De l’Amérique de Reagan à la France de Mitterrand, en passant par la Nouvelle Zélande, les transformations économiques du dernier quart de siècle n’ont été le produit ni du hasard ni de la nécessité. Si, à partir des années 1980, les « décideurs » et les médias du monde occidental ont presque toujours interprété de manière identique les situations de « crise », c’est que tout un travail idéologique était intervenu au préalable, c’est que les solutions alternatives au marché avaient été détruites afin qu’il n’y ait « plus d’alternative ». D’autres interprétations des événements auraient suggéré d’autres remèdes, mobilisé d’autres forces sociales, débouché sur d’autres choix. La « mondialisation », ce fut aussi ce long labeur intellectuel de construction de la « seule politique possible » que favorisa la symbiose sociale entre ses principaux architectes d’un bout à l’autre de la Terre.
Inspirées par des théoriciens de l’université de Chicago, dont l’influence sera considérable au Chili, en Grande Bretagne et aux Etats Unis, les doctrines économiques libérales vont encourager les classes dirigeantes à durcir leurs politiques, à passer d’un système d’économie mixte acceptant une certaine redistribution des revenus à un nouveau capitalisme orienté par les seuls verdicts de la finance. Les artisans de cette métamorphose en tireront un avantage considérable ; pour la plupart des autres, au contraire, ce sera le grand bond en arrière.
***
CONCLUSION« Rien n’est plus répréhensible à mes yeux que cette disposition à fuir,
cette désertion si caractéristique d’une position de principe difficile
dont on sait pertinemment qu’elle est juste. Cette peur de paraître
trop politique et revendicatif, ce besoin d’approbation de la part
d’un tenant de l’autorité ; ce désir de maintenir une réputation d’objectivité
et de modération dans l’espoir d’être sollicité, consulté ou de siéger
dans quelque comité prestigieux, afin de se maintenir au sein du courant dominant,
et de recevoir peut-être un jour un diplôme, un prix, une ambassade. »
Edward Said, Des intellectuels et du pouvoir, Seuil, Paris, 1994, p. 116.
Goldwater, Reagan, Thatcher, Hayek, Friedman : notre monde ressemble chaque jour un peu plus à leurs rêves. Eux ont assez tenu à les réaliser pour ne jamais renoncer, pour attendre que « les lois de l’histoire » basculent de leur côté. En 1964, l’un des penseurs de la droite américaine, William F. Buckley, s’adresse aux jeunes militants conservateurs qui pendant des mois entiers ont organisé des milliers de réunions publiques, collé des millions d’enveloppes, distribué des tracts aux portes des usines et des bureaux. Il sait que son propos va les décevoir. Ils attendent la victoire, ils sentent leur nombre et leur foi, ne croient ni aux sondages ni aux médias. Buckley, lui, a compris. Pour énorme qu’elle soit, la mobilisation du peuple de droite au service de Barry Goldwater ne suffira pas. Pas cette fois, pas encore. Le pays n’est pas prêt, ce serait trop tôt d’ailleurs, la bataille des idées ne fait que commencer. Buckley lui-même n’a que trente neuf ans.
En septembre 1964, il annonce donc « la défaite imminente de Barry Goldwater » à un public d’étudiants républicains persuadés du contraire. C’est le silence, la consternation, quelques sanglots aussi. Puis, avec son style inimitable, très vieille Angleterre, précis et précieux à la fois, Buckley leur explique : « Une pluie diluvienne a gorgé une terre assoiffée avant que nous ayons eu le temps de nous préparer. L’élection de Barry Goldwater supposerait l’inversion des courants constitutifs de l’opinion publique américaine, elle supposerait que cette brigade ardente de dissidents publics dont vous êtes la météore incandescente tout à coup se métamorphose en une majorité du peuple américain, lequel, subitement, surmonterait une lassitude fortifiée par une génération entière, absorberait la vraie signification de la liberté dans une société où la vérité est occluse par les mystifications verbeuses de milliers de savants, de dizaines de milliers d’ouvrages, de millions de kilomètres de papier journal ; un peuple américain qui, prisonnier pendant toutes ces années, parviendrait subitement à fuir avec nonchalance les murs d’Alcatraz et, marchant d’un pas léger sur les mers infestées de requins et de courants contraires, trouverait enfin la sûreté sur la rive (1). » La rive, terre promise, demeurait cependant dans la ligne de mire. Les requins seraient chassés, les courants domptés. Pas cette fois, plus tard. Mais à condition de mobiliser des recrues, « pas seulement pour le 3 novembre, mais pour les prochains novembres, afin d’instiller chez tant de gens l’esprit conservateur que bientôt nous verrons dans cette élection non pas les cendres de la défaite, mais les graines bien plantées de l’espoir. Celles qui fleuriront un beau novembre à venir – si l’avenir existe.(2) » La suite, on la connaît.
