Le futur du Québec, par inversion

Tribune libre

Au lendemain du référendum perdu par le camp du oui, les Écossais et leur gouvernement sont en position de faiblesse face l’État souverain du Royaume-Uni et trois autres nations qui le constituent pour les négociations à venir sur la concrétisation des promesses de M. Cameron.

L’Écosse sortira gagnante, si ces promesses sont tenues. Pour gagner les faveurs des indécis, les grands leaders politiques ont été très loin dans leurs promesses de transfert de pouvoir. Non seulement l'Écosse devrait pouvoir pratiquer une politique fiscale autonome, mais elle devrait aussi conserver le bonus de 19 % par habitant dont elle bénéficie dans la répartition des dépenses publiques britanniques.

Or déjà, certains élus britanniques, à droite comme à gauche, estiment que ces promesses vont trop loin, et réclament la même autonomie pour leur région (Pays de Galles, Irlande du Nord), mais aussi pour la région de Londres et les grandes villes. Réceptif à cette grogne, David Cameron a bien expliqué qu'il entendait mener en parallèle la « dévolution, le transport de compétences » en Écosse et dans les autres nations du Royaume-Uni. Cette lourdeur pourrait compromettre le résultat final et les promesses solennelles faites aux Écossais risquent de rester lettre morte. Et n’oublions que les prochaines élections générales britanniques auront lieu au plus tard en mai 2015. Il est prévisible que ces promesses feront l’objet de la campagne.

L’Écosse n’a plus de carte dans son jeu. Elle doit espérer le franc-jeu des autres parties. On peut se demander si le message de M. Salmond - «Mon temps en tant que leader est presque terminé, mais pour l’Écosse, la campagne (pour l’indépendance) continue et le rêve ne mourra jamais» - est conséquent avec sa promesse d’accepter le résultat du référendum et met la table pour une négociation loyale?

L’exemple du Québec devrait les préoccuper. Depuis son premier référendum en 1980, le Québec s’est affaibli face au Canada et ses provinces et est à l’écart de ces derniers :

• Nous pensons au rapatriement de la constitution avec des pouvoirs très centralisateurs, faisant fi des demandes de reconnaissance des compétences distinctes du Québec. M. René Lévesque fut écarté des négociations durant la nuit des Longs Couteaux et l'Assemblée nationale du Québec n'a jamais approuvé cette loi de manière formelle. Et l'échec de l’accord du lac Meech en 1990 visant à convaincre le Québec de signer la Loi constitutionnelle de 1982;

• Le Québec a a perdu des pouvoirs dans plusieurs domaines et hérité de responsabilités additionnelles. Qu’il s’agisse d’éducation et de santé, de langue et de culture, d’immigration, de justice, d’environnement et d’énergies renouvelables, de formation et d’emploi, d’innovation et de technologies de pointe ou de relations avec les autres nations ou entre eux-mêmes. Il lui est de plus en plus difficile de définir ses orientations, avec ses propres forces et intérêts en tête. Comme disait le nouveau député de Saint-Jérôme, M. Péladeau: «Comment se fait-il qu’on prévoie construire un pipeline (TransCanada) et que les Québécois n’aient pas un mot à dire? C’est Ottawa qui va décider quelles seront les mesures de sécurité qui seront adoptées et on n’a pas un mot à dire, alors que ça traverser notre territoire».

• Pendant que la santé financière du Québec s’affaiblit, celle du gouvernement canadien se renforce. Perte de pouvoir des provinces (pouvoir accru du Canada), transfert de responsabilités sans les revenus correspondants, déséquilibre fiscal, politique fiscale qui se prive de recettes en exonérant les ménages aisés et les grandes entreprises (pensons à la taxe sur le capital note 1), multiplication des cadeaux fiscaux, évasions fiscales …ont fortement contribué à l’endettement du Québec. En fait les fédéralistes ont très bien compris qu’un gouvernement central fort et un Québec faible sont le meilleur antidote contre l’indépendance. Dans une telle conception, on peut se demander qui a intérêt à ce que la dette du Québec diminue. À preuve, au courant des 20 dernières années, le gouvernement du Québec, et bien d’autres pays alignés sur le courant international dominant, ont misé franchement et intensément sur les revenus et dépenses pour atteindre l’équilibre budgétaire. Et comme partout, sans grand succès!

Pour le Québec les coûts directs, indirects et non visibles de ses référendums sont énormes économiquement, socialement et politiquement. Un tour de vis de plus et les Québécois seront, bien malgré eux, forcés d’accepter ce qu’ils ne veulent pas. Certains diront que le Québec a été maté, que les provinces sont des filiales au service du siège social du gouvernement du Canada. Cela répond peut-être à la question citée plus haut de M. Péladeau. Mon article «La stratégie de l’énergie canadienne est déjà en marche» aborde ce type de question. http://www.vigile.net/La-strategie-de-l-energie

À mon avis, l’inconnu de devenir indépendant est moins risqué que l’inconnu de la perte d’un référendum. Dans son article du 19 septembre, Josée Legault http://www.journaldemontreal.com/2014/09/19/de-peur-et-despoir va dans le même sens : «Pour l’Écosse, l’ironie ultime est que l’«inconnu», le vrai, vient avec le Non. Alors qu’avec un Oui, l’entente Londres-Édimbourg pavait la voie à des négociations sereines».

Si cette opinion est pertinente, la question que nous devons mettre sur la table est : comment, si un référendum s’avère la seule option valable, réduire les risques et les coûts associés à un autre échec référendaire?

Voici l’approche par inversion.

