergoglio
La plus grande réforme de Benoît XVI, instituée par le Motu Proprio Summorum Pontificum du 9 juillet 2007, qui avait accordé à l’ancienne messe le statut de rite « extraordinaire », est condamnée. Son bilan, affirme le pape régnant, n’est pas concluant parce que « son usage a été déformé » au point de devenir « contraire aux raisons pour lesquelles fut concédée la liberté de célébrer » selon l’ancien rite.
Une « situation douloureuse » qui a conduit François à « la nécessité d’intervenir » pour deux griefs principaux. Le premier : « La possibilité offerte par saint Jean-Paul II et, avec encore plus de magnanimité, par Benoît XVI pour recomposer l’unité du corps ecclésial dans le respect des différentes sensibilités liturgiques, a été utilisée pour augmenter les distances, durcir les différences, construire des oppositions qui blessent l’Église, freinant son avancée, l’exposant à des risques de divisions. » Le second : la célébration selon l’ancien rite a été « non seulement utilisée comme un refus croissant de la réforme liturgique, mais aussi du concile Vatican II, avec l’affirmation infondée et insoutenable qu’il aurait trahi la tradition et la “vraie Église” ».
Le monde traditionaliste est consterné par cette annonce. L’abbé Benoît Paul-Joseph, supérieur de la Fraternité Saint-Pierre, traditionalistes unis à Rome, observe : « Concernant la France, cette décision étonne tant par les motifs invoqués (des divisions ecclésiales qui seraient toujours plus grandes) que par sa finalité (réunir tous les fidèles autour du seul missel de saint Paul VI) alors que les tensions liturgiques s’apaisent et que le missel de saint Pie V attire toujours plus de monde, spécialement dans la jeune génération. » Christophe Geoffroy, directeur du mensuel La Nef et expert de ces milieux ajoute : « C’est un beau gâchis… Le pape tient comme nuisible l’existence des catholiques attachés à la “forme extraordinaire” du rite romain et cherche à les faire disparaître, en contradiction avec la lettre et l’esprit de l’œuvre de Jean-Paul II et Benoît XVI. Loin de renforcer l’unité, cela va entraîner des divisions et des drames et, in fine, pas mal de départs vers la Fraternité Saint-Pie X. » À savoir les lefebvristes. Ils refusent tout ralliement à Rome.
Billet originel du 10 juillet
Quatorze ans après la décision de son prédécesseur de libéraliser la messe en latin, le pape argentin envisage de restreindre son application pour réduire l’influence des traditionalistes.
Messe d’action de grâce pour les 25 ans de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, le 16 novembre 2013. |
La liturgie traditionnelle dans l’Église ne lésine pas sur l’encens. Ses volutes légères et profondes veulent exprimer un mystère. Un autre mystère plane toutefois sur l’avenir de cette tradition connue sous le nom de « messe en latin ». François pourrait en limiter l’usage. Benoît XVI avait pourtant redonné ses lettres de noblesse à cette liturgie. Nuage fugitif ou orage annoncé ?
Le 7 juillet 2007, Benoît XVI avait ouvert un nouvel horizon à la liturgie traditionnelle. Dans un décret devenu célèbre, le motu proprio Summorum pontificum, il accordait une place nouvelle à l’« ancienne messe » alors qu’elle avait été marginalisée par le concile Vatican II (1962-1965).
« Extraordinaire » et « ordinaire » Le pape allemand reconnaissait la pertinence de la messe dite de saint Pie V, telle qu’elle était dite avant ce concile en lui conférant un statut pérenne, celui de rite « extraordinaire ». Il demeurerait à côté du rite « ordinaire », celui de la messe dite de Paul VI. Non comme une alternative pour tous les catholiques, mais comme une possibilité pour les fidèles demandeurs. Il suffisait qu’un « groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure » se signale au curé de la paroisse pour que celui-ci « accueille volontiers leur demande », sans recourir à l’autorisation de l’évêque. Benoît XVI attendait des deux formes du rite de l’Église latine, « extraordinaire » et « ordinaire », qu’elles vivent un « enrichissement mutuel ». Quelques mois plus tôt, dans une tribune collective publiée dans Le Figaro, des personnalités telles que le philosophe René Girard, le chef d’entreprise Bertrand Collomb, les comédiens Jean Piat et Claude Rich ou encore l’historien Jean-Christian Petitfils appelaient de leurs vœux cette décision pontificale.
