Le fleurdelisé tatoué sur le cœur

Tribune libre

Nous marchons sur nous-mêmes comme un bétail perdu
Le mensonge est collé aux semelles de nos souliers
Raôul Duguay
Notre histoire nationale est une épopée bien courte (1608-2017) relativement à celle des Premières Nations qui ont progressivement occupé les territoires que nous habitons au fur et à mesure que reculaient les glaciers entre 11-12 000 ans ou plus, libérant les terres de l’Amérique du Nord de sa gangue de glace. Pouvons-nous nous attribuer la découverte de ces terres ? Leur propriété ? Comment concilier une fois pour toutes le droit d’usage des amérindiennes sur les sols avec le droit de propriété transposé ici par les colons européens ? La Couronne canadienne doit composer avec les spécificités et les aspirations de plus de 50 nations amérindiennes, en vertu de Proclamations royales et de Traités antérieurs à la confédération (1867). Un cinquième de ces nations vivent au Québec.
L’épopée des colons français est, à certains égards, aussi dramatique que le sort réservé aux autochtones. En 1759-1763, des ténèbres opaques s’abattent sur la Nouvelle-France. Thomas Chapais (1858-1946), historien, journaliste et homme politique québécois réputé pour sa chronique des événements parlementaires qui ont marqué l'histoire du Canada, a ces accents poignants, pathétiques dans son livre remarquable intitulé Le Marquis de Montcalm (1712-1759), Éditions J.P.Garneau, 1911: « Et à cinq heures du matin, le 14 septembre 1759, il (Montcalm) expirait comme un héros chrétien qui croit aux promesses de l’immortalité. Quel lugubre spectacle que ce convoi de Montcalm, s’en allant dans l’obscurité, sous la menace des bombes et des obus, au milieu de Québec incendié et dévasté, pendant que, là-bas, l’armée débandée s’enfuyait sur les routes, et que, devant la ville et à ses portes, l’ennemi victorieux se préparait à lui donne le coup de grâce ? Qui dira les angoisses dont devaient être broyés les cœurs en cette nuit de deuil et d’effroi ? L’humiliation de la défaite, la douleur causée par la sanglante hécatombe de la veille, l’anxiété du sinistre présent, l’appréhension du redoutable avenir, tout se réunissait pour rendre cette heure plus amère et plus désespérante. Vaincus, écrasés, ruinés, abandonnés, qu’allait-on devenir ? Y aurait-il un lendemain pour la Nouvelle-France ? Et les funérailles du grand soldat dont on suivait le corps inanimé n’annonçaient-elles pas sûrement le cataclysme définitif et l’effondrement national ? »

C’était bel et bien la fin de la Nouvelle-France. Peu d’observateurs auraient parié sur notre survie à long terme. La chute de Québec (1759), l’éphémère victoire de la bataille de Sainte-Foy (1760), la signature du Traité de Paris (1763) et l’émigration vers la France de plusieurs centaines de militaires, d’aristocrates et de bourgeois, au cours des années qui ont suivi immédiatement la conquête (1763-1766), laissa la colonie exsangue à la merci des nouveaux potentats britanniques. Les thèmes misérabilistes de l’Abandon et son corollaire, celui de la Survivance, développés par certains historiens, proviennent de ces événements dramatiques.
Quelle perspective d’avenir s’offrait de fait à ceux qui n’avaient pas d’autre choix que de rester sur place et de subir leur nouvelle allégeance ? Qui se préoccupe en effet du sort des vaincus ? De fait, bien des tribus, des nations et des civilisations ont été broyés au cours de l’Histoire. Et pourtant, les colons français et leurs descendants ont survécu. Nous sommes toujours là. Écoutons encore le poète historien : « Ô mon pays ! Quelles heures de détresse et d’agonie tu as vécues ! Et de quel abîme Dieu t’a fait surgir ! »
Le concept de résilience colle parfaitement à notre histoire ; les colons français rabotés par la Conquête ne devaient compter que sur leur volonté de vivre et leur acharnement à conserver leur héritage culturel et le porter jusqu'à aujourd’hui. C’était en soi héroïque ! Ils n’y seraient pas parvenu seuls sans l’apport inestimables du clergé catholique et de toutes les communautés de frères et de sœurs qui ont suppléé au démantèlement du pouvoir laïc français, tant administratif que militaire. Nous avons tendance à oublier pire à dénigrer cette contribution inestimable en qualifiant de façon générale l’époque héroïque d’après-conquête de Grande Noirceur. Une injustice que nous nous infligeons à nous-mêmes !
On n’étudiera jamais assez et on ne parlera jamais assez des événements entourant la Conquête de notre peuple, un élan à jamais (?) brisé et, de façon générale, des séquelles de la guerre sur la vie des gens et des peuples. Ce ne sont pas les échauffourées de 1837-39, très localisées à la vallée du Richelieu, ni le romantisme révolutionnaire de 1963-1970, gangrené par la Gendarmerie royale du Canada et les Services de renseignement canadien qui nous ont grandi. Que pouvait faire une poignée d’habitants armés de mauvais fusil contre un détachement aguerri de l’armée britannique ? Le front de libération du Québec (FLQ) a été infiltré dès le départ. A-t-on oublié l’agent Samson de la GRC qui a eu une oreille arrachée lorsque la bombe qu’il manipulait lui a explosé au visage ? La voie de la violence a été empruntée maintes fois avec les mêmes résultats catastrophiques pour les populations civiles.