La roue a tourné. Sa rotation n’est pas conclue. Les pages qui précèdent ont rappelé l’art et la manière qu’eurent les héritiers de Goldwater de marcher d’un pas léger sur les mers. Les circonstances historiques et les transformations sociales les encouragèrent ; les appuis financiers ne leur firent pas défaut. Mais, au-delà, il n’est pas inutile, à une période où dans le camp de leurs adversaires les « graines de l’espoir » sont moins présentes que les ferments du découragement, de souligner tout ce que le projet libéral a comporté de volonté et de détermination. Jusqu’au jour où les « mystifications verbeuses », les « milliers de savants », les « dizaines de milliers d’ouvrages », les « millions de kilomètres de papier journal » ont rejoint Buckley et son auditoire. Pour renverser l’irréversible, ils ont détruit les foyers de résistance, imposé l’idée que leur victoire serait inéluctable, converti les décideurs à leur cause, pris le contrôle idéologique des principaux partis, créé les conditions de l’impuissance publique, enclenché l’effet de cliquet libéral, assimilé « mondialisation » et ouverture sur l’universel, réduit les impôts afin d’accroître les déficits, utilisé les déficits pour ronger l’Etat social, déniché, enfin, dans chacun de leurs échecs l’irréfragable preuve que les « réformes » n’avaient pas été poussées assez loin… Avec une feuille de route aussi détaillée, les libéraux n’eurent pas le temps de musarder. Juste celui, on imagine, de sourire en entendant ou en lisant si souvent les annonces péremptoires d’une « fin des idéologies », assurément bouffonnes dans un contexte de déploiement méthodique d’une doctrine dorénavant assimilée à la « seule politique possible ».
[…]
Les libéraux n’ont pas compté sur les lois du marché (des idées) pour imposer leur philosophie. D’après un assistant de Barry Goldwater, il valait mieux s’inspirer d’un précepte de Mao Tse-toung : « Donnez moi deux ou trois hommes dans chaque village, et je m’en empare (3). » Ils n’y parvinrent pas à la première tentative. Mais lui et ses amis accordèrent toujours une importance majeure au corps à corps idéologique conduit par un peu petit nombre de militants intellectuels que relaieraient ensuite ceux que Hayek appelait les « brocanteurs d’idées professionnels », c’est-à-dire « les journalistes, les professeurs, les ministres, les conférenciers, les publicitaires, les commentateurs de radio, les écrivains, les caricaturistes et les artistes – qui peuvent tous être passés maîtres dans la technique de la transmission d’idées, mais qui sont généralement des amateurs en ce qui concerne la substance de ce qu’ils transmettent (4). » En tout cas, il n’était pas question de se contenter de prolonger les tendances existantes, de se dissoudre dans l’air du temps, de se plier à l’agenda des médias, à leurs débats et à leurs exigences. Il fallait au contraire préparer l’infléchissement des courbes puis leur retournement – patiemment, avec ténacité. Le travail idéologique, le volontarisme politique et le militantisme feraient naître une nouvelle demande. « Lorsque nous avons commencé, expliquait en 1993 Edwin Feulner, président de la Heritage Foundation, on nous qualifiait d’ ‘ultra-droite’ ou d’ ‘extrême droite’. Aujourd’hui, nos idées – qui sont basées sur les mêmes principes philosophiques qu’il y a deux décennies - appartiennent au courant dominant (5). » Dix ans plus tard, en février 2003, au moment où le président George W. Bush annonça devant l’American Enterprise Institute la guerre à venir contre l’Irak un des responsables de ce think tank semblait faire écho à Edwin Feulner : « Avant, nous étions des extrémistes. Aujourd’hui, nos idées sont au pouvoir. Comme quoi, un groupe tenace peut s’imposer grâce à ses arguments (6). »
La droite et la gauche libérale ne cessent d’invoquer un ordre des marchés, une Jérusalem du capitalisme, une religion qu’on ne discute pas, naturelle et éternelle. Rien n’était plus étranger à Hayek qu’une telle capitulation de l’intelligence et de la volonté. Un de ses textes de 1949 pourrait même servir de modèle à ses adversaires chaque fois que la terreur d’être trop audacieux les paralyse :