Cette libéralité pourrait avoir vécu. Le pape François lui-même a révélé le 24 mai dernier à Rome, aux évêques italiens réunis à huis clos, que la révision du motu proprio de Benoît XVI ne tarderait pas. De fait, ce projet, toujours tenu secret, en est à sa troisième version. Plusieurs sources fiables indiquent que cette révision ne remettrait pas en cause la reconnaissance du rite de saint Pie V à titre « extraordinaire ». Il ne toucherait pas davantage aux associations religieuses de prêtres constituées et concernés par ce rituel. Serait en revanche visé le libéralisme du motu proprio de Benoît XVI : ce serait désormais l’évêque local, et non plus les fidèles, qui contrôlerait le droit de célébrer selon le rituel extraordinaire. Second axe de révision : au Vatican, les « traditionalistes » — ainsi sont-ils dénommés dans l’Église — ne dépendraient plus d’une structure ad hoc abritée au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui protégeait de facto les entités traditionalistes.
La sphère traditionaliste
À l’avenir, toute question non soluble par l’évêque local serait traitée, selon la nature du sujet, au sein des congrégations vaticanes compétentes : évêques, clergé, liturgie, qui sont les « ministères » romains spécialisés du gouvernement de l’Église. Le dossier traditionaliste ne serait plus un cas à part.
Quand cette révision sera-t-elle publiée ? Selon nos informations, la version finale aurait été validée pour une sortie imminente.
Que représente la sphère traditionaliste en France ? Une enquête de l’épiscopat vient de recenser « un à deux » lieux de cultes par diocèse accueillant « moins de 100 fidèles », voire « entre 20 et 70 ». Soit 20 000 personnes au mieux. Le mensuel de référence en ce domaine, La Nef, vient de publier dans son dernier numéro une enquête complète, estimant ces pratiquants entre 31 000 et 51 000 fidèles. En ajoutant ceux qui désireraient aller à ces messes, mais qui habitent trop loin, il estime « les fidèles tradis à environ 60 000 personnes ». Avec de fortes disparités régionales et la présence de bastions comme Versailles, qui représente 10 % de ce chiffre. Le choix pour le rite tridentin, 250 lieux de culte en France, attirerait, selon cette source, 4 % des pratiquants. Sans compter les fidèles de la Fraternité Saint-Pie-X (les « lefebvristes »), qui compteraient 35 000 fidèles en France. Au total, un poids loin d’être négligeable.
Quant aux prêtres qui célèbrent, ils peuvent être issus du clergé diocésain, mais la plupart viennent de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP), qui compte plus de 342 prêtres d’un âge moyen de 38 ans, et dont 80 exerçant en France, et de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre (ICRSP), qui recense plus de 100 prêtres (âge moyen de 36 ans). [beaucoup plus jeunes que les prêtres « modernes ».] Il existe aussi nombre de communautés monastiques qui célèbrent la messe sous la forme extraordinaire du rite romain : les bénédictins de Fontgombault ou du Barroux ou encore les chanoines de l’abbaye de Lagrasse.
Contrôle épiscopal
Cette influence persistante auprès d’un public souvent rajeuni explique-t-elle que le pape prenne le risque de déséquilibrer le modus vivendi apporté par le motu proprio ? François, c’est de notoriété publique, n’apprécie pas la messe selon l’ancien rite, à l’inverse de son prédécesseur. Ordonné prêtre en décembre 1969, il ne l’aurait jamais célébrée. Il l’avait interdite le 22 mars dans la basilique Saint-Pierre avant de la réhabiliter devant les protestations, dont celle du cardinal Robert Sarah, mais à de strictes conditions.
Le pape argentin respecte [quelque peu] toutefois ceux qui se retrouvent dans ce rite. Son objectif affiché n’est pas d’empêcher les prêtres affiliés à cette famille liturgique d’y rester fidèles, mais, en invoquant l’esprit de ce motu proprio tel que l’avait décrit Benoît XVI, d’imposer un nouveau contrôle épiscopal. « Pour vivre la pleine communion, écrivait Benoit XVI, les prêtres des communautés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. » Autrement dit, les prêtres célébrant dans l’ancien rite ne doivent pas refuser le rituel conciliaire de la messe. « Benoit XVI a fait un geste juste et magnanime pour aller à la rencontre d’une certaine mentalité, de certains groupes et personnes qui ressentaient de la nostalgie et s’éloignait, mais c’est une exception, expliquait François en 2016 au jésuite Antonio Spadaro. C’est pour cela que l’on parle de rite extraordinaire. »
Mais le pape ajoutait : « Vatican II et la constitution conciliaire Sacrosanctum concilium (qui réformait la messe) doivent continuer d’être appliqués tels qu’ils sont. » Pour François, la permission de célébrer selon le rite ancien ne sera jamais une alternative de plein droit. Elle doit rester une « exception ».
