Quand le gouvernement est minoritaire, les partis de l'opposition peuvent difficilement s'opposer mécaniquement. La conformité d'une politique proposée avec leur propre programme ne peut être le seul critère pour décider de leur vote.
Le jeu est plus complexe puisque par leur geste, ils deviennent responsables du maintien ou de la chute du gouvernement. En d'autres mots, ils sont un peu, eux aussi, «au pouvoir». C'est à la fois un atout dans leur jeu et une carte qui peut leur coûter cher, très cher!
Le dilemme est celui-ci: si tous les partis de l'opposition s'acharnent à faire tomber le gouvernement, les élections surviendront trop rapidement; les électeurs déçus estimeront que leur choix n'est pas respecté et que personne n'a donné la chance au parti gouvernemental. Les partis de l'opposition risquent évidement d'en pâtir. Si, au contraire, ils appuient unanimement le gouvernement, ils perdent des plumes dans l'opinion publique, et même leur raison d'être, soit s'opposer.
Dans la réalité parlementaire, le dilemme est alors résolu par le «jeu du sacrifié». L'arithmétique des dernières élections a fait que le Parlement se maintient aussi longtemps qu'au moins un des partis de l'opposition appuie les projets du premier ministre Stephen Harper.
Un examen des projets de loi déposés aux Communes depuis avril 2006 montre que le Parlement a fonctionné: des 63 projets soumis par le gouvernement Harper, 36 ont obtenu l'appui de la Chambre, du Sénat et ont même reçu la sanction royale! Sept autres ont obtenu l'appui de la Chambre pour passer au Sénat. En somme, les deux tiers des projets de loi du gouvernement ont reçu le soutien d'une majorité de députés. Le score est encore plus élevé quand on considère que, dans les autres cas, plusieurs projets ne font qu'amorcer leur parcours législatif. À la célèbre question: «Plaît-il à la Chambre d'adopter la motion?» La réponse a été essentiellement affirmative.
Quand on examine trois dossiers plus chauds, objets d'un grand battage médiatique et politiquement plus lourds, le jeu du sacrifié apparaît plus clairement.
Premier exemple: les deux budgets de Jim Flaherty. Le Bloc, contrairement au PLC et au NPD, a dit oui au gouvernement, en mai 2006 comme en mars 2007, acquiesçant ainsi à tout un train de mesures. C'est le Bloc qui, par son sacrifice, a maintenu le gouvernement.
Enfin, dans le cas de l'Afghanistan, lors du vote de 2006, prévoyant le maintien des opérations de combat jusqu'en 2009, le Bloc a aussi été de concert avec le gouvernement. Le NPD s'en est démarqué et les libéraux, grand malheur, ont été divisés.
Dans le cas de la nation québécoise, tout le monde a été pris de court par l'agilité de Stephen Harper. Le NPD a appuyé la motion. Le Bloc a tergiversé puis a dit oui et les libéraux, une fois de plus, ont offert le spectacle d'un parti divisé.
La dynamique est celle-ci: quand un parti de l'opposition appuie trop le gouvernement, il accrédite les politiques gouvernementales et perd forcément des plumes au fil des votes.
Un cas classique
Le cas classique est celui du NPD, de 1972 à 1974; en appuyant systématiquement le gouvernement minoritaire de Pierre Trudeau, les néo-démocrates ont subi une raclée lors des élections de juillet 1974 en perdant la moitié de leurs sièges! Le NPD a également joué avec le feu en 2005; après avoir appuyé les libéraux de Paul Martin, il a cherché et réussi à se démarquer radicalement.
C'est précisément ce travail de retrait et de distanciation auquel Gilles Duceppe se livre. Mario Laframboise, député et organisateur du Bloc, disait ainsi: «Une chose est sure, c'est qu'il faut être plus agressif envers les conservateurs.» Le député Réal Ménard ajoutait: «Je pense que ça va être difficile d'appuyer encore une fois le gouvernement.» Le changement de ton a été brusque de la part de Duceppe, presque stupéfiant, puisque quelques jours plus tard, dans un discours prononcé à l'Université Laval, il accuse les conservateurs de mensonges, de trahison et même d'«arnaque», un terme fort et étonnant pour un parti qui a dit «yea» a bien des projets conservateurs. Il en va de même des cinq conditions «non négociables» posées à l'acceptation par le Bloc du discours du trône. Trois d'entre elles étaient impossibles pour Stephen Harper.
C'est à présent autour des libéraux de vivre les affres du sacrifié. Habituellement, l'opposition officielle rejette le discours du trône. C'est son rôle! Mais Stéphane Dion peut difficilement engager son parti dans cette voie: son organisation est divisée, son leadership est faible, et financièrement le parti est hypothéqué. C'est donc à lui, cette fois-ci, de dire «yea». C'est ce qu'il a indirectement indiqué, hier après-midi, en annonçant que son parti n'entendait pas renverser le gouvernement sur le discours du Trône. Est-ce que cela sera son baiser de la mort? C'est une question qui doit l'angoisser.
Pour plusieurs citoyens, ces dynamiques illustrent le caractère trompeur des joutes parlementaires. Bien plus, elles justifient un cynisme radical à l'endroit des acteurs politiques et de la politique-spectacle. On peut cependant s'interroger sur les attentes de l'opinion publique. Pour tous et chacun, il est évidemment plus facile et plus rapide de ramener les décisions législatives à une simple bataille entre quatre chefs plutôt que de fouiller les enjeux complexes des 63 projets de loi débattus au Parlement lors de la dernière session.
Cependant, en réduisant son attention au combat des coqs - en se permettant de rire abondamment de la poule mouillée du jour - l'opinion publique, qui décide ultimement du sort des uns et des autres, se trouve aussi, du moins d'une certaine manière, et ce sans le vouloir, à devenir complice du jeu politique.
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Jean-Herman Guay
Politologue, l'auteur est directeur de l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.
- Source
Le combat des coqs
Rentrée parlementaire à Ottawa - octobre 2007
Jean-Herman Guay30 articles
L'auteur est professeur de sciences politiques à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.
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