Lise Millette - Des centaines de pèlerins ont commencé à converger vers Rome pour assister à la canonisation du frère André qui, 73 ans après sa mort, déplace toujours les foules.
Au Vatican, à Montréal, ou dans leur salon devant leur petit écran, ils seront nombreux dimanche à suivre, en direct, les cérémonies de canonisation d'Alfred Bessette, un simple portier dont la foi a impressionné et convaincu plus d'une génération de Québécois.
Les images de janvier 1937, aux lendemains de sa mort, montrent plus d'un million de fidèles venus assister à ses funérailles. C'est que des bruits avaient couru et les gens avaient afflué sur l'avenue de la Côte-des-Neiges, où l'on parlait de guérisons miraculeuses, attribuées au «petit frère».
Toutes ces manifestations surnaturelles sur le mont Royal avaient poussé le diocèse de Montréal à mettre sur pied une commission d'enquête pour faire la lumière sur le cas du frère André.
Cette commission avait pour but de préciser la nature des «phénomènes merveilleux» qui se produisaient sur le mont Royal. Il y avait, semble-t-il, des interventions surnaturelles attribuées à saint Joseph, par l'intercession du portier du Collège Notre-Dame, a expliqué l'historien Lucien Lemieux, qui a enseigné à la faculté de théologie et de sciences des religions de l'Université de Montréal.
Si les guérisons attribuées au frère André suscitaient la méfiance des autorités religieuses, la dévotion de la population n'avait pas de retenue, à une époque où la médecine et l'accès aux soins n'étaient pas ceux que l'on connaît aujourd'hui.
«En 1921, déjà, le cap du million de pèlerins à atteindre l'oratoire Saint-Joseph avait été franchi», rappelle M. Lemieux. En 1916, 435 cas de guérisons avaient déjà attribuées à saint Joseph par le frère André.
«Toutes ces manifestations attiraient des gens, bien évidemment. L'Église se questionnait d'ailleurs sur ces visites nombreuses au portier qui frictionnait les gens avec de l'huile», a souligné l'historien québécois.
Les plus croyants parlent de miracles, encore de nos jours. D'autres préfèrent y voir une dévotion populaire marquée par une foi nourrie, ou encore teintée par la superstition.
«Soyez brefs»
Impossible toutefois de nier les foules qui se sont déplacées du temps du frère André pour s'entasser dans le petit parloir en attendant de le rencontrer, un bref instant, dans l'espoir de voir le malaise ou la maladie les quitter.
Entre 40 et 50 personnes à l'heure pouvaient franchir la porte du bureau. Une affiche, à l'entrée, comportait l'avertissement «soyez brefs».
Le frère Jacques Berthiaume avait environ trois ans lorsqu'il a vu le frère André pour une première fois. Le portier du collège avait déjà 84 ans. Aujourd'hui, ce membre de la communauté de Sainte-Croix a rejoint l'âge de celui qui a inspiré le cours de sa vie et pour qui il entretient toujours une grande admiration.
Le frère Berthiaume raconte que lors d'une première visite, ses parents avaient reçu la consigne de le frotter avec une médaille de saint Joseph. Il précise avec un sourire que sa mère, dans sa piété, a dû user plusieurs médailles tellement il a été frotté.
Toutefois, les conseils du religieux ne semblaient pas donner de résultats et un médecin avait dit aux parents de se préparer au pire: leur enfant allait mourir.
La mère a tenu à rencontrer le frère André une dernière fois, et ce fut la bonne. Après avoir patienté de longues heures, le guérisseur a finalement regardé les plaies vives, et suggéré de les laver avec de l'eau de vaisselle - avec du «savon de pays».
«Mon père était tellement découragé qu'il avait dit à ma mère: 'qu'il meure de ça ou bien d'autre chose'», s'est souvenu Jacques Berthiaume, rencontré à sa maison de retraite à Montréal.
À bout de ressources, la mère a frictionné son enfant. Aujourd'hui, il dit avoir encore les cicatrices laissées par les plaies.
Cette guérison a été la première du frère Berthiaume, qui a soutenu avoir connu un deuxième miracle à l'âge de 10 ans, peu de temps avant la mort du frère André. Après une rencontre avec son mentor, le jeune garçon avait pu rentrer chez-lui sans ses béquilles dont il avait besoin pour marcher.
«(Le frère André) m'a dit: «va demander à ta mère si je peux apporter tes béquilles avec moi à Montréal'. Je suis rentré à la maison en courant. Ma mère m'a regardé et a versé de grosses larmes. Elle a demandé où étaient mes béquilles. Je n'avais pas encore réalisé que je n'en avais plus besoin», a raconté le frère Berthiaume, ému.
Un malaise chez les religieux
Mais ces actions du frère André n'étaient pas sans créer de remous, même au sein de sa congrégation.
Gérard Dionne, membre des frères de Sainte-Croix, âgé de 72 ans, admet qu'un certain malaise habitait les membres de la congrégation en raison des gestes posés par le frère André, qui «frottait» ses patients avec de «l'huile de saint Joseph».
«Autour de lui, ce n'était pas évident de comprendre ce qui se passait et certains posaient la question «dans quoi est-il en train de nous embarquer?'. Le frère André avait même dit à son supérieur qu'il était prêt à tout abandonner s'il le fallait», a raconté M. Dionne, qui fera une lecture, à Rome, au cours de la cérémonie de dimanche.
Dans la population, les récits se répandaient et tous ne partageaient pas des propos élogieux. Certains le traitaient de charlatan.
«Je suis convaincu que le frère André, au départ, n'avait pas pris la mesure de sa mission. Je crois que rapidement, tout ça l'a dépassé largement, ce qui explique pourquoi, à 90 ans, il recevait encore des gens désireux d'être guéris», a-t-il ajouté.
Cela dit, la communauté a emboîté le pas et finalisé le désir d'André Bessette de construire un oratoire, qu'il n'a jamais vu aussi grand de son vivant. Dans les années qui ont suivi sa mort, ses confrères ont amassé des «preuves» et des témoignages pour conserver les traces de ses actions.
Aujourd'hui, c'est avec une joyeuse anticipation que les religieux se préparent à assister à la canonisation de leur ancien confrère.
«C'est un événement qui fait du bien et le feeling, dans notre maison de retraite, est une fébrilité», a indiqué le frère Gilles Ouellet, supérieur de la résidence de retraite des frères, située à l'ombre de l'oratoire Saint-Joseph. «On ne pensait pas voir ça de notre vivant. On en parlait depuis longtemps, mais d'assister à la canonisation du frère André, c'est quelque chose qui génère une fierté chez-nous.»
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