Moi qui ai fait mes premières armes budgétaires en couvrant les efforts quasi jansénistes du gouvernement Bouchard pour atteindre l'équilibre budgétaire et la quête empressée des surplus par le gouvernement Chrétien dans les années 90, je ne croyais jamais voir un jour un gouvernement plonger dans le rouge avec un tel enthousiasme.
Non seulement le déficit de ce premier budget Morneau est trois fois plus élevé que le chiffre « modeste » de 10 milliards avancé en campagne électorale, mais en plus le gouvernement Trudeau repousse à une date indéterminée le retour éventuel à l'équilibre.
Dans son programme électoral, le Parti libéral de Justin Trudeau prévoyait la fin des déficits en 2018-2019, soit la dernière année de son mandat. Le grand livre du budget, dévoilé hier, laisse entrevoir un retour à l'équilibre après 2020-2021 au plus tôt, selon le scénario de croissance le plus optimiste.
« Le gouvernement demeure résolu à rétablir l'équilibre budgétaire de façon responsable, réaliste et transparente », lit-on dans les documents budgétaires, sans engagement plus précis sur une date.
En point de presse, le ministre Morneau, une recrue en politique, n'est pas sorti des sentiers balisés par ses conseillers en communication et a répété ad nauseam que son gouvernement voulait « faire croître l'économie » et « aider la classe moyenne ». Ça sonnait « cassette », mais il n'a pas essayé de nous présenter des chiffres rose bonbon annonçant le retour à l'équilibre budgétaire en 2018-2019 comme prévu.
Au contraire, les prévisions de croissance du PIB sont très prudentes, de même que le prix anticipé du baril de pétrole, sérieusement revu à la baisse par rapport au budget conservateur de l'an dernier. C'est un vieux truc connu : si l'économie canadienne reprend de la vigueur plus tôt et de façon plus convaincante que prévu, les finances publiques ne s'en porteront que mieux et les nouvelles seront meilleures. Si, dans le scénario inverse, l'économie tarde à redécoller, le budget présenté hier prévoit un rétablissement de la santé budgétaire beaucoup plus long.
Les deux scénarios sont électoralement favorables : si les surplus arrivent plus tôt, les libéraux auront une marge de manoeuvre budgétaire ; si ces surplus tardent, ils feront campagne sur le retour à l'équilibre.
Les libéraux, qui se sont fait élire en promettant un déficit, font maintenant le pari que les électeurs leur pardonneront un trou budgétaire plus gros et plus profond. On vient d'entrer dans l'ère du déficit décomplexé, une première au Canada depuis les années 80.
Le gouvernement libéral mise sur une aide financière plus généreuse aux familles de la classe moyenne et sur la reprise des travaux d'infrastructures pour faire passer la pilule du déficit. Tout cela tiendra, à condition que l'économie canadienne ne plante pas sous les pires scénarios de croissance économique élaborés par le ministre des Finances.
Les dépenses historiques pour les autochtones marquent par ailleurs la fin de décennies de négligence des Premières Nations par le gouvernement fédéral. Il était plus que temps.
Le Parti conservateur, qui critique la stratégie budgétaire déficitaire du gouvernement Trudeau depuis des mois, trouvera des arguments pour alimenter son indignation dans le report indéfini de l'équilibre budgétaire. Et dans l'ampleur maintenant confirmée du déficit.
De plus, le ministre Morneau annonce qu'il abrogera la loi fédérale sur l'équilibre budgétaire, un legs du gouvernement Harper, qui interdisait, à moins de crises majeures, au gouvernement d'écrire un budget à l'encre rouge.
En réinvestissant massivement dans la culture et en repoussant les dépenses dans l'armée et la sécurité intérieure, le gouvernement Trudeau donne aussi des munitions aux conservateurs. Surtout en cette autre journée de violence inouïe, à Bruxelles cette fois, qui nous rappelle, si besoin était, que nous vivons dans un monde secoué par le terrorisme.
Comme ses décisions, le ton candide, jovial même, du nouveau ministre tranche résolument avec le régime Harper. C'est même un peu trop, par moments.
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