Une question brûlante échauffe les esprits. Les Québécois-Français sont comme les Français, ils aiment se trouver un sauveur. La question consiste à découvrir cette perle rare qui serait, bien entendu, hors du commun. Être hors du commun, c’est essentiellement être remarquable, exceptionnel, extraordinaire, inhabituel, rare, insigne ou unique. Ne serait-ce que « remarquable » que ce serait déjà beaucoup, car ce mot signifie qu’une chose, qu’un événement ou qu’une personne est « digne d’être reconnu pour sa valeur ou son mérite ». Or, que diable ! nous sommes 7 millions ! Serait-ce que nous sommes « bouchés » ?
D’une certaine manière, cette chronique donne suite à la précédente au sujet du rôle d’un chef au sein du regroupement des indépendantistes. Ce chef devrait abandonner irréversiblement ce que nous avons appelé [« les plaisirs de l’ambivalence »->3643]. Il serait essentiellement l’inspirateur du MOUVEMENT, c'est-à-dire le chef d’orchestre qui donne L’ÉLAN et met consciemment en évidence L’OPTIQUE INDÉPENDANTISTE devant les yeux de toute la société québécoise.
Pour y arriver, il faudrait d’abord cesser d’exprimer seulement notre point de vue sur le Canada, le fédéralisme, la souveraineté, mon pays ou les personnalités politiques. En ce moment, il est plus important d’organiser toutes les forces de défense de l'optique indépendantiste dans toutes les sphères de la société québécoise que de se fier à un sonneur de cloches qui trouve que les Québécois ne travaillent pas assez, mais qui a eu l’imbécillité à plusieurs reprises au cours des trente dernières années du XXe siècle d’étirer l’élastique de la cohésion sociale québécoise jusqu'à son extrême limite, si bien qu’il a dû démissionner lamentablement, un bon matin, du poste de premier ministre du Québec qu’il convoitait pourtant depuis le départ de René Lévesque. Au fond, cet esprit bouillant, brouillon et impulsif est parti comme il est arrivé, en coup de vent.
Il faudrait aussi cesser de discuter de questions secondaires ou accessoires. Il serait beaucoup plus important de se concentrer sur le regroupement de toutes les forces souverainistes sous une seule bannière susceptible d’agir de concert en vue d’entraîner un MOUVEMENT irrésistible. Les pages du Devoir sont nettement insuffisantes à une telle opération d’envergure nationale.
Il faudrait principalement travailler à créer ce « Mouvement » qu'on ne pourrait plus arrêter, qu'il serait impossible de combattre ou que nous ne pourrions plus contourner. La vitesse acquise par le « Mouvement » rendrait impossible tout retour en arrière ou toute façon de penser autrement. Dans une perspective historique, l’existence de cette force de l’avenir constituerait un acte qui empêcherait de bloquer un nouvel et gigantesque effort d'affirmation et de défense de l’autonomie collective nécessaire à toute nation indépendante, – soit le refus de demeurer à perpétuité une « nation annexée ».
Il faut que naisse ce sentiment d’urgence qui impose un agenda dans l’esprit des gens pour la réalisation de l’indépendance. En conséquence, une « dynamique » irrésistible doit se créer de manière à ce que les dirigeants et à leur suite la population québécoise ne soient plus capables d’arrêter L’ÉLAN acquis.
Dans quelques chroniques antérieures, nous avons insisté sur cette notion de « Mouvement ». Il ne s’agit pas ici de partis politiques, de syndicats ou de regroupements comme tels, mais d’une transformation de la pensée, d’un changement de paradigme qui s’impose à chacun d’entre nous et auquel on a foi.
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La « Nation Canadienne » (1760-1837)
Durant les deux premières générations après la Conquête, les « Canadiens » (français) se considèrent aptes à gouverner le Bas-Canada. Cependant, les Britanniques ne l’entendent pas de la même façon. De là apparaît l’émergence de l’idée fédérale qui a conduit à l’Union de 1840, puis à la création de la fédération canadian en 1867. Le MOUVEMENT impulsé par l’idée fédéraliste s’est finalement imposé aux représentants de la société québécoise et de la société canadian. Rien n’a changé depuis, sinon le nom des personnes ! En tout et partout, c’est toujours le même contexte. Ne serait-il pas urgent de commencer à vouloir changer de cap ?
Les Bloquistes et les Péquistes auraient intérêt à mieux connaître cette expérience historique de la société québécoise issue de leur propre tradition collective. Refaire le même parcours historique aujourd’hui, c’est se condamner au même échec à court ou à moyen terme. Une perte de temps qui entraînera de nouveaux effets pervers sur la société québécoise.
