Québec -- À quelques jours du 30e anniversaire de l'adoption de la Charte de la langue française, un jugement de la Cour d'appel conteste certaines des limites qu'elle impose en matière d'accès à l'école anglaise. Résolu à défendre la Charte, le gouvernement libéral entend porter la cause en Cour suprême et les deux partis d'opposition l'appuient.
Les dispositions contestées par la Cour d'appel avaient été adoptées à l'unanimité en 2002 par l'Assemblée nationale (loi 104) après qu'on eut découvert l'existence d'une brèche dans la loi 101 qui permettait à des enfants d'accéder à l'école anglaise régulière si leurs parents les envoyaient d'abord dans une école anglophone privée non subventionnée.
Non seulement ce détour par l'école privée leur permettait-il un accès illimité à l'école anglaise publique, mais il donnait ces mêmes droits à leurs frères et soeurs ainsi qu'à leurs descendants. On estime que 4000 enfants auraient profité de cette possibilité entre 1997 et 2002.
Hier, le gouvernement Charest n'a pas tardé à réagir. «Il est important de nous assurer que l'enseignement se fasse majoritairement en français, a déclaré la ministre de l'Éducation Michelle Courchesne en après-midi. Le gouvernement a pris la décision d'aller en appel.»
Afin de maintenir le statu quo dans cette affaire, le gouvernement a en outre demandé un sursis pour empêcher l'application immédiate du jugement. Dès lors, les 57 élèves additionnels touchés par la mesure cette année ne pourront pas se prévaloir de ce droit à la rentrée.
Défendue par l'avocat Brent Tyler, la cause avait été portée devant la Cour d'appel par un groupe d'une vingtaine de parents majoritairement allophones. Ces derniers ont plaidé que la loi 104 contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés. Un argument que la Cour supérieure et le Tribunal administratif avaient rejeté dans le passé.
Or, cette fois, les requérants ont convaincu deux des trois juges de la Cour d'appel -- les juges Dalphond et Hilton -- qui font notamment valoir dans le jugement qu'il y aurait d'autres moyens de protéger la loi 101 et qu'il faut tenir compte d'un arrêt de la Cour suprême de 2005 (l'arrêt Solski) selon lequel les dossiers devraient être évalués individuellement en matière d'accès à l'école anglaise. Le troisième magistrat, le juge Lorne Giroux, a estimé que les amendements apportés par la loi 104 étaient justifiés.
Dans son jugement, le juge Hilton stipule que la disposition de la loi est incompatible avec l'article 23 de la Charte canadienne des droits.
Son collègue le juge Dalphond ajoute que «la Charte ne fait pas de distinction entre l'enseignement dispensé par une école publique ou une école privée, subventionnée ou non, et rien ne justifie rationnellement d'y lire une telle distinction».
Mais le juge Giroux, dissident, considère que le gouvernement québécois «est investi de la mission de protéger l'avenir de la majorité francophone du Québec» et il croit que la disposition mise de l'avant par le gouvernement québécois en 2002 est compatible avec la Charte canadienne des droits.
Consensus de tous les partis
À quatre jours des célébrations du 30e anniversaire de la Charte québécoise de la langue française, plusieurs déploraient hier qu'on rouvre de nouveau ce dossier controversé. «Ça arrive à un bien mauvais moment, s'indignait hier le député péquiste Pierre Curzi. Avec toutes les questions qu'on a actuellement sur l'identité, le fait que les immigrants les plus fortunés puissent contourner la loi, ça va à l'encontre de ce qu'on veut faire en matière d'intégration des immigrants.»
Les deux partis d'opposition se sont ralliés à la décision du gouvernement d'aller défendre la loi 101 devant le plus haut tribunal du pays. «On pense que le gouvernement "n'avait pas d'autre choix que" de porter cette décision-là en appel», a commenté le leader de l'opposition adéquiste, Sébastien Proulx. «Puisque ce qu'elle vient faire, c'est restreindre l'application de nos lois de défense du fait français.»
Pour le président de la Société Saint-Jean-Baptiste, Jean Dorion, cette décision est une preuve de plus, que des «juges nommés par le fédéral» ne devraient pas avoir le pouvoir de «décider quelles doivent être les lois linguistiques au Québec».
M. Dorion, qui avait alerté l'opinion publique avant 2002 sur l'existence de cette brèche dans la Charte, souligne qu'avant l'entrée en vigueur de la loi 104, on assistait à un «grignotement continu de la loi 101» et que les amendements votés par l'Assemblée nationale pour restreindre l'accès à la langue anglaise avaient permis de «rétablir les choses et empêché que le français perde du terrain comme il le faisait depuis 12 ans».
Le Mouvement national des Québécois a également déploré le jugement tombé hier, pressant Québec d'imaginer rapidement une façon de «colmater l'importante brèche».
La Centrale des syndicats du Québec a lancé le même message: «Il faut tout mettre en oeuvre afin de s'assurer que personne ne puisse utiliser de subterfuge pour contourner l'obligation de fréquenter l'école française et redonner à la Charte sa portée universelle. L'enjeu ici, c'est la protection de la langue française au Québec», a fait valoir le président de la CSQ, Réjean Parent, qui craint que la décision n'alimente l'inquiétude de la population sur l'identité nationale.
Celui qui était à l'origine de l'amendement législatif, l'ancien président de la Commission sur la langue française Gérald Larose, qui préside aujourd'hui le Conseil de la souveraineté, a vigoureusement dénoncé le «travail de sape» de la loi 101 mené par le «juge anglais». «Manifestement, dans le cadre constitutionnel actuel, l'activité législative suffit de moins en moins à protéger et à promouvoir le fait français en Amérique. Il devient urgent de changer l'environnement global pour qu'en devenant un pays, le Québec soit français», a plaidé M. Larose.
Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a quant à lui exhorté les chefs des partis politiques fédéraux à appuyer l'Assemblée nationale du Québec et à reconnaître sa légitimité dans la défense de la langue française. «Lorsqu'on reconnaît la nation québécoise, il faut également reconnaître que le français est la langue officielle de cette nation et que le gouvernement québécois a le devoir de prendre tous les moyens nécessaires pour défendre le français sur son territoire», a lancé M. Duceppe hier.
À l'instar de plusieurs intervenants de la société civile, Gilles Duceppe a invité les Québécois à participer nombreux à la marche populaire qui se tiendra dimanche prochain, à l'occasion du 30e anniversaire de la loi 101. Le rassemblement, organisé par le mouvement Montréal français, aura lieu à 13h au métro Mont-Royal.
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Avec la collaboration de Clairandrée Cauchy et la Presse canadienne
La loi 101 devant la Cour suprême
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