Vingt ans après Meech, quinze ans après le référendum, la longue marche pour améliorer le statut politique du Québec s'est arrêtée. L'espoir peut-il naître du marasme ambiant? Et si l'identité québécoise était la clé? Les réflexions de Brian Mulroney, Gilles Duceppe, Jean-Claude Rivest, Jean-François Lisée, Benoît Pelletier et Christian Dufour.
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Est-ce que le seul projet politique national du Québec se réduit maintenant à fêter la Saint-Jean une fois par année? La question est provocatrice, mais elle mérite d'être posée. L'échec de l'accord du lac Meech, c'était il y a 20 ans. La défaite des souverainistes au référendum, bientôt 15. «Dans les deux cas, c'est passé très près de réussir», dit le sénateur indépendant Jean-Claude Rivest, ancien conseiller politique du premier ministre Robert Bourassa. D'où le traumatisme dans les deux camps.
Depuis, les deux démarches traditionnelles de la politique québécoise semblent irrémédiablement bloquées. Jadis, les partis politiques étaient mus par le désir de trouver une place confortable au Québec dans le Canada ou encore de bâtir un pays. Rapatrier des pouvoirs ou aller chercher tous les pouvoirs.
Les militants adhéraient entre autres aux partis politiques pour ces raisons, motivés par une option quant à l'avenir du Québec. Cela explique peut-être le fait que les formations politiques d'aujourd'hui, dénuées de ce moteur, apparaissent très souvent comme de simples machines à financement. Et c'est peut-être pour cette raison que ce sujet occupe autant de place sur notre scène politique. Le résultat est à l'avenant: les débats ne volent pas haut et très souvent, c'est la déprime et le cynisme collectif qui l'emportent.
«On est dans un hiver politique», poursuit Jean-Claude Rivest, rencontré dans son bureau d'Ottawa. «Il n'y a pas l'ombre du commencement d'une volonté de réforme du fédéralisme, au Québec et au Canada. Le projet souverainiste est aussi sur la glace. Qu'il y ait une pause dans les démarches, c'est normal. Mais 15 et 20 ans, c'est long.» Le fait que le Parti libéral du Québec et l'ADQ n'aient pas de revendications claires vis-à-vis d'Ottawa et ne poussent pas à la roue du changement, «c'est exceptionnel dans l'histoire récente du Québec», dit M. Rivest.
Chez les fédéralistes, le fameux «fruit» constitutionnel dont avait l'habitude de parler l'ancien ministre libéral Benoît Pelletier ne semble plus vouloir mûrir. On dirait qu'il a été irradié. Récemment encore, interpellé par le PQ, le ministre libéral Robert Dutil admettait à l'Assemblée nationale que les revendications constitutionnelles sont «en veilleuse». À Ottawa, le gouvernement Harper dit que «le terreau n'est pas fertile». Deux métaphores agricoles pour parler du même échec.
Un manque de courage?
Quelqu'un va-t-il oser relancer des négociations constitutionnelles pour satisfaire les demandes historiques du Québec? L'ancien premier ministre du Canada, Brian Mulroney, initiateur des négociations en 1987 pour ramener le Québec dans «l'honneur et l'enthousiasme», pense que oui. Mais pas à court terme. «Je ne pense pas que ça va se faire dans un avenir rapproché, mais quelqu'un va régler le problème un jour», dit-il.
On sent dans la voix grave et chaude de l'ancien chef conservateur que les cicatrices de cet échec sont encore sensibles. Son «grand rêve», comme il le dit lui-même, est mort le 23 juin 1990. Joint au téléphone, Brian Mulroney refuse d'ailleurs d'accorder une grande entrevue, affirmant qu'il ne veut pas se lancer dans une ronde médiatique qui le forcerait à revenir sur le passé.
Mais après quelques minutes, il laisse filtrer au Devoir quelques réflexions avec une pointe d'optimisme. «Un grand pays du monde qui ne porte pas la signature d'un de ses peuples fondateurs, c'est impensable à long terme», affirme-t-il.