Les chefs souverainistes actuels devraient chercher rapidement ailleurs leurs sources d’inspiration. Dans le cas de Gilles Duceppe, il porte le poids de l’Union de 1840 dont il n’accepte pas les conséquences néfastes pour son parti et pour les Québécois-Français. Quant à André Boisclair, il est beaucoup trop suffisant et innocent pour comprendre les effets néfastes de la position des indépendantistes-optimistes (cf. les références ci-dessous). Des Duceppe et des Boisclair, il y en a pléthore dans nos universités et tous nos instituts, centres, observatoires, chaires du Canada et le reste… Le « MOUVEMENT » ne peut venir de ce côté-là.
Consulter : Maurice SÉGUIN, L’idée d’indépendance au Québec. Genèse et historique. 2e éd., Trois-Rivières, Les éditions Boréal Express, 1971 (coll. « 17/60 »), p. 15-32. VOIR aussi : Bruno DESHAIES. « Maurice Séguin occupe-t-il une place unique dans l’historiographie ? » Colloque de la Chaire Hector-Fabre autour de la pensée de Maurice Séguin. Dans VIGILE.NET : Chronique du jeudi 19 octobre 2006 (Indépendance du Québec 262).
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Curieuse coïncidence, nous avons retrouvé la même idée dans l’ouvrage monumental de l’historien Daniel Boorstin portant sur l’Histoire des Américains. Il analyse cette question de « Mouvement » au sujet de la recherche atomique ainsi que de la conquête spatiale aux États-Unis. Par exemple, en ce qui concerne la recherche spatiale, il arrive à cette conclusion très intéressante que le président Eisenhower fut lui-même entraîné dans le « Mouvement » ainsi que Kennedy ou Truman au sujet de la bombe atomique. Voici comment il nous explique la chose :
« La vitesse acquise par le « Mouvement » avait, naturellement, dominé l’aventure spatiale. En dépit des doutes sérieux qu’il éprouvait, et en dépit de son manque d’imagination quant aux possibilités offertes par un programme d’exploration de l’espace, le président Eisenhower n’en approuva pas moins un budget de plus de 1 milliard de dollars pour la N.A.S.A. La décision prise par le président Kennedy d’aller de l’avant et de déposer un Américain sur la Lune comportait plus d’un trait commun avec celle qu’avait prise le président Truman d’avoir recours à la bombe atomique. L’élan de la guerre avait cessé, mais d’autres forces étaient à l’œuvre : la rivalité avec les Soviétiques, et surtout l’ampleur et la vitesse de l’entreprise spatiale elle-même. Le président Kennedy revendiquait personnellement la responsabilité de cette entreprise mais cette décision d’aller sur la Lune apparaît, dans une perspective historique, moins comme un acte positif que comme une décision de ne pas bloquer un nouvel et gigantesque effort aux aspects multiples. » (Dans Histoire des Américains, Paris, Robert Laffont, 1981/1991/2003, page 1486.)
Voilà le nœud gordien du problème. Ceux qui pensent que les partis politiques souverainistes feront l’indépendance du Québec se leurrent magistralement. Pour que l’événement se produise, il faut quelque chose de plus que la politique partisane ou des chefs politiques souverainistes qui ne voient rien d’autre qu’une indépendance du Québec dans l’association. Ce n’est vraiment rien comprendre à l’indépendance d’une nation que de raisonner inconsciemment ou naïvement dans l’optique fédéraliste et souvent aussi dans l’optique impérialiste. Or, justement, c’est le « Mouvement » qui parviendra à changer cette donne.
Notre élite nationale doit être entraînée à son corps défendant dans le sillon du « Mouvement » comme le fut le président Kennedy pour « ne pas bloquer un nouvel et gigantesque effort aux aspects multiples ». Si tel était le cas, elle aurait donc l’obligation de gérer le « Mouvement » au lieu de lui faire obstacle comme elle le fait bêtement en ce moment. Les paroles creuses ne passent plus chez les indépendantistes.
QUANT À CE CHEF QUE NOUS CHERCHONS DÉSESPÉRÉMENT, IL FAUT D’ABORD LE FORMER À L’OPTIQUE INDÉPENDANTISTE. IL FAUT AUSSI CONSTITUER UNE ÉQUIPE D’HOMMES D’ACTION ET DE PENSEURS QUI SOIT CAPABLE DE FAIRE AUTRES CHOSES QUE D’ÂNONNER LE DISCOURS DU DÉSÉQUILIBRE FISCAL OU DE LA SOUVERAINETÉ-ASSOCIATION SOUS QUELQUE FORME QUE CE SOIT OU DE TOURNER EN ROND SUR LE PROJET DE PAYS TOUJOURS PLUS LOIN DE NOUS AU FUR ET À MESURE QUE NOUS NOUS EN APPROCHONS, ETC.
Un ami me faisait dernièrement parvenir ce « cours de langue de bois » qui pourrait certainement s’appliquer aux porte-parole de la souveraineté du Québec.
ECOLE NATIONALE D'ADMINISTRATION - E.N.A.
