L’inévitable survivance
L’incontournable lutte nationale et politique
« Même si ces gouvernements [colonial et métropolitain anglais]
ont des préjugés favorables aux Canadiens,
ils en viennent inéluctablement à se prononcer
finalement pour la colonisation anglaise. »
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La première génération de canadiens sous le Régime britannique a évité quelques écueils aux plans culturel et politique. Néanmoins, ils ne pourront pas échapper au remplacement au plan économique et, au plan politique, à une très grande perte de leur liberté collective sous la domination britannique. Accidentellement, ils parviendront à survivre mais ils ne recouvriront jamais la possibilité de se gouverner eux-mêmes. Malgré certaines erreurs de parcours, le nouveau colonisateur anglais ne perdra pas de vue dans sa politique coloniale sa mission d’angliciser les Canadiens-français.
Il n’y a pas de doute que la perception de la Révolution française par les autorités religieuses québécoises de l’époque eut une influence sur le débat politique dans la colonie du Bas-Canada (cf. le dossier sur « La Révolution française et le Québec » à la fin de cette chronique). Cette attitude de l’Église québécoise a fortement teinté pour plusieurs générations à venir de Québécois une façon de penser les rapports entre la religion et le politique. À noter toutefois que les Canadiens n’étaient pas tombés absolument dans la grande noirceur. Cependant, selon Maurice Séguin, « nous sommes amenés à renier la France… nous ne songeons pas que ce régime parlementaire qui est nôtre va aboutir au statut de province… ».
Dans ces circonstances, les Canadiens – comme groupement français – ne pourront pas infléchir le pouvoir colonial britannique à leur guise. Leur lutte sera dure. Ils ne parviendront pas à échapper au phénomène le plus grave qui est celui de leur minorisation et de leur subordination – bref, de leur ANNEXION.
Bruno Deshaies
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HIST 585 Introduction à l’histoire du Canada
Maurice Séguin
Synthèse générale de l’évolution
politique et économique
des deux Canadas
IX.– 1789 Révolution française… Vive 1760 ! Vive la séparation ! La conquête bienfait providentiel !
Cette révolution fut connue des Canadiens ; on s’est qu’on est en train d’établir en France un régime parlementaire… puis c’est le règne de la terreur, l’ère des massacres… puis la guerre extérieure. Les Canadiens-français réalisent qu’eux sont en paix : on en vient à prendre la conquête comme un bienfait providentiel. Nous sommes amenés à renier la France… nous ne songeons pas que ce régime parlementaire qui est nôtre va aboutir au statut de province… Le mieux-être politique, économique et religieux nous leurre sur notre propre situation…
Conclusion : 30 ans après.
- POUR LES CANADIENS-FRANÇAIS :
a) Sans Métropole et sans gouvernement propre, etc.
Le gouvernement colonial et métropolitain _ anglais. Nous sommes désorganisés. Même si ces gouvernements ont des préjugés favorables aux Canadiens, ils en viennent inéluctablement à se prononcer finalement pour la colonisation anglaise.
b) Inévitable survivance (sans qu’il soit nécessaire de crier au miracle)
peut s’expliquer par :
– notre nombre (ce n’est pas le cas de la Nouvelle-Hollande) ;
– deux divisions qui déchirent le monde anglais ;
– organisation partielle des cadres (par des laïcs à la 1re génération)
organisation partielle des cadres religieux et culturels (vaut pour l’Église et le civil à partir de la 2e génération).
c) Lutte à double aspect à venir :
– sur le plan national : ils ont la majorité et veulent se gouverner eux- mêmes pour ne pas rester sous la domination anglaise.
– sur le plan politique : leur majorité à l’Assemblée va engager la lutte contre une clique de hauts fonctionnaires.
- POUR LES CANADIENS-ANGLAIS :
a) Séparatisme, sous-produit de 1783 et problème contre le R. N. A. (Républican North America)
C’est la survivance d’une bien petite réalité en comparaison des États-Unis (6 ou 7 %) une médiocrité née d’un séparatisme artificiel.
Problème qui sera aggravé par le refus de la fédération… : presque un siècle pour venir à bout de ces séparatistes.
b) supériorité des Canadiens-Anglais sur les Canadiens-Français avec une métropole et un gouvernement … qui finalement finira par se prononcer pour eux.
c) Lutte : nationale contre les Canadiens-français (handicaps : minorité temporaire et les deux divisions du monde anglais)
Politique : contre la Grande-Bretagne et le Family Compact… pour obtenir l’émancipation coloniale.