L’enjeu est clair : « Il ne faudrait pas induire dans l’esprit des séminaristes qu’il existe deux formes au choix dans l’Église latine ». « Une Église parallèle se dessine », alertait l’enquête de l’épiscopat français, partie de l’enquête mondiale lancée sur ce sujet en mars 2020 par le pape François lui-même. Il suit personnellement ce dossier, plaçant des hommes à lui pour le piloter, comme Mgr Aurelio Garcia Macias, un Espagnol qu’il vient de promouvoir au sein de la Congrégation pour le culte divin. Le pape, décidé à recadrer les choses, confiait aussi à son ami jésuite Spadaro : « J’essaye de comprendre ce qu’il y a derrière des personnes qui sont trop jeunes pour avoir vécu la liturgie préconciliaire, mais qui la veulent quand même. Parfois, je me trouve face à des personnes très rigides. »
De fait, cette liturgie attire des jeunes et des familles, l’Église le constate. « Il ne peut pas y avoir deux liturgies parallèles. Ce qui est en jeu est l’unité à long terme de l’Église », explique Andréa Grillo, théologien italien et laïque, spécialiste de liturgie, ennemi juré du motu proprio, qui aurait l’oreille du pape sur ce sujet. « Cette révision du motu proprio arrêtera ce biritualisme dans l’Église latine qui n’était pas l’intention de Benoît XVI. » Mais « l’idée de mettre sur le même plan les deux rituels, comme si le concile Vatican II n’avait jamais existé, s’installe chez de jeunes prêtres comme dans certains diocèses de la côte ouest des États-Unis où les séminaires forment aux deux rites, ordinaire et extraordinaire. » Professeur influent, il avertit : « La forme extraordinaire est devenue, depuis 2007, la tranchée de résistance au concile Vatican II. »
La crise dijonnaise
En France, le temps des guerres de tranchées liturgiques ou doctrinales appartient pourtant au passé. Il existe quelques paroisses pratiquant les deux rites et nombre de jeunes fidèles peuvent indifféremment passer d’une liturgie à l’autre. Le souci de l’ars celebrandi (l’attention portée à chaque geste de la liturgie), défendu ardemment par Benoit XVI, s’étend bien au-delà des traditionalistes. C’est, par exemple, l’une des caractéristiques de la Communauté Saint-Martin, communauté de prêtre diocésain, devenu un des séminaires les plus importants de France. Une crise récente dans le diocèse de Dijon a pu donner l’impression que les relations entre les milieux traditionalistes et l’Église de France seraient conflictuelles.
Le 17 mai, Mgr Roland Minnerath a mis un terme à un accord passé il y a vingt-trois ans avec la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre pour assurer la messe dans la basilique Saint-Bernard de Fontaine-lès-Dijon. Le 26 juin, des fidèles manifestaient devant l’évêché pour réclamer le « dialogue ». L’évêque est descendu pour répondre qu’il attendait un retour à sa dernière proposition : « Ou bien les prêtres acceptent de concélébrer de temps en temps, eux ou d’autres, et ils restent, ou bien ils partent. »
« Concélébrer » ? Le concile Vatican II ouvre la possibilité de permettre à plusieurs prêtres de célébrer la même messe. Considérée comme un symbole d’unité du clergé, cette pratique est refusée par une petite partie des prêtres traditionalistes. La tension sur ce point se fait sentir, dans une minorité de diocèses, le jeudi saint, quand tous les prêtres concélèbrent autour de leur évêque. Dans ce cas, toutefois, les prêtres participent à la messe, mais ne concélèbrent pas.
En réalité, la crise dijonnaise, envenimée par des caractères personnels, est une exception qui confirme une règle générale marquée par l’apaisement des relations entre le monde « tradi », les fidèles et l’épiscopat. Une réunion nationale, ce fut une première, a d’ailleurs eu lieu entre eux le 14 juin. Impensable il y a peu, le numéro spécial de La Nef publie une interview de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques, où il atteste de cette « intégration plus naturelle », même s’il s’inquiète de « certains groupes qui se durcissent dans une posture spirituelle et politique ». Mais l’Évêque de Reims poursuit : « Ces communautés regroupent souvent de jeunes familles et de jeunes gens. Certains de ces fidèles appartiennent au monde dit de la tradition depuis des générations, mais un nombre non négligeable se sont approchés de la foi grâce à la messe dite de saint Pie V. Les fidèles de ces communautés enrichissent donc l’Église du Christ, selon la mesure où ils consentent à être pleinement membres de la “grande” Église. » Autre indicateur : l’enquête interne menée par l’épiscopat, très critique sur certains points, reconnaît : « Dans la plupart des diocèses, la situation semble apaisée. »