« Nous devons être en mesure de proposer un nouveau programme libéral qui fasse appel à l’imagination. Nous devons à nouveau faire de la construction d’une société libre une aventure intellectuelle, un acte de courage. Ce dont nous manquons, c’est d’une Utopie libérale, un programme qui ne serait ni une simple défense de l’ordre établi, ni une sorte de socialisme dilué. Mais un véritable radicalisme libéral qui n’épargne pas les susceptibilités des puissants (syndicats compris), qui ne soit pas trop sèchement pratique, et qui ne se confine pas à ce qui semble politiquement possible aujourd’hui. Nous avons besoin de leaders intellectuels, prêts à résister aux séductions du pouvoir et de la popularité, et qui soient prêts à travailler pour un idéal, quand bien même ses chances de réalisation seraient maigres. Ils doivent avoir des principes chevillés au corps, et se battre pour leur avènement, même s’il semble lointain. Les négociations politiques : qu’ils les laissent aux hommes politiques ! Le libre-échange et la liberté d’entreprendre sont des idéaux qui peuvent encore éveiller l’imagination des foules. Mais un simple ‘libre-échange modéré’ ou un ‘assouplissement des réglementations’ ne sont ni respectables intellectuellement, ni susceptibles d’inspirer le moindre enthousiasme. La principale leçon qu’un libéral conséquent doit tirer du succès des socialistes est que c’est leur courage d’être utopiques qui leur a valu l’approbation des intellectuels ainsi que leur influence sur l’opinion publique, qui rend chaque jour possible ce qui, récemment encore, semblait irréalisable. Ceux qui se sont souciés exclusivement de ce qui semblait réalisable dans tel état de l’opinion se sont constamment rendu compte que tous leurs projets devenaient politiquement impossibles en raison de l’évolution d’une opinion publique qu’ils n’avaient rien fait pour guider. [...] Si nous retrouvons cette foi dans le pouvoir des idées qui fut la force du libéralisme dans sa grande époque, la bataille n’est pas perdue (7). »
Comment imaginer aujourd’hui que le combat contre le libéralisme peut produire autre chose que des déconvenues s’il ne remet pas en cause des piliers de l’ordre marchand aussi déterminants que le libre-échange et la privatisation des services publics, de l’enseignement, de l’information, de la culture, de l’école ? Comment prétendre qu’il serait, sur ces sujets, interdit d’envisager autre chose qu’un « libre-échange modéré » ou une privatisation « citoyenne » ? A l’aune d’une telle timidité, relire une trentaine d’années après sa publication le rapport de la Commission trilatérale, c’est mesurer l’importance du basculement conservateur des intellectuels. En 1973, l’un des piliers de cette commission, Samuel Huntington, s’alarmait de les voir lancer un « défi important » à l’ordre social, afficher « leur dégoût de la soumission des gouvernements démocratiques au ‘capitalisme de monopole’ », se consacrer au « au dévoilement et à la délégitimation des institutions (8). » Plus baroque encore à la lumière de ce qui a suivi, la Trilatérale s’inquiétait de voir ces intellectuels épandre leur « culture d’adversaire » (adversary culture) grâce au concours des journalistes, en qui Michel Crozier identifiait une « très importante source de désintégration des diverses formes de contrôle social », notamment quand ils « tendent à s’organiser de manière à résister à la pression des intérêts financiers et gouvernementaux (9). » A l’époque, les journalistes célèbres vendaient moins souvent, il est vrai, leur notoriété aux grandes entreprises, ne bénéficiaient pas de stock options ; les directeurs de journaux de référence français ne gagnaient pas non plus près de 400 000 euros par an, ni les responsables de l’information de la principale chaîne nationale trois fois cette somme. Depuis, leur boussole morale s’est alignée sur celle de « l’intellectuel de service, dont la compétence est à louer ou à vendre (10). »
Si les think tanks ont installé l’acceptation d’une pensée mercenaire, promptement relayée par des médias de marché, la véritable « guerre à l’intelligence » a eu pour principaux soldats la « petite bande de je-sais-tout au pouvoir [...] ces membres de professions libérales, experts, consultants, en un mot d’intellectuels, dont la principale fonction est de faire autorité dans leur domaine tout en gagnant beaucoup d’argent (11). » Il suffit d’identifier les mécènes les mieux dotés - le Département d’Etat, les multinationales, la Rand Corporation, les médias - pour deviner les terrains de réflexion qui deviendront les plus lucratifs. Ces sujets de « débat » sont souvent à la fois les plus anodins, les plus creux et les plus courus, de Loft Story à la « société civile », en passant par les « droits de l’homme » et la menace de l’« intégrisme ». A condition de réserver sa fougue et ses effets de scène aux seuls territoires qu’on lui assigne ou qu’il devine, le penseur ne court aucun danger. Bon employé du pouvoir, il pourra profiter d’un « système fondé sur la récompense du conformisme intellectuel et la participation volontaire à la poursuite d’objectifs qui n’ont pas été fixés par la science, mais par l’Etat (12). » Ou par les entreprises, ce qui par gros temps d’endogamie entre les deux univers revient souvent au même. Ce sombre tableau comporte une touche de lumière. Les récompenses sociales du « conformisme intellectuel » sont en effet devenues telles qu’elles encouragent l’indolence de ceux que Pierre Bourdieu appelait les « fast thinkers, spécialistes de la pensée jetable (13). » Hayek pouvait équilibrer le peu d’appuis dont il disposa au départ par l’ampleur de son travail et par son acharnement militant. Tels les soldats d’Hannibal en Italie, ses héritiers ont en revanche le cerveau et les muscles atrophiés par les délices de Capoue dans lesquelles ils se prélassent depuis un quart de siècle.