Deuxième génération : Problèmes entre Canadiens-Français et Canadiens-Anglais 1800-1810
(suite à la prochaine chronique)
RÉFÉRENCES :
Maurice SÉGUIN, « Synthèse générale de l’évolution politique et économique des deux Canadas. » Notes de cours établies par les étudiants qui ont suivi le cours HIST 585 intitulé « Introduction à l’histoire du Canada » en 1961-1962. Description : « Sociologie du national. Les principales explications historiques de l’évolution des deux Canadas. » (Université de Montréal, Département d’histoire.)
Maurice SÉGUIN, Histoire de deux nationalismes au Canada, Montréal, Guérin, Éditeur, 1997. Leçon IV : « Un État séparé pour les Canadiens-français ? 1787-1796 ».
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La Révolution française et le Québec
(1789)
PRÉSENTATION
L’historien Pierre Tousignant, un grand spécialiste de notre histoire entourant la célèbre constitution (démocratique !) de 1791, mérite une attention particulière. Sa communication au colloque de la Société canadienne d'étude du dix-huitième siècle nous montre à quel point « les aspirations libérales des réformistes canadiens-français » ont pu les illusionner sur leur sort en tant que collectivité nationale (cf. p. 234 et 238).
Les Canadiens de l’époque étaient loin d’être dans la grande noirceur. Au contraire, ils étaient au courant des grands mouvements révolutionnaires de leur temps. Toutefois, selon Pierre Tousignant, le fait de l’adoption par le Parlement britannique de « la nouvelle constitution provinciale pour le Bas et le Haut-Canada, contribua à faire croire aux réformistes canadiens qu’il y avait une parfaite convergence entre leurs aspirations libérales et celles des représentants du Tiers-État à l’Assemblée nationale [française]. (p. 234) » On pourrait dire que se façonne au cours de ces premières années de vie parlementaire au Canada un goût plus marqué chez les réformistes canadiens envers l’apprentissage parlementaire que vers le républicanisme (cf. p. 238).
Les extraits que nous avons choisis montrent à quel point le sentiment réformiste canadien-français a pu être séduit par le « modèle constitutionnel britannique de 1789 à 1792 » (p. 229).
D’autre part, l’historien Gilles Chaussé, s’attaque à un autre problème de notre histoire, c’est-à-dire aux rapports entre le politique et la religion. La lutte idéologique que vont mener les réformistes canadiens-français jouera un rôle important sur le cours des événements historiques qui se dérouleront à cette époque. Devant ce fait, les autorités religieuses dans la colonie du Bas-Canada se sont impliquées. En s’appuyant sur la Bible, l’Église catholique du Bas-Canada a prêché l’obéissance et la soumission à l’autorité civile. Malgré tout, il y a quand même eu cette lutte des Patriotes contre le gouvernement anglais, puis la Révolte de 1837. Finalement, cette histoire a laissé des traces dans la pensée des Québécois-Français jusqu’à nos jours. Par exemple, comme le note Gilles Chaussé, au sujet de la crise d’octobre 1970, l’Église a été amené « à préciser sa pensée sur les objectifs poursuivis par les mouvements nationalistes au Québec » (p. 137).
DOCUMENTS
Les aspirations libérales des Canadiens
(1774-1791)
Pierre TOUSIGNANT, « Les aspirations libérales des réformistes canadiens-français et la séduction du modèle constitutionnel britannique de 1789 à 1792 », p. 229-238. Dans Sylvain Simard, (édit.), La Révolution française au Canada français. Actes du colloque tenu à l'Université d'Ottawa du 15 au 17 novembre 1989, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, Actexpress, 1991, 442 p. Esquisse historiographique et bibliographique, illustrations et index. ISBN : 2-7603-0351-9. Cf. SCEDHS - Société canadienne d'étude du dix-huitième siècle.
Source.
