Ainsi donc, 77 % des Canadiens estiment que le Canada devrait rester " neutre " face au conflit entre Israël et le Hezbollah. C'est ce que nous apprend, entre autres données affligeantes, un sondage du Strategic Council effectué pour le Globe and Mail et CTV.
Incroyable mais vrai, l'immense majorité des Canadiens refuse de choisir entre un groupe terroriste et une démocratie qui partage les valeurs fondamentales du Canada. Il est vrai que seulement un répondant sur 100 prend carrément parti pour le Hezbollah, mais Israël ne recueille pas plus de 16 % d'appuis.
Conséquence logique, 45 % des Canadiens désapprouvent le soutien du gouvernement Harper à Israël. Au Québec, la désapprobation a l'ampleur d'une vague: 61 % désapprouvent, seulement 17 % approuvent... Note d'humour involontaire: à une autre question, 49 % des répondants avouent qu'ils ne connaissent pas la position du gouvernement Harper!
Le cynisme atteint ici des sommets. Bien qu'il soit pourtant évident que M. Harper, en appuyant aussi fermement Israël au risque de perdre des votes, a agi par profonde conviction personnelle, seulement 19 % des Canadiens (et seulement 11 % des Québécois) voient dans sa prise de position " une question de principe ". L'immense majorité (53 % des Canadiens et 72 % des Québécois) n'y voit que le désir de s'aligner sur la position de Bush.
Ignorance ou oubli? Pour 51 % des Canadiens (comme d'habitude, les Québécois renchérissent dans une proportion de 66 %), la position du gouvernement Harper contredit celle des gouvernements précédents. C'est tout à fait faux.
Loin de rester neutres dans l'interminable conflit du Proche-Orient, tous les gouvernements canadiens, jusqu'à Jean Chrétien, ont appuyé Israël sans équivoque, notamment lors de la guerre des Six Jours, en 1973, et dans ses incessants conflits avec l'OLP. En 1957, après la nationalisation par l'Égypte du canal de Suez, loin de rester sur la clôture, le Canada s'était opposé, aux côtés des États-Unis, à la Grande-Bretagne et à la France.
Ce n'est qu'avec l'arrivée de Jean Chrétien que la position canadienne au Proche-Orient est devenue plus floue, en grande partie parce que le premier ministre était complètement dépassé par la question. Lors d'un voyage dans la région- une catastrophe diplomatique totale-, il n'avait même pas l'air de connaître la signification stratégique de Jérusalem-Est, et il s'est finalement aliéné toutes les parties, Palestiniens comme Israéliens, par ses remarques saugrenues.
Le gouvernement Martin a ensuite plus ou moins essayé de ramener le Canada à une position davantage pro-israélienne (notamment par le biais des votes à l'ONU), mais comme il n'y a pas eu de grande éruption de violence au Proche-Orient durant le bref passage de M. Martin au pouvoir, cela n'a guère causé de remous dans l'opinion publique.
Faut-il rappeler, en outre, que le Canada n'a aucune tradition de neutralité? Qu'il a pleinement participé aux deux grandes guerres mondiales et à la guerre de Corée? Sans parler des opérations de l'OTAN dans l'ex-Yougoslavie et en Afghanistan?
En fait, il n'y a qu'à propos de l'Irak que le Canada s'est placé en retrait. C'était assurément une très bonne décision, mais cette position de neutralité constituait une exception dans une longue histoire d'engagements.
Il n'y a pas de doute, cependant, que Stephen Harper a, sur la question, des convictions personnelles plus fortes que celles de ses prédécesseurs.
Contrairement à Jean Chrétien, il a fait ses devoirs et il connaît la trame de fond sur laquelle se déroule l'offensive israélienne. Et contrairement à Paul Martin, il a une colonne vertébrale. Si Paul Martin avait été au pouvoir quand les hostilités ont éclaté à la frontière israélo-libanaise, sa bande de conseillers incultes et opportunistes auraient formé des " focus groups " pour déterminer quelle position il fallait prendre.
C'est une attitude que partagent d'ailleurs la plupart des politiciens. Voyez Michael Ignatieff, qui a attendu que déferlent les sondages avant de se brancher cette semaine, voyez Mario Dumont, qui, après s'être tenu coi durant trois semaines, dénonce la position de Harper le jour suivant la publication du sondage du Globe and Mail...
Il va de soi qu'on peut appuyer Israël sur le fond, et trouver son offensive au Liban mal conçue ou mal gérée. M. Harper aurait pu manifester sa solidarité fondamentale avec Israël tout en se dispensant de déclarer que l'offensive israélienne était " mesurée ". Cette petite phrase, imprudemment lancée alors que l'offensive n'en était qu'à ses débuts, va le hanter longtemps.
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