Mais face à eux, il n’y a pas foule. L’intellectuel « en tant qu’outsider, ‘amateur’ et perturbateur de l’ordre établi [...] auteur d’un langage qui tente de parler vrai au pouvoir (14). » se fait d’autant plus rare qu’il bénéficie rarement du concours des spécialistes, y compris ceux qui se disent engagés sur le terrain des sciences sociales. Ceux dont Bourdieu déplorait dans un de ses derniers textes que leur « énergie critique reste enfermée dans les murs de la cité savante, pour partie par une vertu scientifique mal comprise, [...] pour partie par l’effet des habitudes de pensée et d’écriture qui font que les spécialistes trouvent plus facile, et aussi plus payant, du point de vue des profits proprement académiques, de réserver les produits de leur travail pour des publications scientifiques qui ne sont lues que de leur pareil (15). » De telles manières de mandarin, outre qu’elles concèdent le terrain à des essayistes assimilables à la roue de secours de l’Etat-spectacle, conforte une image d’universitaires jargonnants en circuit fermé qui permet ensuite à la droite, quand elle en a besoin, de pratiquer son poujadisme anti-intellectuel soucieux de proximité avec le peuple et le pays d’en-bas. L’université, la culture, au lieu d’être le pôle d’une certaine autonomie, voire d’une certaine résistance à l’ordre qui reconstruit le monde, s’apparentent à des enclaves protégées - et qui protègent ceux qui y vivent à l’affût d’un poste dans une commission, d’une subvention, d’une autorité sociale, lesquelles ne serviront à leur tour que d’autres nomenklaturistes du savoir (16). Mais s’ils ne sortent jamais de la « cité savante », quel secours sont-ils en droit d’attendre de ceux qui résident ailleurs le jour où l’université et la science sont à leur tour attaquées ?
La partie n’est pas perdue. Même ceux qui égrènent avec conviction la liste des obstacles interdisant aux vaincus du jour de penser l’impensable à leur tour – marchés financiers, critères de convergence, position sociale renforcée des défenseurs de l’ordre économique, rapprochement idéologique des principaux partis – doivent concéder le défaut de l’armure des conservateurs. N’en déplaise à Hayek, l’ « acte de courage » du « radicalisme libéral » ne mobilise qu’une fraction modeste de l’opinion. Il est douteux que « le libre-échange et la liberté d’entreprendre » soient vraiment ou redeviennent un jour « des idéaux qui peuvent éveiller l’imagination des foules. » Dans ces conditions, comme l’observent Seymour Martin Lipset et Gary Mars, « le mouvement de bascule apparemment universel en faveur du capitalisme pourrait ne pas durer. Le capitalisme, le marché, ne constituent pas une utopie, même au seul plan économique. Au mieux, il fait miroiter la promesse d’une loterie, mais comme toutes les récompenses de ce genre le gros lot n’échoit jamais qu’à une petite minorité de joueurs [...] Au demeurant, à la différence du socialisme, le capitalisme, qui ne promet d’éliminer ni la pauvreté, ni le racisme, ni le sexisme, ni la pollution ni la guerre, fait très peu appel à l’idéalisme des jeunes et des intellectuels. De nouveaux mouvements, de nouvelles idéologies, et même les vieilles quand elles laissent espérer réformes et utopies, vont apparaître et réapparaître [...] Le combat entre la gauche, les avocats du changement, et la droite, les défenseurs du statu quo n’est pas terminé (17). » Ceci sous la plume de deux politistes américains modérés, et dans un ouvrage destiné à expliquer pourquoi les Etats-Unis n’ont jamais connu un parti socialiste puissant. Et l’on peut ajouter que l’augmentation de la production n’est pas généralement perçue comme un projet aussi attachant que la famille, l’amitié, la tradition, la solidarité, que quand l’ambition du développement économique mobilisa les peuples ce fut souvent grâce à un messianisme patriotique, idéologique ou religieux. L’algèbre morte de la mondialisation heureuse et son cortège de dommages collatéraux - environnement, égalité, gratuité – bénéficient d’un appui fragile.
