Si le gouvernement Harper opère un net virage conservateur, sa vision du pays risque d'aliéner le Québec que la Boussole électorale place à gauche des autres provinces sur les enjeux économiques et sociaux - à quelques importantes exceptions près.
PHOTO: PATRICK DOYLE, REUTERS
De toutes les données d'opinion recueillies lors de la dernière campagne fédérale, les plus innovatrices sont sans doute celles de la Boussole électorale, qui a permis à plus d'un million de Canadiens de s'exprimer sur des enjeux politiques fondamentaux.
Cette énorme entreprise de collecte de données a ses faiblesses, y compris un échantillon non aléatoire qui contraint l'analyste à la prudence, mais ses résultats ne peuvent pas être ignorés.
Un premier constat saute aux yeux: pour environ 25 des 30 questions, on note une différence frappante entre les opinions exprimées au Québec et celles du reste du pays. Ces contrastes ne sont pas sans conséquence.
D'abord, si le gouvernement Harper opère un net virage conservateur, sa vision du pays risque d'aliéner le Québec que la Boussole place à gauche des autres provinces sur les enjeux économiques et sociaux - à quelques importantes exceptions près.
Quand Stephen Harper affirmait récemment que les valeurs conservatrices sont les valeurs du Canada, il donnait aux souverainistes québécois des munitions qui pourraient leur servir, si l'idée leur venait un jour de diriger leur ardeur au combat contre leurs adversaires.
C'est encore plus vrai dans le cas des enjeux constitutionnels et linguistiques, où la Boussole électorale fait ressortir le gouffre qui persiste entre les Québécois et les autres Canadiens. Le NPD était réceptif aux positions québécoises pendant la campagne, mais il n'a rien à gagner au Canada anglais en poursuivant sur cette lancée.
Ce n'est pas le seul point de discorde potentiel entre le Québec et le NPD que nous révèle la Boussole électorale qui, au Québec, ne pointe pas toujours à gauche. Depuis longtemps, les néodémocrates s'opposent au libre-échange avec les États-Unis et tiennent pour sacré le caractère public du système de santé.Depuis 1988, les Québécois sont davantage favorables au libre-échange que les autres Canadiens. Les principaux partis politiques et les milieux d'affaires appuient solidement l'ALÉNA, alors que les syndicats ont depuis longtemps cessé de s'y opposer systématiquement.
La carte de la Boussole électorale sur cette question est éloquente. Les 10 circonscriptions les plus favorables à l'expansion du commerce avec les États-Unis sont toutes québécoises, y compris cinq gagnés par le NPD, alors que huit des 10 circonscriptions hors Québec les plus hostiles au libre-échange sont des bastions néodémocrates.
Est-ce que le NPD peut prétendre représenter les intérêts du Québec tout en rejetant l'ouverture du commerce avec les États-Unis? Il serait étonnant que le parti revienne sur sa position historique dans ce domaine pour plaire aux Québécois. Il serait aussi étonnant que ces derniers soient séduits par les appels stridents au nationalisme canadien qui motivent le protectionnisme du NPD.
Sur la santé, les Québécois se distinguent du mantra néodémocrate en favorisant davantage qu'ailleurs l'ouverture vers le privé. Comme d'autres sondages l'ont déjà montré, les Québécois appuient un système de santé public, mais ils sont plus enclins que les autres Canadiens à appuyer l'illusion que représentent les solutions de marché ou la privatisation pour remédier aux maux du système.
Jack Layton aura sans doute peine à les rallier à l'orthodoxie de son parti sur ces questions, surtout si le droit chemin passe par un renforcement du contrôle fédéral dans ce domaine.
Sur bien d'autres enjeux, dont le registre des armes à feu n'est pas le moindre, on n'a pas fini de voir les contradictions mises en lumière par la Boussole électorale provoquer des tensions internes dans le caucus du NPD.
Contrairement aux divisions qui affligent le Parti québécois, d'abord liées aux personnalités, celles qui entraveront la marche du NPD vers le pouvoir seront l'expression de lignes de faille profondes dans le paysage politique canadien.
www.boussoleelectorale.ca
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Pierre Martin
_ L'auteur est professeur de science politique à l'Université de Montréal.
Le gouffre politique
2 mai 2011 - NPD - écueil en vue...
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Pierre Martin est professeur titulaire au Département de science politique de l’Université de Montréal et directeur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines (CÉPÉA). Il est également membre du Groupe d’étude et de recherche sur la sécuri...
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Pierre Martin est professeur titulaire au Département de science politique de l’Université de Montréal et directeur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines (CÉPÉA). Il est également membre du Groupe d’étude et de recherche sur la sécurité internationale (GERSI)
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