COURS DE LANGUE DE BOIS
Commencez par la case en haut à gauche, puis enchaînez avec n’importe quelle case en colonne 2, puis avec n’importe laquelle en 3, puis n’importe laquelle en 4 et revenez ensuite où bon vous semble en colonne 1 pour enchaîner au hasard…
Mais surtout, n'oubliez pas d’y mettre l'intonation et la force de conviction...
1 | 2 | 3 | 4 |
Mesdames, messieurs, | la conjoncture actuelle | doit s’intégrer à la finalisation globale | d’un processus allant vers plus d’égalité. |
Je reste fondamentalement persuadé que | la situation d’exclusion que certains d’entre vous connaissent | oblige à la prise en compte encore plus effective | d’un avenir s’orientant vers plus de progrès et plus de justice. |
Dès lors, sachez que je me battrai pour faire admettre que | l’acuité des problèmes de la vie quotidienne | interpelle le citoyen que je suis et nous oblige tous à aller de l’avant dans la voie | d’une restructuration dans laquelle chacun pourra enfin retrouver sa dignité. |
Par ailleurs, c’est en toute connaissance de cause que je peux affirmer aujourd’hui que | la volonté farouche de sortir notre pays de la crise | a pour conséquence obligatoire l’urgente nécessité | d’une valorisation sans concession de nos caractères spécifiques. |
Je tiens à vous dire ici ma détermination sans faille pour clamer haut et fort que | l’effort prioritaire en faveur du statut précaire des exclus | conforte mon désir incontestable d’aller dans le sens | d’un plan correspondant véritablement aux exigences légitimes de chacun. |
J’ai depuis longtemps (ai-je besoin de vous le rappeler ?), défendu l’idée que | le particularisme dû à notre histoire unique | doit nous amener au choix réellement impératif | de solutions rapides correspondant aux grands axes sociaux prioritaires. |
Et c’est en toute conscience que je déclare avec conviction que | l’aspiration plus que légitime de chacun au progrès social | doit prendre en compte les préoccupations de la population de base dans l’élaboration | d’un programme plus humain, plus fraternel et plus juste. |
Et ce n’est certainement pas vous, mes chers compatriotes, qui me contredirez si je vous dis que | la nécessité de répondre à votre inquiétude journalière, que vous soyez jeunes ou âgés, | entraîne une mission somme toute des plus exaltantes pour moi : l’élaboration | d’un projet porteur de véritables espoirs, notamment pour les plus démunis. |
Voici un exemple de cette langue de bois.
« Je reste fondamentalement persuadé que la volonté farouche de sortir notre pays de la crise interpelle le citoyen que je suis et nous oblige tous à aller de l’avant dans la voie d’une valorisation sans concession de nos caractères spécifiques. »
Ajoutons cet autre exemple du même acabit.
« Le capital de connaissance à valeur ajoutée (value-added knowledge capital) sera source de synergie (synergy) à travers un paradigme nouveau qui fera effet de levier (leverage) et qui incitera (incitivize) les gens de visions (envisioneer) à réfléchir. »
Combien de fois n’avez-vous pas lu un communiqué ou un article à la sauce technologique utilisant la langue de bois tout en étant totalement incompréhensible pour le commun des mortels. La firme conseil Deloitte vient de mettre en ligne Bullfighter, un progiciel qui analyse de tels textes et qui repère les expressions creuses qui ne veulent rien dire.
Ce problème « du jargon et des clichés » dans la communication verbale ou écrite n’est pas restreint au monde politique, il appartient aussi au monde scientifique et à de nombreux groupes sociaux. Il y a bien des façons de faire vivre la langue de bois.
Mais au-delà de la langue de bois, il y a aussi cette incapacité à penser par soi-même, à réfléchir et à organiser ses idées de telles manières qu’elles deviennent claires et limpides. Les exemples que nous avons sous les yeux reflètent une morbidité de la communication. L’intention de ne pas « dire » est plus important que de le dire clairement. Et le plus grave encore consiste à ne plus pouvoir penser en présence des faits.
Voilà un type de discours que le prochain CHEF ne devrait pas tenir. Il devrait aussi éviter de tomber dans le piège de la pensée magique ou des idées conventionnelles. Le nouveau messie (!) devra quitter cette école de l’indépendance afin qu’il apprenne à faire ses gammes et à se déprogrammer de toutes les velléités fédéralistes qui constituent l’obstacle majeur à la réalisation de l’INDÉPENDANCE DU QUÉBEC. En plus, il devra être un homme de convictions inébranlables pour conduire la société québécoise vers l’objectif final : L’INDÉPENDANCE DU QUÉBEC.
Bruno Deshaies
Blog : Le Rond-Point des sciences humaines
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1 commentaire
Normand Perry Répondre
18 janvier 2007Ce texte est tout simplement délectable, Bruno Deshaies doit en avoir grande fierté.
Je félicite l'auteur de dire avec éloquence et élégance ce que je tente d’illustrer depuis novembre 2005.
Reste à savoir si le message sera enfin compris dans les grandes sphères d’influences du mouvement souverainiste.
Normand PERRY.