En 1936, le programme électoral du Front populaire était d’une extrême timidité. On n’y trouvait ni les 40 heures, ni les congés payés, ni les conventions collectives. Alors ? Alors il y eut ce que Simone Weil appella à l’époque le « grand élan sorti des entrailles de la masse, ingouvernable, [qui] a desserré soudain l’étau de la contrainte sociale, fait admettre comme évidentes des choses tenues six mois plus tôt pour scandaleuses (18). » Les « choses scandaleuses » ne sont pas les mêmes, les réponses qu’elles appellent prendront d’autres formes ? Assurément, mais est-il interdit d’user de temps en temps de l’histoire à d’autres fins que celle de la démobilisation permanente ?
Nous avons connu des temps plus difficiles encore. Et puis ça a fini par finir. L’illusion s’est déchirée d’une fatalité qui condamnerait les mêmes à écouter et à subir. Car des victoires, il y en eut. Un patronat qui cessa de se croire de droit divin, un Etat à qui il arriva d’être moins tenu par le mur de l’argent, un internationalisme qui n’avait rien à voir avec la concurrence des exploitations, des conquêts sociales qui n’étaient pas inéluctables – la volonté actuelle de les anéantir le montre assez. Nous avons connu d’autres ambitions collectives que celle de punir les pauvres, d’autres définitions de la liberté que celle de choisir entre deux marques de produit. Cette utopie-là vaut bien celle des autres. Et c’est aussi grâce à elle que nous savons que nous ne sommes pas condamnés à vivre dans le monde où nous vivons.
Retour à la présentation du livre
(1) Rick Perlstein, Before the Storm : Barry Goldwater and the Unmaking of the American Consensus, Hill and Wang, New York, 2001, pp. 472-473.
(2) Ibid, p. 473.
(3) In Rick Perlstein, op. cit., p. 39.
(4) Friedrich Hayek, « The Intellectuals and Socialism » The University of Chicago Law Review, Vol. 16, n°3, Printemps 1949. Cité In Friedrich Hayek, « Les intellectuels et le socialisme », Commentaire, n°99, Automne 2002.
(5) Edwin Feulner, The Heritage Foundation 1993 Annual Report ; 1973-1993 : Twenty Years, Heritage Foundation, Washington, 1993, pp. 7-8.
(6) Ruel Gerecht, cité par Le Nouvel Observateur, 27 mars 2003.
(7) Friedrich Hayek, « The Intellectuals and Socialism », art. cit.
(8) Michel Crozier, Samuel Huntington et Joji Watanuki, The Crisis of Democracy : Report on the Governability of Democracies to the Trilateral Commission, New York University Press, 1975, Introduction, pp. 6-7.
(9) Ibid, pp. 34-35.
(10) Edward Said, op. cit., p. 79.
(11) Ibid, pp. 13-15.
(12) Ibid, p. 97.
(13) Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Raisons d’agir, Paris, 1996, p. 63.
(14) Edward Said, op. cit., p. 10 et p. 15.
(15) Pierre Bourdieu, Contre-feux 2, op. cit., p. 9.
(16) Cf. Russell Jacoby, The Last Intellectuals : American Culture in the Age of Academe, Basic Books, New York, 1987.
(17) Seymour Martin Lipset et Gary Mars, op. cit., pp. 292-293.
(18) Simone Weil, "Examen critique des idées de révolution et de progrès", Ecrits historiques et politiques, T. 2, Gallimard, Paris, 1991.
Le grand bond en arrière
Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé