«Rien n’est plus précaire que le droit des femmes», disait Benoîte Groult. Une lecture objective de la situation des femmes, tant dans les pays avancés que dans les pays en voie de développement — ici en Afgnanistan —, lui donne entièrement raison.
Photo : Agence Reuters Damir Sagolj
Éric Cornellier et Sophie David - Respectivement enseignant au primaire et employée de Postes Canada, les deux auteurs sont les parents de trois adolescents
Pour plusieurs de nos concitoyens, il semblerait que le combat féministe a porté ses fruits et que le temps est venu de passer à autre chose. Certains vont même jusqu'à prétendre que les revendications féministes sont allées trop loin et qu'elles mettent en péril le développement des garçons et l'équilibre psychologique des hommes.
Ces deux opinions sont erronées. Elles représentent même un danger pour l'avenir des sociétés. Parce qu'elles masquent la fragilité des acquis historiques reliés à la condition des femmes dans les pays avancés. Et elles empêchent de prendre pleinement conscience de la situation scandaleuse qui est le lot de la majorité des femmes à travers le monde.
Dans une éclairante introduction écrite 25 ans après la parution de son essai-choc intitulé Ainsi soit-elle (Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 1975, et 2000 pour la plus récente édition), Benoîte Groult met en garde les optimistes «qui vivent dans l'illusion que l'égalité est acquise et que l'histoire ne revient pas en arrière» et, ajoute-t-elle, «rien n'est plus précaire que le droit des femmes». Malheureusement, une lecture objective de la situation des femmes, tant dans les pays avancés que dans les pays en voie de développement, lui donne entièrement raison.
Injustices et désespoir
Des exemples? Que l'on pense aux misérables conditions de vie de nombreuses femmes afghanes. Conditions qui rappellent les plus ignobles horreurs de barbarie et d'ignorance du Moyen Âge. Que l'on pense aux viols et à l'esclavage sexuel de milliers de femmes dans de nombreuses régions du globe où, lors de situations de conflits armés, le corps des femmes est considéré comme un champ de bataille («Pour que le corps cesse d'être un champ de bataille», Jonathan Leclerc, Journal alternative, mars 2008). Que l'on se représente le désespoir de toutes ces jeunes filles, à travers le monde, à qui l'on refuse l'accès à l'éducation (il faut impérativement visionner l'incontournable documentaire de l'ONF Des marelles et des petites filles réalisé par Marquise Lepage en 1999). Et la liste pourrait facilement s'allonger de multiples exemples tous plus horribles les uns que les autres.
Au Québec, malgré des progrès indéniables, l'équité économique entre les hommes et les femmes est loin d'être un fait accompli. Les chiffres sont à cet égard d'une redoutable éloquence. «En 2005, les femmes gagnaient en moyenne 26 800 $ par année, comparativement à 41 900 $ par année pour les hommes. Elles constituaient 68 % du personnel à temps partiel.» Et pour compléter ce portrait peu reluisant, il faut ajouter que «près de 60 % des personnes recevant le salaire minimum sont des femmes» (Chiffres tirés d'un dépliant publié par l'Intersyndicale des femmes, L'autonomie économique des femmes: une force collective, à l'occasion de la Journée internationale des femmes du 8 mars 2008).
Crier à l'injustice?
Cela étant, on ne peut que rester abasourdi devant les accusations d'exagération et de nuisance à l'épanouissement des garçons et des hommes dont on accable trop souvent le mouvement féministe. Où est le problème?
Après des milliers d'années d'écrasante majorité masculine dans tous les domaines du savoir, on se rend compte un beau jour que les femmes sont devenues majoritaires dans à peu près tous les programmes universitaires de premier cycle. Et ce, sans pour autant avoir bénéficié d'une quelconque discrimination positive. On se rend compte aussi qu'un plus grand nombre de filles que de garçons réussissent à obtenir un diplôme d'études secondaires. Et ce, sans qu'on leur ait pour autant apporté un soutien supplémentaire.
Est-il raisonnable de crier à l'injustice et de laisser entendre que le succès des filles et des femmes est responsable des difficultés éprouvées par les garçons et les hommes? La justice exige que l'on réponde non à cette question. Certes, la nouvelle donne commande une redéfinition des rôles et des identités respectifs des hommes et des femmes. Mais cette redéfinition est aussi une merveilleuse invitation à aller plus loin dans l'exploration réciproque des deux identités sexuées qui définissent notre commune humanité.
Avec une profonde sagesse, l'ethnologue Germaine Tillion a écrit: «Il n'existe nulle part un malheur étanche uniquement féminin, ni un avilissement qui blesse les filles sans éclabousser les pères, ou les mères sans atteindre les fils.» (Citée par Benoîte Groult dans Ainsi soit-elle).
Il nous reste donc à souhaiter que, méditant cette vérité essentielle, chaque homme et chaque femme découvrent que l'exercice d'un pouvoir visant à limiter les épanouissements possibles de l'autre sexe ne peut avoir comme conséquence que d'appauvrir l'humanité en chacun des deux sexes. Il nous reste à souhaiter que la libération des potentialités de chaque femme soit l'occasion pour chaque homme d'un espoir renouvelé en l'avenir de l'aventure humaine.
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Éric Cornellier et Sophie David - Respectivement enseignant au primaire et employée de Postes Canada, les deux auteurs sont les parents de trois adolescents
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