Les Québécois auraient la chance de bénéficier de la protection de plusieurs chartes: la Charte canadienne des droits et libertés, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et la Charte de la langue française. Ces trois chartes ont toutes en commun qu'elles induisent le postulat que les Canadiens français du Québec forment une majorité. Une lecture contraire à la réalité!
Par une fiction purement juridique, ces chartes transforment une minorité canadienne de langue française en majorité québécoise, de sorte que les Canadiens français du Québec ne peuvent pas jouir de la même protection juridique que les autres minorités canadiennes et québécoises. Comble de l'ironie, ils sont moins bien protégés que les Canadiens anglais du Québec, qui eux possèdent le statut de minorité, alors que nous baignons dans une mer d'anglophones.
Dans un tel contexte, nonobstant le fait qu'une loi puisse bénéficier de l'exception du caractère raisonnable, ce qui n'est pas le cas ici en vertu du jugement majoritaire de la Cour d'appel, la Charte de la langue française ne pourra jamais trouver grâce aux yeux des tribunaux puisqu'elle ne peut objectivement passer les tests de légalité des deux chartes des droits, qui offrent leurs protections seulement aux minorités. Ce que les Canadiens français ne sont pas en vertu de nos chartes.
Bien qu'étant une minorité au sein du Canada, les Canadiens français ont été transformés légalement en majorité de la même façon que le Canada a parqué légalement ses autochtones dans des réserves. Les lois canadiennes et québécoises ont créé de toutes pièces, par de pures fictions, des situations discriminatoires envers deux des trois peuples fondateurs à l'encontre de la réalité des faits objectifs. Ils ont sacrifié ces peuples sur les autels du multiculturalisme au Canada et de l'interculturalisme au Québec. Peu importe les mots, les résultats sont les mêmes.
Comme on peut le constater, le problème de nos chartes, c'est qu'elles-mêmes ne passent pas le test de l'objectivité des faits qu'elles interprètent. Elles décrivent une réalité tout autre que celle que nous percevons et vivons chaque jour sur le terrain. Elles appellent majorité une minorité et minorité une majorité.
Dans un tel contexte, les jugements rendus par les cours de justice ne peuvent pas être cohérents avec la réalité sociologique et dans cette perspective, la Charte de la langue française continuera à être grugée et invalidée d'une cause à l'autre par les tribunaux tant que la fiction légale décrite dans les chartes ne correspondra pas à la réalité objective des faits sur le terrain. Les Canadiens français forment une minorité au sein du Canada même s'ils donnent l'illusion d'être majoritaires au Québec, et leur langue est menacée par la langue anglaise.
La grenouille québécoise qui se croit aussi grosse que le boeuf canadien continuera donc à se dégonfler au fil des jugements jusqu'à ce qu'elle soit complètement disparue. Le fait que nous soyons maintenant une nation reconnue au sein du Canada ne fera qu'accélérer ce processus. Cette nouvelle fiction encouragera les tribunaux à interpréter les chartes comme si nous étions désormais une majorité bien établie à l'abri de tout danger. Encore là, il s'agit d'une fiction qui ne passe pas le test des faits. À force de s'enfler de fausses reconnaissances comme celle de nation et de société distincte, notre bulle chimérique, à défaut de se dégonfler, finira par éclater. Comment peut-on objectivement être une nation sans l'attribut fondamental qu'est la souveraineté?
Comme le Québec risque de ne jamais accéder à cette essentielle souveraineté, préférant l'illusion tranquille de la reconnaissance canadienne à la tourmente indépendantiste, le législateur québécois devrait faire preuve de plus de prudence et de rigueur lors d'adoption de lois qui protègent ses minorités. Tout d'abord, les chartes québécoises devraient mieux décrire la réalité sociologique du Québec: les Canadiens français ne forment pas une majorité, encore moins une majorité linguistique, ils forment une minorité prépondérante de langue française sur le territoire du Québec. Ils doivent donc obtenir cette reconnaissance s'ils veulent bénéficier d'une protection pleine et entière des chartes québécoise et canadienne des droits.
Dans un tel contexte, la Charte de la langue française serait légitimée de protéger cette minorité prépondérante en péril au sein du continent nord-américain. Les cours de justice ne pourraient alors continuer à invalider la Charte de la langue française chaque fois qu'un présumé nouvel anglophone réclame plus de droits pour sa majorité non prépondérante de langue anglaise.
À cet égard, l'article 15 de la Charte canadienne des droits reconnaît le droit à l'égalité pour toutes les minorités et comme corollaire, le droit à une protection légale. Le législateur québécois devrait donc s'appuyer sur l'article 15 de la Charte canadienne pour amender les deux chartes québécoises en reconnaissant le caractère prépondérant de la minorité canadienne française sur le territoire du Québec. Les enjeux seraient alors plus clairs puisque nous aurions dès lors cessé de nous bercer d'illusions sur notre présumée existence majoritaire, sachant que la seule façon pour les Canadiens français de devenir majoritaires au sein du Québec serait d'accéder à la souveraineté.
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Louis Lapointe, Avocat et directeur de l'École du Barreau du Québec de 1995 à 2001
Le mensonge des chartes
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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