(P. 231) Lors de leur premier Congrès continental tenu à Philadelphie, à l’automne 1774, les délégués de douze colonies (la Géorgie n’y était pas représentée) avaient approuvé la préparation – par un Comité formé à cette fin – d’une « Lettre adressée aux Habitants de la Province de Québec » [voir ci-dessous le fac-similé de la page couverture] dans le but de les inciter à faire cause commune avec eux. Traduite en français puis imprimée à deux mille exemplaires, cette lettre circulaire pris la forme d’une véritable leçon de droit constitutionnel devant servir à promouvoir la cause des « libertés anglaises ».
[…]
(P. 234) Jusqu’à l’avènement de l’Acte constitutionnel de 1791, les réformistes canadiens crurent que le peuple français était engagé dans un même combat politique qu’eux pour obtenir « leurs droits aux privilèges d’une libre constitution » (cf. Gazette de Québec, 5 février 1789). […]
Le rôle du premier éditeur de la Gazette de Montréal comme « diffuseur des Lumières au Québec » est maintenant mieux connu […]. Fleury Mesplet, qui militait pour le mouvement réformiste, s’efforça d’éclairer les lecteurs de son journal sur la rapide succession des événements révolutionnaires. Ainsi, à propos de la réunion des États généraux, voulut-il frapper l’imagination de ses concitoyens catholiques en publiant le Pater, l’Ave et le Credo du Tiers État […] (Cf. La Gazette de Montréal, numéros des 2 et 9 juillet 1789.)
(P. 235) Les réformistes canadiens pouvaient facilement transposer ce credo politique à la situation du Québec : la liberté qui avait souffert sous « le système des généraux » [les gouverneurs militaires] allait renaître grâce à la participation des représentants du peuple au pouvoir législatif.
Le projet de nouvelle constitution canadienne qu’avait élaboré le secrétaire d’État W. W. Grenville, à l’automne 1789 [cf. chronique du 8 novembre 2007, [le deuxième Canada (3/29)->10308]] ne fut finalement soumis à l’approbation du Parlement britannique qu’au printemps 1791. L’Acte constitutionnel reçut la sanction royale au mois de juin et entre en vigueur le 26 décembre 1791. En ce lendemain de Noël, ce fut dans l’esprit (p. 236) des fêtes que les citoyens de Québec célébrèrent ce « premier jour de la Nouvelle Constitution du Canada ». Les notables de la Haute-Ville s’offrirent « un très élégant dîner » à l’Auberge Franks tandis que les citoyens de la Basse-Ville se réunirent au Café des Marchands. […] On acclama tout naturellement « la Nouvelle Constitution du Canada » et « la Constitution de la Grande-Bretagne » ; on porta également un toast à « la Révolution française et la vraie liberté dans tout l’univers ». […] On pouvait alors exprimer son opinion ouvertement, comme en témoigne l’éditeur de la Gazette de Québec qui profitera de l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution canadienne pour faire paraître le texte intégral de la première constitution de l’Assemblée nationale [française] promulguée le 14 novembre précédent. Dans la présentation, Samuel Neilson invitait ses lecteurs canadiens à « soumettre à l’analyse de la raison cet ouvrage, fruit de la sagesse législative des Français » [29 décembre 1791].
L’année 1792 inaugurait une nouvelle ère constitutionnelle pour les réformistes canadiens – une ère, qui croyait-on – serait caractérisée par le règne de la liberté politique au Québec […].
(P. 237) …. [Le] jeune sculpteur François Baillargé notait dans son journal personnel en date du 1er janvier : « 1792 est la première année libre du pays ».
Dans le but de faire connaître la nouvelle constitution à la population canadienne, les citoyens de la Haute-Ville de Québec prirent l’initiative de fonder, au cours du mois de janvier 1792, une association qui prit le nom de « Club Constitutionnel ». Le caractère propagandiste de ce « Club » ne tarda pas à se manifester par la publication, dans la Gazette de Québec, d’une analyse des différents articles de la législation de 1791 (numéros des 23 février, 1er, 8 et 15 mars 1792). « Nous regardons, écrit SOLON, l’auteur de ce texte, comme étant du devoir des Curés, des Seigneurs, des Notaires, des Maîtres d’école et des Marchands instruits, de répandre nos productions parmi le peuple, de les lire, de les expliquer, de manière que jouissant d’une constitution libre, il n’en n’ignore pas la valeur et la nature. » L’analyse de SOLON était accompagnée de commentaires qui répondaient aux objectifs des fondateurs du Club Constitutionnel » :
D’après l’examen de tout le système, nous nous croyons autorisés de dire à nos concitoyens qu’ils doivent leur reconnaissance au Parlement britannique pour une constitution si excellente […] Nous portons nos regards sur l’avenir, et nous nous plaisons à contempler notre état futur, comme hommes éclairés, libres et indépendants, comme citoyens actifs et industrieux, comme sujets loyaux et fidèles de notre roi [George III, roi de Grande-Bretagne de 1760 à 1820], et attachés fermement à la nation Britannique qui a manifesté sa sollicitude en rendant à tous les individus la jouissance de leurs droits civils.