L'ancien premier ministre, qui a négocié Meech et le libre-échange avec les États-Unis, se désole du manque de leadership des politiciens depuis deux décennies. «Il y aurait un livre à écrire sur le sujet! L'absence de leadership, ça nous empêche de prendre des risques. Pourtant, sans risque, on ne peut pas réaliser de grandes choses. Les politiciens doivent choisir entre être populaires ou être des leaders. Ils choisissent trop souvent la première option.»
Pour le chef bloquiste, Gilles Duceppe, les fédéralistes se bercent d'illusions s'ils pensent qu'un jour le fruit d'une nouvelle ronde de négociations constitutionnelles sera mûr. «Il n'y a même plus d'arbre! Il faut que les Québécois se rendent compte qu'on ne va nulle part.» Frondeur, il lance: «Les fédéralistes canadiens sont beaucoup plus fiers. Aucun Ontarien n'accepterait que leur province ne soit pas signataire de la Constitution. Les fédéralistes du Québec sont prêts à manger leur petit pain tranquillement. Ils acceptent le statu quo parce qu'ils manquent de fierté.»
Pas du tout, rétorque Jean-Claude Rivest. «Pour danser, il faut être deux. Les fédéralistes du Québec ne peuvent pas y arriver seuls.» Le Canada change à la vitesse grand V, notamment sur le plan démographique, alors que 65 % des Torontois ne sont pas d'origine canadienne, souligne-t-il. «Il y a une forte immigration et le beau rêve de la dualité linguistique à la Trudeau ou encore le concept des deux peuples fondateurs, ça ne veut rien dire pour les nouveaux arrivants. Ils ont une connaissance au mieux livresque de notre histoire. Ils ne sont pas conscients des enjeux du Québec. Cette immigration, couplée au traumatisme de l'échec de 1990, fait en sorte que le reste du pays ne semble pas vouloir rouvrir le débat.»
Inconscient collectif
L'ancien ministre des Relations intergouvernementales dans le cabinet Charest, Benoît Pelletier, déplore qu'on ait à peu près cessé de parler du dossier constitutionnel. Mais il comprend la situation. «La population ressent une profonde lassitude, même 20 ans après Meech.» Il y a eu Victoria (1971), le 1er référendum (1980), le rapatriement (1981-1982), Meech (1987-1990), Charlottetown (1992), le 2e référendum (1995). «Tout ça a eu des conséquences sur l'inconscient collectif. Les gens ont voulu passer à autre chose.»
De là à faire de cette lassitude la source du cynisme contemporain, il y a un pas qu'il refuse de franchir. «Les gens se donnent des projets sur des questions comme la santé, l'économie, l'éducation... sans les relier nécessairement au débat national.»
Le débat n'est plus le même parce que la vision de l'État a changé, dit Jean-Claude Rivest. C'est le problème des fédéralistes autant que des souverainistes, dit-il. «Les fédéralistes voulaient une réforme du Canada afin d'obtenir plus de pouvoirs pour aider l'État du Québec à se développer. Les souverainistes veulent sortir du Canada pour les mêmes raisons, soit avoir plus de pouvoirs. Mais le système en place n'étant pas si mal, le courant du statu quo a pris de la force et les gens se sont désintéressés de cette question. Le gouvernement n'est plus vu comme un moteur de changement. Les gens ont l'impression qu'un gouvernement, c'est la source des problèmes.»
L'idée du fédéralisme renouvelé n'est pas morte pour autant, dit M. Rivest. Il reviendra sous la forme de la défense de l'identité du Québec, prédit-il. Et les souverainistes prendront aussi ce virage pour ranimer le débat national. «Les gens sont fiers de leur identité et ils veulent qu'on reste Québécois. Il faudra des pouvoirs pour l'assurer. Notamment parce que l'évolution démographique fait baisser notre poids politique à Ottawa. Il faudra réagir pour protéger notre influence et s'assurer d'avoir les leviers pour être pris en compte. Ensuite, il y a l'immigration et la capacité du Québec à intégrer les immigrants à la culture québécoise.»
