Il y a quelques mois à peine, les libéraux semblaient encore imbattables. Les sondages dressent toutefois un tout autre portrait depuis le retour de Justin Trudeau de l'Inde : la popularité du premier ministre s'estompe et ce sont les conservateurs qui en profitent. En devenant le meneur et, donc, la cible des attaques, Andrew Scheer fera face à son premier vrai test.
Un texte de Philippe-Vincent Foisy, animateur du balado La mêlée politique
Si la population était appelée aux urnes aujourd’hui, les conservateurs auraient une chance sur deux de former un gouvernement majoritaire, selon l'analyste de sondages Éric Grenier de CBC.
Les conservateurs récoltent 38 % des intentions de vote, les libéraux 34 % et le Nouveau Parti démocratique 18 %.
Que s’est-il passé?
Jusqu’à tout récemment, Justin Trudeau jouissait d’une certaine immunité. Le « elbowgate » n’avait pas eu d’impact dans les sondages; l’abandon de la réforme électorale non plus. Mais son voyage en Inde a marqué le début d’une descente qui se poursuit.
Les photos en habit traditionnel, la controverse entourant la présence de Jaspal Atwal, mais surtout la minceur du menu politique et économique ont porté un coup dur à sa cote de popularité.
Mais ce n’est pas tout.
Les controverses qui ont marqué la semaine politique, soit les consultations à propos du racisme et la politique sur le langage neutre à Service Canada, ont alimenté les chroniqueurs, qui ont dépeint le premier ministre comme un idéologue voulant imposer sa vision aux Canadiens.
« Justin Trudeau est devenu tellement identifié à des priorités de type kumbaya peoplekind qu’il donne l’impression de ne plus diriger un gouvernement sérieux », a écrit Don Martin, de CTV.
Selon Chantal Hébert, du Toronto Star, plusieurs électeurs qui avaient choisi d’écarter Stephen Harper du pouvoir parce qu’il était trop idéologique « se demandent s’ils ne se retrouvent pas avec un gouvernement qui est encore plus motivé par l’idéologie ».
D’autant plus que Justin Trudeau avait accusé son prédécesseur conservateur d’être lui-même un idéologue.
Les conservateurs en profitent
En ce moment, Justin Trudeau est le meilleur allié d’Andrew Scheer. Le nouveau chef conservateur, qui tarde toujours à se faire connaître, est la valeur refuge des électeurs insatisfaits.
Surtout que le chef du NPD, Jagmeet Singh, a dû répondre à des critiques provenant de son caucus pour sa participation à des événements prônant l’indépendance sikhe. Il n’a pas voulu plier, admettant toutefois qu’il évitera de se rendre à des rassemblements prônant la violence.
« Si je le sais à l’avance, je n’irai pas à un événement où quelqu’un prône la violence politique, a-t-il indiqué mercredi après avoir rencontré ses députés. Si quelqu’un y parle d’autonomie, d’autodétermination, cela ne m’inquiète pas. »
Les Québécois voient aussi que les déchirements au Bloc québécois se poursuivent. Martine Ouellet espérait calmer les critiques en annonçant un vote de confiance, lundi. Une annonce qui en a surpris plusieurs au sein même de la famille bloquiste. Le président du parti Mario Beaulieu, qui était aussi un allié de Mme Ouellet, n’était toutefois pas présent à l’annonce. Il aurait d’ailleurs demandé à la chef de quitter son poste.
Pendant ce temps, Andrew Scheer a écrit une lettre ouverte pour courtiser les électeurs bloquistes déçus. Ses troupes sont aussi restées discrètes au sujet des malheurs de Jagmeet Singh, même si l’immigration, le terrorisme et l’identité sont des thèmes qu’elles n’hésitent habituellement pas à commenter. Les conservateurs doivent toutefois éviter que le vote néo-démocrate ne s'effrite trop au profit des libéraux.
Les conservateurs ne sont pas montés aux barricades pour critiquer le nouveau projet de loi sur les armes à feu. Ils veulent éviter d’être clairement identifiés comme un parti proarmes et ainsi se mettre à dos tous les autres citoyens pour qui le contrôle des armes à feu est important.
Parce que pour aspirer à remporter l’élection en 2019, Andrew Scheer doit courtiser des électeurs non conservateurs : les proarmes et les pro-vie lui sont déjà acquis.
Andrew Scheer ne peut toutefois pas miser uniquement sur la faiblesse de ses adversaires. En politique, les tempêtes finissent par passer. Le Bloc québécois n’est peut-être pas mort. Les libéraux, qui gouvernaient sans souci, et parfois avec arrogance, ont senti le choc des derniers sondages et devraient ajuster le tir.
La personnalité d’Andrew Scheer, ses propositions et son équipe feront l’objet de beaucoup plus d’attention. Il aura l’occasion de se définir et de décider s’il n’est que « Stephen Harper avec un sourire ».
Les correspondants du bureau parlementaire de Radio-Canada en parlent dans le dernier épisode de La Mêlée politique.