(P. 238) Ainsi, grâce à la constitution britannique, on pouvait demeure des « sujets loyaux et fidèles » de la Couronne tout en devenant des « hommes libres et indépendants ». Que souhaiter de mieux que « la jouissance d’un gouvernement que les peuples de l’Europe les plus éclairés désirent et paraissent disposés d’acquérir au prix de leur sang et de leur force » ? Telle était la conviction exprimée par l’avocat et notaire Alexandre Dumas [huguenot]
dans un discours prononcé devant le « Club Constitutionnel », le 30 mai 1792, à la veille de la première campagne électorale des Canadiens. Voulant jouir de leurs droits et privilèges de sujets britanniques, les réformistes canadiens se montrèrent plus intéressés à faire l’apprentissage du parlementarisme qu’à envier le sort de leurs anciens compatriotes français sur la voie du républicanisme.
ADDENDUM
(Dictionnaire biographique du Canada en ligne.)
Alexandre Dumas est l’auteur d’un discours dont une version préliminaire a été publiée dans la Gazette de Québec du 24 mai 1792 et qui a connu possiblement une publication séparée. Il est peut-être aussi l’auteur d’une série d’articles, publiés sous le pseudonyme de Solon, parus également dans la Gazette de Québec du 23 février au 15 mars 1792 et qui portaient comme titre « Pour accompagner la nouvelle constitution ».
***
La réaction des évêques du Bas-Canada
à la menace d’un soulèvement des Canadiens
(1774-1791)
Gilles CHAUSSÉ, « Révolution française et religion au Québec. » Dans Michel GRENON (édit.), L’image de la Révolution française au Québec 1789-1989, p. 123-143. Montréal, Hurtubise HMH, 1989, 269 p. (Coll. « Cahiers du Québec. Histoire. » Robert Lahaise, directeur). Esquisse historiographique et bibliographique, illustrations et index. ISBN : 2-89045-861X
(P. 123) Se référant à un texte de la Bible « encore vivement discuté aujourd’hui », le chapitre 13 de la lettre de saint Paul aux Romains : « Que tout le monde soit soumis aux Puissances supérieures : car il n’y a point de puissance qui ne viennent de Dieu et c’est lui qui a établi toutes celles qui existent. Celui donc qui s’oppose aux Puissances résiste à l’ordre de Dieu ; et ceux qui résistent, acquièrent pour eux-mêmes la damnation » (selon la traduction qui figure dans le Mandement des évêques du 24 octobre 1837 de Mgr Jean-Jacques Lartigue), les chefs religieux aux Québec prêchèrent toujours l’obéissance et la soumission à l’autorité légitime. Profondément marqués par l’ultramontanisme ils privilégièrent l’autorité au détriment de la liberté et condamnèrent, au nom du christianisme, toute subordination et toute insurrection populaire. Ils virent dans la Révolution de 1789, à l’instar des prêtres réfractaires français, un « événement diabolique, une punition expiatoire imposée par la France coupable », développant comme eux « une analyse de la signification politique du sacrifice, celui notamment du roi-martyr », où Louis XVI tait perçu comme le roi-martyr s’immolant pour la multitude. »
(P. 124) En accord avec la doctrine officielle de l’Église, exposée par les papes Grégoire XVI et Pie IX, le discours des chefs religieux québécois s’était élaboré bien avant 1789. En 1775, lors de l’invasion des Bostonnais, l’évêque de Québec, Mgr Briand, avait mis les Canadiens en garde, au nom de la religion contre toute sympathie à l’endroit des envahisseurs » […].