Jean-François Lisée, ancien conseiller des premiers ministres péquistes Parizeau et Bouchard, abonde dans le même sens. À ses dires, lors de ce «deuxième cycle» fédéralisme-souveraineté qui s'est déroulé de 1987 à 1995, les deux options ont presque réussi à atteindre leur but. «Je ne dis pas qu'on va nécessairement entrer dans un troisième cycle prochainement, mais peut-être qu'un éventuel troisième cycle pourrait le bon!» Et s'il y en a un, il portera sur l'identité, croit-il également.
Christian Dufour, politologue à l'École nationale d'administration publique, affirme que l'une des grandes conséquences de l'échec de Meech, c'est la non-reconnaissance du Québec comme société distincte dans la Constitution. Sans cette clause, «le Québec est devenu totalement prisonnier de l'interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés par la Cour Suprême dans une optique pancanadienne, indépendamment de ce à quoi aspire de façon légitime le peuple québécois». Le résultat se fait sentir dans le débat sur les accommodements raisonnables, dit-il. «Avec la société distincte, on aurait pu plaider que le Québec en ce domaine est en partie différent du reste du Canada.»
Autre exemple lié à l'identité: le jugement de la Cour suprême sur les écoles passerelles. Est-ce que le plus haut tribunal n'aurait pas été tenté de dire que le Québec a droit à plus de pouvoir linguistique pour protéger ce caractère distinct inscrit dans la Constitution? Christian Dufour pense que oui, alors qu'à l'avenir, «il sera de plus en plus difficile de faire admettre la claire prédominance du français au Québec face au libre-choix et au bilinguisme institutionnalisé à la Trudeau».
Le camp souverainiste en attente
De l'autre côté, à chaque rendez-vous péquiste, on scande bien «on veut un pays», mais le slogan s'apparente de plus en plus à une utopie inatteignable, alors que les sondages révèlent qu'une partie de la population, surtout les jeunes, trouve ce débat «dépassé».
Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, reconnaît que l'avenir politique du Québec semble sur la glace. Mais il affirme ne pas être gagné par la déprime. «C'était pire dans le milieu des années 1980», dit-il, ajoutant que son clan souverainiste doit être patient, garder le moral et travailler sans relâche. «Il y a des décennies qui ne valent pas une journée et il y a des heures qui valent des décennies. L'heure où le mur de Berlin est tombé, ça valait des décennies. Mais c'est aussi parce que des gens ont travaillé pendant des décennies que c'est arrivé.»
Jean-François Lisée est bien d'accord. Il ne faut pas exagérer la déprime. «On aurait pu faire exactement la même analyse dans les années 1980. On aurait pu dire que la souveraineté était morte et que le renouveau du fédéralisme, aussi.»
Gilles Duceppe donne en exemple l'Écosse, qui attend son pays depuis des centaines d'années. «Quarante ans dans la vie d'un humain, c'est beaucoup. Mais dans la vie d'un peuple, c'est une poussière», dit-il.
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Également dans ce dossier:
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Le noyau de l'accord
Entrevue avec Elijah Harper - L'«assassin» à la plume ne regrette rien
De la signature à l'échec
Texte intégral de l'entrevue avec Gilles Duceppe
Texte intégral de la déclaration du premier ministre Robert Bourassa faite le samedi 23 juin 1990 après-midi au Salon rouge de l’Assemblée nationale en réaction à l'échec de l'accord du lac Meech, publiée dans Le Devoir du 24 juin 1990.
Déclaration à la nation de Brian Mulroney à la suite de l’échec de l’entente du Lac Meech, le 23 juin 1990.
Le vrai pays - Chronique de Lucien Bouchard publiée dans le Devoir du 26 juin 1990
Vingt ans après Meech
Le long hiver politique québécois
« Il y a des décennies qui ne valent pas une journée et il y a des heures qui valent des décennies. L’heure où le mur de Berlin est tombé, ça valait des décennies. Mais c’est aussi parce que des gens ont travaillé pendant des décennies que c’est arrivé. » (Gilles Duceppe)
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