Le Danemark déclare la guerre aux ghettos ethniques

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Assimilation à la danoise

Au moment où l’Italie refuse à un bateau chargé de migrants d’accoster, l’immigration déchire l’Europe tout entière. Le Devoir est allé voir où en était ce débat au Danemark, l’un des tout premiers pays européens à s’interroger sur l’immigration massive. Premier article d’une série de trois.


En ce matin de printemps, tout semble paisible à Mjolnerparken. Des pères accompagnent leur enfant à la garderie, des vieux discutent sur un banc et les coquelicots décorent l’ancienne voie ferrée devenue depuis longtemps un parc linéaire où s’ébrouent les enfants.


Comment imaginer qu’il y a un an, jour pour jour, un jeune homme de 22 ans a été abattu ici en pleine rue ?


« L’été dernier, pendant six mois, les fusillades se sont succédé. Les tireurs arrivaient en vespa et tiraient sur tout ce qui bougeait », dit Soren Wiborg, de la société Bo-Vita, qui loue ces appartements à loyer modique dans le quartier de Norrebro, à Copenhague.


Soren connaissait bien le jeune musulman tombé sous les balles des tueurs. « Il sortait de prison et essayait de s’en sortir. Il voulait se faire une nouvelle vie. Je l’aidais à chercher du travail, mais la guerre des gangs aura eu sa peau », dit cet ancien policier.


En six mois, la guerre entre les LTF venus des quartiers alentour et les Brothas de Mjolnerparken a fait trois morts et une vingtaine de blessés. Une trentaine de jeunes de cet ensemble qui compte 2000 habitants sont aujourd’hui en prison.


Dans son petit bureau, qui jouxte le Café Nora qui tente d’aider les femmes somaliennes à sortir de chez elles, Soren Wiborg a pour rôle d’aider les 300 chômeurs de ce groupe d’habitations à se trouver du travail.


« Et quand des parents me disent que leur jeune ne veut pas aller à l’école, je vais lui donner un petit coup de pied dans le derrière. Ça peut faire du bien parfois », dit-il en éclatant de rire.


C’est aussi Soren qui supervise les 15 jeunes du quartier engagés quatre heures par semaine pour nettoyer les parties communes. « Au Danemark, on n’a rien pour rien, dit-il. On a des services exceptionnels, mais il faut travailler pour ! »


La guerre aux ghettos


Avec sa population à 92 % étrangère (surtout somalienne, pakistanaise et arabe), Mjolnerparken est ce qui ressemble le plus à ce que le gouvernement a officiellement désigné comme des « ghettos ». En mars dernier, sans prévenir, huit ministres, dont le premier ministre libéral Lars Lokke Rasmussen, ont débarqué avec force police et mesures de sécurité dans la petite salle commune du quartier. Ils avaient choisi Mjolnerparken pour annoncer un vaste programme destiné à démanteler les 16 zones urbaines du Danemark que le gouvernement considère comme des « ghettos ».


« On doit pouvoir reconnaître notre pays. Il y a des endroits au Danemark où je ne reconnais pas ce que je vois », a déclaré le premier ministre. Au menu de ce vaste projet encore discuté au Parlement : la garderie obligatoire pour les enfants à partir d’un an, des cours obligatoires sur la culture et les valeurs danoises, un grand programme de rénovation urbaine, des aides majorées pour la recherche d’emploi et pour les étudiants étrangers ainsi qu’une peine qui pourrait aller jusqu’à quatre ans de prison pour les parents d’origine étrangère qui forceraient leur enfant à rentrer au pays, pour se marier par exemple.



 Les demandeurs d’asile savent que le Danemark compte parmi les pays les plus généreux sur le plan social. Mais nous avons nous aussi des problèmes d’intégration. Il y a au Danemark des Somaliens qui vivent chez nous depuis 19 ans et qui ne parlent pas danois.


— Marcus Knuth



Intitulé Un Danemark sans sociétés parallèles, ce programme veut en finir avec les ghettos ethniques d’ici 2030. Afin de faciliter l’intégration, il veut notamment limiter à 30 % la proportion d’enfants étrangers dans les écoles. Parmi les mesures plus contestées, la ministre de l’Intégration, Inger Stojbert, surnommée « la Dame de fer danoise », a aussi proposé de pénaliser les bénéficiaires d’allocations sociales qui s’installent dans ces logements ainsi que des peines majorées pour les crimes commis dans ces zones sensibles. Il faut dire que la ministre n’en est pas à ses premiers coups d’éclat médiatiques. En 2016, c’est elle qui avait proposé de confisquer les biens des demandeurs d’asile qui dépassaient 2000 $ (excluant évidemment les bijoux et objets personnels). Plus récemment, à l’occasion du ramadan, elle s’est inquiétée de la sécurité dans les transports publics où certains employés pouvaient passer 16 heures sans boire ni manger.


« Tough love » à la danoise


Le porte-parole du gouvernement en matière d’immigration, Marcus Knuth, le reconnaît, la politique du Danemark en matière d’immigration ressemble un peu à ce que les psychologues des années 1980 appelaient « tough love ». L’amour vache, diraient les Français. Il faut dire qu’au Parlement de Christianborg, les libéraux gouvernent avec le soutien implicite du Parti du peuple danois, dont la plateforme est férocement opposée à l’immigration.


« Les demandeurs d’asile savent que le Danemark compte parmi les pays les plus généreux sur le plan social, dit Marcus Knuth. Mais nous avons nous aussi des problèmes d’intégration. Il y a au Danemark des Somaliens qui vivent chez nous depuis 19 ans et qui ne parlent pas danois. Nombre de problèmes de criminalité, dans les écoles et au travail sont liés à l’immigration. Nous ne voulons pas des immenses ghettos que l’on voit aujourd’hui en Suède. » Les 70 mesures votées par le Parlement depuis trois ans semblent porter leurs fruits. En deux ans, le nombre de demandeurs d’asile a chuté de 21 000 à 3500.


« Le gouvernement confond égalité et identité », estime Mohamed Aslam, qui habite Mjolnerparken depuis 1987 même s’il possède aujourd’hui une compagnie de taxis et emploie six chauffeurs. « J’aime vivre ici. Je ne partirais pour rien au monde », dit cet homme qui semble surgir d’une rue d’Islamabad. Arrivé du Pakistan avec ses parents, Aslam préside aujourd’hui l’association des locataires. Selon lui, il n’y a pas plus de criminalité à Mjolnerparken qu’ailleurs. « Il n’y a pas de ghettos au Danemark. Tout ça, ce sont des inventions pour stigmatiser les étrangers. Des mesures électoralistes », dit-il.


Un programme généreux


Il règne pourtant au Danemark un surprenant consensus sur l’immigration. Malgré des débats en Chambre, le programme est soutenu pour l’essentiel par les trois principaux partis de la Chambre : libéraux, sociaux-démocrates et le Parti du peuple. Selon Marcus Knuth, il est peut-être difficile d’immigrer au Danemark, mais le pays compte parmi les plus généreux lorsque vient le moment de faciliter l’intégration.


« Être réfugié au Danemark, c’est un emploi à temps plein », confirme Karen-Lise Karman, responsable des services municipaux d’intégration de Copenhague. Une fois admis, chaque réfugié reçoit une allocation de plus de 1000 $ par mois, la même que reçoivent les étudiants. Le nouvel arrivant s’engage ainsi à suivre des cours de danois obligatoires et à participer à une série de stages en entreprise de 12 semaines, chacun interrompu par six semaines de cours. Ce processus peut durer cinq ans, jusqu’à ce que le candidat trouve un emploi.


« Certes, il y a de la démagogie et de la stigmatisation dans les politiques de ce gouvernement, admet le politologue Jorgen Goul Andersen. Mais aussi beaucoup de générosité. » Selon lui, le Danemark annonce souvent ce qui s’en vient en Europe. « Nous avons été les premiers, par exemple, à créer un ministère de l’Intégration. Il y a 30 ans, lorsqu’on disait qu’il y avait des problèmes d’intégration, on nous traitait de racistes. Nos élites ont trop longtemps fermé les yeux. Le reconnaître ne nous a pas empêchés de demeurer une société très tolérante. » À ceux qui traitent le Danemark de raciste, le politologue rappelle que, pendant la dernière guerre, le pays a été un des seuls occupés par l’Allemagne à protéger sa population juive des déportations. Le Danemark demeure aussi un des cinq pays du monde à consacrer plus que 0,7 % de son PNB à l’aide internationale, alors que le Canada est en dessous de 0,3 %.


> La suite sur Le Devoir.



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