L’ampleur de la contestation et la profondeur du mouvement révolutionnaire avaient surpris et inquiété fortement l’évêque qui avait rédigé pas moins de six documents dont l’un d’une longueur inhabituelle et d’une extrême sévérité – le mandement de juin 1776 au sujet des rebelles durant la guerre américaine – pour inciter les Canadiens à demeurer fidèles et loyaux sujets à la couronne britannique, et condamner ceux qui avaient joint imprudemment les rangs des envahisseurs. […]
À la vérité, la Révolution américaine n’avait pas enflammé le Québec, ni donné lieu à une participation massive des Canadiens au côté des Bostonnais. Cinq cents Canadiens peut-être avaient fait cause commune avec ces derniers. Les Canadiens n’en n’avaient pas moins fait preuve d’insoumission et adopté une attitude de neutralité bienveillante à l’endroit des (p. 125) rebelles, se rendant ainsi coupables de « péché de parjure » et de « désobéissance à la puissance » (selon le Mandement aux sujets rebelles durant la guerre américaine, juin 1776). […]
… Naturellement indociles et indépendants de caractère, les Canadiens avaient pour la première fois depuis la Conquête fait la sourde d’oreille et résisté aux directives de leur évêque qui n’était plus tout à fait le chef incontesté et plébiscité de la nation canadienne.
Les Canadiens, depuis 1775, avaient beaucoup changé. […]
(P. 126) Pendant près de quatre ans de février 1789 à décembre 1792, la presse canadienne suivit avec un enthousiasme non déguisé les progrès de la Révolution en France. Qui plus est, La Gazette de Montréal voulut profiter de l’événement pour « accentuer son combat contre le clergé et la religion, contre la noblesse et les seigneurs de la province » et « appliquer certains principes révolutionnaires à la situation canadienne ». …] À la fin de 1793, au moment des rumeurs de l’arrivée d’une flotte française dans le Saint-Laurent « pour sonder les dispositions des (p. 127) Canadiens et les exciter à l’insurrection, et après qu’eût circulé au Canada [l’adresse les Français libres à leurs frères du Canada [voir note 19 citée ci-dessous] les invitant à suivre l’exemple des Français et des Américains et à rompre avec un gouvernement « devenu le plus cruel ennemi de la liberté des peuples », l’évêque de Québec décida d’intervenir publiquement (Circulaire à Messieurs les curés à l’occasion des rumeurs de guerre, 9 novembre 1793).
(Note 19, p. 140) L’historien Michel Brunet soutient que cette brochure de huit pages créa une vive impression dans la province et que « les gens du peuple, toujours gouailleurs, avaient même surnommé cette brochure, le ‹catéchisme›. (Cf. Brunet, 1957, dans « Quelques notices bibliographiques » signalées à la fin de cette chronique.)
(P. 127) La menace de soulèvement au Canada, en 1793, n’eut point de suite. [Malgré tout, Mgr Hubert émis le 5 novembre 1796 une « Circulaire recommandant la fidélité au gouvernement.] En 1799, au moment de célébrer la victoire de l’amiral Nelson sur la flotte française à Aboukir, le futur évêque de Québec, Mgr Plessis, brossait un tableau saisissant des horreurs de la Révolution française, (p. 128) qualifiant la conquête de la Nouvelle-France en 1763 de providentielle.
Quel bonheur pour nous que la Providence nous en (de la France) ait détaché avant qu’elle s’abandonnât à ce déplorable aveuglement, et nous ait soumis, par une bonté que nous ne méritons pas et que nous ne pouvons assez reconnaître, au Gouvernement libéral et bienfaisant, de Sa Tr. Gr. M. le Roi de la Grande-Bretagne.
La Révolution française n’en avait pas moins remué profondément les Canadiens. « L’amour de la France et la haine de l’occupant firent oublier aux Canadiens des classes populaires les aspects discutables et les abus de la Révolution française. » (Cf. Brunet, 1960, dans « Quelques notices bibliographiques » .) Plusieurs avaient espéré en secret voir la France envahir et libérer le Canada. La « Lettre des canadiens au consul de la République française à new York », à l’automne de 1796, ne laissait aucun doute à ce sujet. « Ils aiment tous la France détestent l’Anglais et désirent ardemment de se voir réunis à la mère-partie dont ils ont été séparés depuis trop longtemps. […] Le plus cher de leurs désirs à présent est de voir l’attention de la France se fixer sur eux. » (Cf. Brunet, 1960, dans « Quelques notices bibliographiques » signalées à la fin de cette chronique.)
