Le maître du jeu

Québec 2007 - le facteur «Canada»


On a beaucoup parlé du sort qui sera réservé aux engagements financiers d'Ottawa au lendemain des élections québécoises. Ce débat, gracieuseté du chef libéral Jean Charest, a heureusement été pratiquement tué dans l'oeuf par le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty. Peu importe qui gagne au Québec le 26 mars, Ottawa respectera ses promesses. Encore faut-il que son budget soit adopté...
On touche ici au vrai problème, soit la présentation d'un budget fédéral au beau milieu d'une élection provinciale. Et pas n'importe quel budget, mais bien celui qui doit répondre à une revendication centrale du Québec, à savoir la résolution du déséquilibre fiscal. En décidant de plonger avant de connaître cette réponse, Jean Charest a offert au premier ministre Stephen Harper l'occasion d'influencer la donne, en plus de renforcer sa position aux Communes. Ce qu'Ottawa annoncera en matière de transferts aux provinces dans le budget du 19 mars aura un effet direct sur les partis en présence au Québec en plus de mettre sur la sellette l'opposition à Ottawa, en particulier le Bloc québécois.
Rien n'obligeait Stephen Harper à jouer ce jeu. Le budget fédéral aurait pu être présenté le lendemain du scrutin québécois. Ce n'est pas le cas et c'est à l'image de l'homme qui a un faible pour l'intimidation de ses adversaires. Comme il l'avait fait avec le vote sur le prolongement de la mission canadienne en Afghanistan, il a choisi le moment propice pour transformer un enjeu fondamental en tactique partisane.
Les partis d'opposition, surtout le Bloc québécois, ne pourront pas jauger le budget de la même manière que d'habitude. Ils devront tenir compte de l'impact de l'adoption ou de la défaite du budget sur la campagne québécoise. Leur choix pourrait en fait affecter le résultat du vote du 26 mars. C'est même presque inévitable puisque la semaine qui suivra le dépôt du budget, celle consacrée normalement au débat, coïncidera avec le dernier droit de la campagne québécoise.
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Cette inconnue budgétaire a, au-delà des escarmouches de la dernière semaine, déjà affecté la campagne du Parti libéral du Québec et du Parti québécois. Ni l'un ni l'autre n'ont pu aller au bout de leurs idées. Le ministre des Finances, Michel Audet, l'a lui-même avoué en présentant son budget-cadre-financier-électoral la veille du déclenchement des élections. Peu importe quel parti gagne, il devra présenter un nouveau budget provincial pour tenir compte de celui d'Ottawa. Samedi, le chef péquiste André Boisclair a précisé que sa «feuille de route» pourrait être revue à la lumière du budget fédéral.
Un député bloquiste, visiblement agacé par la tournure des événements, disait voir dans toute cette affaire une preuve éloquente du déséquilibre fiscal. Il n'a pas tort. S'il y avait un certain équilibre, si Québec avait le plein contrôle de ses ressources financières, les partis pourraient sans attendre exposer toutes leurs politiques touchant des compétences exclusivement provinciales.
Le seul palliatif à l'incertitude actuelle aurait été d'attendre le dépôt du budget fédéral avant de déclencher les élections. M. Charest lui-même avait accusé le chef bloquiste d'irresponsabilité quand il avait évoqué la possibilité de défaire le gouvernement Harper avant le budget. Le chef libéral avait soutenu que lui attendrait ce budget avant d'aller aux urnes.
En agissant autrement, il a lui-même fait du budget fédéral un enjeu de la campagne actuelle et accepté qu'Ottawa y ait un rôle. Pis, il s'est mis à la merci du gouvernement Harper, perdant tout pouvoir de négociations. S'il juge les transferts insuffisants, il ne pourra pas vraiment le dire sans avoir l'air d'avoir échoué vis-à-vis du fédéral.
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Il est vrai que les chiffres publiés la semaine dernière dans la Revue financière du ministère fédéral des Finances ont tout pour donner espoir à Jean Charest. Avec un surplus accumulé de 7,3 milliards au cours des neuf premiers mois de l'année financière en cours, Ottawa a une marge de manoeuvre. Il a d'ailleurs commencé à l'utiliser. Pour accroître de 200 millions l'effort humanitaire en Afghanistan et créer la fiducie environnementale de 1,5 milliard, dont le Québec profitera à hauteur de 350 millions. (Notons en passant que cette annonce faite tout juste avant les élections n'avait prétendument rien à voir avec le scrutin québécois, ce qui explique peut-être pourquoi aucune autre province ne sait encore combien elle recevra... )
À la décharge des conservateurs, ils n'ont pas attendu leur budget pour faire connaître leurs intentions générales en ce qui a trait à l'utilisation d'une partie des surplus. De plus, ils ne les ont pas utilisés - pour l'instant, du moins - pour s'immiscer dans des domaines de compétence exclusive des provinces.
Il y aura donc de l'argent pour les provinces dans ce budget. Personne n'en doute. Mais que fera l'opposition? Le Bloc québécois a mis la barre haute en matière de résolution du déséquilibre fiscal. Il exige 3,9 milliards. Personne ne s'attend à pareille générosité d'Ottawa. Le chiffre qui circule oscille généralement entre 1,5 et deux milliards, en incluant les fonds pour l'environnement. Le Bloc ne peut évidemment ouvrir son jeu maintenant, car ce serait donner un chèque en blanc au gouvernement. Si le budget contient des horreurs, le BQ doit encore être capable de le rejeter. Mais le montant en jeu ne pourra pas être sa seule considération.
Son avenir politique, celui de son allié à Québec, la perspective pour le Québec de tout perdre ou non avec un autre gouvernement que celui de Stephen Harper vont entrer en ligne de compte. Mais le pire pour les bloquistes est qu'ils devront porter ce jugement avant de connaître l'issue de l'élection québécoise, et là se trouve le piège tendu par Stephen Harper. Peu importe ce qu'il fera, le Bloc risque d'en sortir perdant. S'il appuie le budget, Jean Charest tentera de toute évidence de prendre le crédit pour la résolution, du moins partielle, du déséquilibre fiscal et ainsi marquer des points contre le PQ. Si le Bloc s'oppose, il se fera accuser de nuire aux intérêts du Québec. À Ottawa, le seul gagnant de cette juxtaposition d'enjeux risque d'être Stephen Harper, et ce, peu importe les scénarios.


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