Il n'a pas fallu longtemps pour que le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, se rende compte de la détermination du président syrien Bachar al-Assad à déstabiliser le Liban, voire toute la région, advenant la mise sur pied du tribunal international sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, tel que le stipule la résolution 1757 du Conseil de sécurité des Nations unies.
C'est ce qui ressort de l'information que le quotidien français Le Monde vient de publier il y a quelques jours à la suite d'une «fuite» initiée par un proche du secrétaire général sur le contenu de la rencontre.
S'il y a un sens à cette «fuite», c'est celui du message que le régime de Damas essaie de faire passer sur sa volonté d'être toujours considéré comme un joueur indispensable dans le dessein du Grand Moyen-Orient, version américaine. D'ailleurs, depuis un certain temps, la Syrie multiplie les signes d'ouverture à une possible reprise des pourparlers de paix avec Israël versus une possibilité d'affrontement contre l'État hébreu. En effet, des rumeurs courent dans les pays arabes selon lesquelles Damas aurait choisi de lancer «au mois de septembre» des attaques de guérilla contre les positions israéliennes sur le plateau du Golan, advenant le rejet d'Israël de se retirer de cette terre syrienne occupée en 1967. Les attaques seraient du type que le Hezbollah avait utilisé contre Tsahal au Liban-Sud.
Assad plus déterminé que jamais
Or, le fait que le régime Assad tente de diffuser de telles informations à qui voudrait l'entendre est en soi un signe que Damas ne lâche pas prise devant les pressions internationales et semble être prêt à aller jusqu'au bout, quitte à déstabiliser non seulement le Liban, mais également l'ensemble de la région. D'ailleurs, à regarder de plus près, l'on se rend compte que la politique syrienne s'aligne de plus en plus sur celle de l'Iran pour contrer une autre politique arabe visant le contrôle de la région, cette fois-ci saoudienne. D'ores et déjà, des observateurs occidentaux et arabes, au fait des politiques internes et régionales des pays arabes, mettent le blâme sur le royaume wahhabite -- et notamment sur ses alliés libanais, dont la famille Hariri en particulier -- pour avoir monté et financé des groupuscules sunnites intégristes afin de faire face au chiisme de l'Iran et du Hezbollah, groupuscules qui, aujourd'hui, se retournent contre l'Arabie saoudite. Ces groupes fondamentalistes seraient ceux-là mêmes qui se battent aujourd'hui au Liban contre l'Armée libanaise, aidés par les Palestiniens des camps militaires dits de réfugiés, et dont la majorité des combattants seraient de nationalité saoudienne. C'est du moins ce que rapportent les journaux arabes dans la région.
Ainsi, face à une marée chiite qui déferle sur le Moyen-Orient, l'Arabie saoudite semble avoir mis le paquet pour former un axe sunnite dont les premiers affrontements se déroulent en Irak et au Liban. Or, soucieuse de préserver sa place sur l'échiquier régional, la Syrie des Assad s'allie à l'Iran pour s'opposer à trois politiques principales qui tentent de changer le visage du Moyen-Orient. La première est la démocratisation de la région telle que vue par l'administration Bush à travers l'élimination du parti Baas irakien et la mise en place d'une démocratie représentative. La seconde est celle de faire du Liban un exemple de cohabitation de différentes communautés aux intérêts souvent divergents, et ainsi, pousser à la naissance de nouvelles entités régionales politiques démocratiques qui remplaceraient les dictatures en place. Finalement, celle de se voir perdre le droit à une voix de choix sur l'échiquier des grands et de participer à la vision américaine sur l'avenir de la région.
Les trois axes de la politique syrienne
Pour ce qui est de la première, Damas a trouvé sa réponse et sa stratégie dans la mobilisation des intégristes et des terroristes, aussi bien chiites que sunnites, en les armant, les entraînant et en leur assurant un refuge et un point de départ pour commettre leurs crimes aussi bien contre les Libanais que contre les Casques bleus de la FINUL. Et lorsqu'ils ne prennent pas la direction de l'Irak pour se battre contre les marines, ils se replient dans les camps militaires palestiniens au Liban. Quant à la seconde, Assad tente de casser une fois pour toutes la notoriété saoudienne par rapport au Liban en brisant le consensus national, en poussant le Hezbollah à paralyser les institutions du pays et en créant le spectre d'une nouvelle guerre d'été à partir du Sud pour ruiner la saison touristique désespérément attendue par l'ensemble des Libanais. La dernière stratégie damascène viserait alors une alliance avec l'Iran puissant pour faire encore peur aux Arabes des pays du Golfe à travers des signaux qui rendent les pays de cette région nerveux, tel que ce fut le cas il y a quelques jours au Bahreïn à la suite des propos tenus par Téhéran, qui demandait le retour de la partie chiite du Bahreïn dans son giron...
Bref, Assad semble avoir lu dans le livre machiavélique de son père feu Hafez al-Assad tout en appliquant ses recettes avec cynisme et détermination, car il n'a plus rien à perdre, mais tout à gagner. La question principale serait alors de savoir si l'Occident tombera encore une fois dans le piège syrien au nom d'une realpolitik qui maintiendrait une certaine stabilité au détriment des libertés, aussi bien du Liban que des autres pays en quête d'un changement notable. La tentative de Paris de rassembler les différentes factions libanaises autour d'un consensus pourrait s'opposer à une partie des plans de Damas, mais c'est aux États-Unis que revient la charge de décider de l'avenir de ce régime de terreur... Or, le problème majeur de Washington, c'est le manque de solutions de rechange au régime actuel en Syrie. Car, entre une dictature d'une minorité alaouite coopérante et un régime d'une majorité sunnite islamiste des Frères musulmans, la logique américaine et celle de l'Occident semblent opter pour la première... Le comble, c'est qu'Assad le sait et en profite pour avancer ses cartes, qui ne tarderaient pas à devenir néfastes pour l'ensemble de la sécurité régionale, mais également internationale!
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Alain-Michel Ayache, Spécialiste du Moyen-Orient, département de science politique, Université du Québec à Montréal
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