Reste les référendums de 1980 et 1995. Si le processus fut démocratique, les questions référendaires posées aux québécois ne furent pas à la hauteur des prétentions véhiculées par les meneurs de jeu. Les résultats furent à l’avenant. Les auteurs Frédéric Bérard et Stéphane Beaulac, dans leur ouvrage intitulé Droit à l’indépendance, Québec, Monténégro, Kosovo, Écosse, Catalogne, Éditions XYZ Inc., 2015, démontrent d’ailleurs clairement les contraintes et les limites que le Québec devra franchir pour accéder à l’indépendance. À l’évidence, ce ne serait pas une partie de plaisir.
Nous ne pouvons rien changer de ce qui fut. Ce qui importe aujourd’hui, c’est ce que nous faisons de notre parcours historique. D’abord reconnaître que le changement de statut constitutionnel du Québec n’appartient pas à une ethnie particulière ou à un parti politique particulier. Il concerne tous les habitants du territoire du Québec et incombe à l’Assemblée nationale du Québec, tous partis politiques confondus. C’est à cette dernière que revient la défense des intérêts du Québec au-delà de toute partisannerie. L`épithète « nationale » accolée à Assemblée est assez explicite en lui-même. Avant de faire le procès du Canada et de ses institutions, les québécois et leurs représentants seraient bien avisés de s’entendre ici-même au Québec sur un objectif commun.

Ce n’est pas fait et ce n’est pas demain à la veille de se faire, quand on n’arrive pas à s’entendre sur la nécessité de revoir notre mode électoral biscornu qui favorise l’alternance des magouilleurs, ni sur l’importance d’une stratégie électorale commune pour nettoyer les écuries d’Augias.

Ensuite ? Tendre la main à toutes les communautés francophones et francophiles d’Amérique du Nord et viser l’excellence en tout : en éducation, en santé, en urbanisme et sortir progressivement du cercle vertueux de la production-consommation créateur de richesse. La création de richesse sensée assurée la paix et le bonheur social ne dit rien sur la répartition de cette richesse entre les acteurs sociaux ni sur l’impact environnemental du processus de création de richesse. La gestion et les coûts des déchets des divers processus de production de richesse sont devenus prohibitifs. Or, la souillure systématique de l’air et de l’eau a un impact négatif direct sur la qualité de l’air que nous respirons, sur la qualité de l’eau que nous buvons et sur la santé des plantes et des animaux que nous consommons et donc en bout de piste, sur la santé humaine.

Le réchauffement climatique est inquiétant en soi, mais ce n’est rien à comparer à ce qui va s’ensuivre. Les scientifiques doivent prolonger leurs analyses. Lorsque l’atmosphère sera saturée de gaz et de poussière toxiques, les rayons du soleil n’atteindront plus les sols. S’ensuivra alors un inévitable refroidissement, une nouvelle ère glaciaire. Comment pourra-t-on loger, nourrir et habiller 8-9 milliards d’êtres humains lorsque les sols seront recouverts de glaciers de plusieurs kilomètres d’épaisseur ? Il faut changer de paradigme social, économique et politique. Par la gauche ? Par la droite ?
Cette approche gauche-droite, source de division, est périmée, tout comme la lettre « r » du mot révolution est de trop. À l’instar du corps humain, le bras gauche, le cerveau gauche, la jambe gauche ne peuvent prétendre à l’hégémonie sur leurs équivalents de droite et déclarer péremptoirement : «je n’ai pas besoin de toi, tu es une nuisance et donc je te retranche de mon corps, du corps social». L’évolution est préférable à tout romantisme révolutionnaire, car compte tenu des défis d’aujourd’hui, la société a besoin de tourtes les bonnes volontés, de tous les talents pour que le paquebot humanité navigue en toute sécurité dans les champs d’icebergs qui se pointent droit devant nous.

Yvonnick Roy

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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    18 septembre 2017

    Intéressant survol de notre histoire. J'aime particulièrement la conclusion avec l'image du corps humain. Mettons nous au service de l'Évolution.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 septembre 2017

    Lorsqu'on se fait voler quelque chose, est-ce notre faute ?
    En 1980, trudeau no 1, nous a menti lors de ses discours, en disant qu'un non serait un Oui pour le renouvellement. On l’a eu, paf, la Constitution a été imposée, jamais voté par les canadiens, le peuple, mais adoptés par des politiciens dans leurs assemblés, sauf au Québec.
    En 1995, on nous a volé le référendum. Les Commissions d'enquête en ont fait la preuve, Option Canada et les commandites ont trichés, à l'encontre de la Loi sur le référendum voté à l'Assemblée Nationale pour une démarche démocratique. À toutes ces personnes qui répètent que nous avons perdus, relisez votre histoire, les journaux, vous comprendrez l'ampleur de ce qui a été mis en œuvre pour nous faire perdre.