Étape 1 :

Développer avec toutes les Québécoises et tous les Québécois (ci-après Qbses) une vision commune et partagée du futur qu’elles veulent selon une approche Botton-Up (et non Top-Down) organisée, structurée et reconnue pour ce genre de cheminement. L’utilisation des technologies sera au rendez-vous pour les partager les informations et favoriser les discussions et les choix avec les 6 millions de Qbses. Il ne s’agit d’organiser un ou deux congrès pour discuter des urgences du moment, mais d’une démarche exigeante, intense et continue sur possiblement 24 mois. Et lorsque nous parlons futur, l’horizon est d’au moins 50 ans. Ce n’est surtout pas une plate-forme électorale et n’en déplaise, la sociale démocratie n’est pas une vision mais bien une démocratie. (Voir l’article de M. Bock-Côté http://blogues.journaldemontreal.com/bock-cote/?s=rejean+hebert ). Une fois complétée, cette vision sera approuvée par les Qbses pour qu’elle soit qualifiée de partagée et commune avant de passer à la prochaine étape.

Étape 2 :

Déterminer, entre autres, les pouvoirs politiques essentiels minimums pour être en mesure de réaliser cette vision. Cette liste de pouvoirs devra être approuvée par les Qbses avant de passer à la prochaine étape.

Étape 3 :

Comparer les pouvoirs requis avec ceux que nous avons et déterminer l’écart à combler. Encore là, cette liste de pouvoirs devra être fortement approuvée par les Qbses avant de passer à la prochaine étape.

Étape 4 :

Déterminer, comparer, évaluer les différentes possibilités pour obtenir les pouvoirs requis pour choisir la possibilité la plus appropriée pour réaliser la Vision. Le choix devra être approuvé par les Qbses avant de passer à la prochaine étape.

Par exemple :
• Le statu quo etl’approbation de la Constitution du Canada par le Québec . Par exemple dans le cas où aucun pouvoir additionnel n’est requis;
• Proposer et négocier une réforme de la Constitution du Canada pour obtenir les pouvoirs requis;
• Devenir indépendant tout en négociant une coopération avec le Canada (monnaie, armée….);
• Devenir un pays indépendant;
• Devenir un pays indépendant et s’associer avec un ou plusieurs autres pays ayant des visions compatibles avec celle du Québec.

Étape 5 :

Dans le cas où des pouvoirs additionnels sont requis.
Par voie d’un référendum, les Qbses sont invités à voter sur la question suivante :
Acceptez-vous que le Québec négocie avec le Canada les pouvoirs minimums requis pour réaliser notre vision et dans le cas d’un échec que le Québec devienne souverain?

La question à l’étape 5 est semblable à celle posée en 1995, mais la démarche et la logique de son aboutissement sont bien différentes. L’indépendance n’est pas positionnée comme une fin, mais un moyen. La fin est la vision que les Qbses se sont donnée. La question n’est plus «voulons-nous être indépendant» mais qu’avons-nous besoin pour réaliser notre vision. L’indépendance est un moyen parmi d’autres qui sera, si nécessaire, un choix évalué et cohérent avec les étapes en amont. Il n’est plus question de comparer l’indépendance avec le fédéralisme pour justifier l’indépendance mais de déterminer les essentiels pour créer l’environnement le plus propice à la réalisation du futur que les Qbses veulent. Les avantages et les désavantages des différents statuts politiques seront comparés en fonction de leur contribution à la Vision.

Cette démarche, pour être sincère et honnête, obligera les Qbses, leurs associations mouvements, partis de mettre de côté leur biais politique (indépendantiste péquiste,
Q- Solidaire, O-Nationale, libéral, fédéral….) pour permettre une réflexion large, ouverte, sans entrave, invitante qui met en amont le futur des Qbses (inclus le masculin).

Note 1 : La taxe sur le capital des entreprises introduite en 1947 par le gouvernement de Maurice Duplessis a été réduite progressivement sous le gouvernement de Jean Charest, à partir de 2007, pour être abolie en 2011. Le gouvernement fédéral a aussi imposé une taxe sur le capital, de 1985 à 2006. Le gouvernement estimait, appuyé par l'Institut économique de Montréal, qu’elle était dommageable pour l'activité économique et qu'elle nuisait à la compétitivité internationale. Pourtant, en 2005, le Québec venait en tête des provinces canadiennes pour ce qui était du taux de création d'entreprises, malgré les charges fiscales en place. L’estimation de cette taxe perdue pour 2009 est de 500-600 millions de dollars.


Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Henri Marineau Répondre

    22 septembre 2014

    Quelques jours seulement après que les Écossais aient fait leur choix sur leur avenir, des écueils imminents se pointent déjà sur les promesses de dernière heure de dévolution de pouvoirs d’Alex Cameron en faveur du gouvernement d’Édimbourg.
    En effet, alors que les trois principaux partis britanniques ont signé un pacte pour adopter des lois favorisant le transfert de pouvoirs décisionnels de Londres à la capitale écossaise, le premier ministre britannique a lancé un pavé dans la mare en affirmant que les plans entourant la dévolution pour l'Écosse devraient être liés à des réformes constitutionnelles en Angleterre.
    Et voilà, la grande illusion d’une Écosse plus libre qui risque de s’envoler dans la nuée des temps! Une situation qui n’est pas sans nous rappeler les belles promesses de Trudeau et Chrétien lors des référendums québécois en 1980 et 1995. Si une telle hypothèse se confirme, les Écossais auront été bernés eux aussi par une promesse de dernière heure destinée à sauver les meubles devant la montée du « Oui »…Un rêve qui se transformerait en cauchemar!