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Quelques notices bibliographiques
En guise d’introduction
Pierre Savard
LA RUPTURE RÉVOLUTIONNAIRE
La Révolution française et l'empire napoléonien entraînent, de 1793, date du début de la guerre entre la Grande-Bretagne et la France jusqu'au congrès de Vienne de 1815, une parenthèse dans les relations franco-canadiennes. Si les premiers gestes de la Révolution n'inquiètent pas trop ici plus qu'en Grande-Bretagne, l'année 1793, elle, marque un tournant décisif. La guerre entre la Grande-Bretagne et la France et l'exécution de Louis XVI changent les sentiments des Canadiens face à l'ancienne mère patrie sans qu'on puisse bien faire la part de l'un et de l'autre événement. La fidélité due au Roi d'Angleterre et l'horreur face à la Révolution régicide pousse bien des Canadiens de l'élite à des déclarations emportées de francophobie. Les évêques, les curés, des membres de l'intelligentzia réduite de l'époque, embouchent la trompette pour souhaiter le retour à l'ordre en France, la fin de la persécution religieuse, puis l'écrasement du Corse qualifié de «Vautour redoutable». Le juge Smith lance la thèse [dès 1791] de la conquête providentielle du Canada français par l'Angleterre qui l'a soustrait aux horreurs de la Révolution française. Thèse reprise par des historiens éminents comme Thomas Chapais, promise à un succès durable, et dont on a relevé des échos jusqu'à nos jours. La cinquantaine de prêtres français émigrés dans la vallée du Saint-Laurent dans les années 1790 surtout, tout en célébrant la culture française, font peu pour rendre sympathique le régime qui les a chassés. Dans le climat d'exception qui règne, il est difficile de faire la part du vrai sentiment des Canadiens et plus malaisé encore de sonder le sentiment populaire. Claude Galarneau, auquel nous empruntons l'essentiel de ces lignes, parle de « mise en veilleuse du véritable sentiment des Canadiens » [?] de 1793 à 1815 tout en soulignant les effets durables de l'horreur des Canadiens devant la France révolutionnaire qui a exécuté son roi et maltraité ses prêtres.
Quelques références
1944
Lionel GROULX, « La Providence et la Conquête anglaise de la Nouvelle-France ». Dans Notre maître le passé, Montréal, Granger Frères, 1944, vol. 3 : 125-164. Un premier essai critique de la conquête perçue comme un « bienfait providentiel ». Aussi, l’auteur soutient : « L’interprétation théologique de la conquête n’est pas affaire si simple. (p. 161) » La norme de Groulx serait la suivante : « La souveraineté de l’action divine n’enchaîne ni n’entame aucunement néanmoins les prérogatives de la liberté humaine. (p. 126) » D’où l’occasion pour l’historien Lionel Groulx de faire la critique du discours du 10 janvier 1799 du futur Mgr Plessis à l’occasion de la célébration recommandée par le gouverneur Prescott.au sujet de la victoire d’Aboukir par l’amiral Nelson sur la flotte française le 2 août 1798.
1957
Michel BRUNET, « La révolution française sur les rives du Saint-Laurent », dans RHAF, 11 (sept. 1957), 2 : 155-162. Édition du pamphlet de Genêt « Les Français libres à leurs frères les Canadiens » (Boston, 1793), avec une introduction de Brunet.
1960
Michel BRUNET, « Les Canadiens et la France révolutionnaire », dans RHAF, 13 (mars 1960), 4 : 467-475.
1977
Pierre SAVARD, « Les Canadiens français et la France : de la « cession » à la « révolution tranquille ». Dans Paul Painchaud, (édit.), Le Canada et le Québec sur la scène internationale, Québec, Centre québécois de relations internationales, 1977, p. 471-496.
1989
Jean-Pierre WALLOT, « La Révolution française au Canada, 1789-1838 ». Dans Michel GRENON (édit.), L’image de la Révolution française au Québec 1789-1989, p. 61-104. Montréal, Hurtubise HMH, 1989, 269 p. Esquisse historiographique et bibliographique, illustrations et index. (Coll. « Cahiers du Québec. Histoire. » Robert Lahaise, directeur). ISBN : 2-89045-861X
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