«Le coeur n'y est plus»

- Pauline Marois, députée démissionnaire de Taillon

Pauline Marois quitte le PQ

Pauline Marois : Députée sortante de Taillon.
_ Le Devoir mardi 21 mars 2006
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Extraits du discours de départ prononcé hier à l'Assemblée nationale
Les gens de Taillon savent que j'ai mis tout mon coeur dans cette fonction de députée depuis 15 ans, depuis quatre mandats. Et pour être à la hauteur de notre responsabilité, il faut l'écoute, l'énergie, il faut la passion. Je me sentirais déloyale de continuer maintenant dans ce qui ressemble non pas à un passage à vide, mais bien à un tournant de ma vie. Le coeur n'y est plus, si j'ose dire. Alors, chers amis de mon comté, qui me connaissez bien, il me faut être honnête avec vous, mais aussi avec moi-même.
La politique ne me quittera pas, évidemment. Elle a été ma vie même depuis plus de 25 ans, toutes ces heures, toutes ces années passées ici, dans ce Salon bleu de l'Assemblée nationale, tout mon engagement au Parti québécois, depuis 30 ans, des responsabilité, des postes, des réunions, des congrès, et toujours l'action militante quotidienne. Je resterai militante active et - ça n'étonnera personne - féministe. [...]
Chers collègues, j'ai connu et partagé avec vous de grands bonheurs. Vous les connaissez aussi. J'ai ressenti de la fierté, et souvent dans des moments assez surprenants. Je pense à ces jeunes qui m'ont dit, à l'occasion: «Vous savez, Mme Marois, j'ai bénéficié de votre programme, je suis de retour à l'école, mes parents sont contents et moi aussi.»
Et je pense aussi à un autre de ces jeunes, il y a bien longtemps, qui m'a expliqué pourquoi les programmes que nous avions soigneusement concoctés ne convenaient pas à leur vie en région. Cette fois-là, je suis rentrée au bureau en me disant: « Il va falloir détricoter notre projet, le revoir différemment». On l'a fait; ça a réussi.
J'ai connu les défaites - électorales bien sûr, mais aussi personnelles, comme un projet qui ne passe pas au Conseil des ministres - mais la démocratie, dans son application quotidienne, celle qu'il faut accepter sereinement, sans amertume, sans perdre notre idéal.
Ceux qui ont compté
Vous allez me permettre de rendre hommage d'abord aux personnes qui ont compté pour moi, qui m'ont guidée dans l'exercice de mes responsabilités, surtout au début.
Bien sûr, je commence par M. Lévesque. Dès qu'il m'a confié une première responsabilité ministérielle, j'ai su que ma liberté serait grande, mais que l'obligation de résultats serait encore plus grande. Cela n'a pas changé par la suite. Ce fut ma première leçon, donnée par le plus admirable premier ministre, engagé envers son pays et envers les gens de son pays. René Lévesque disait: «On peut perdre ses illusions, mais jamais son idéal.» Et, dans tous les épisodes de mon travail en politique, j'ai gardé ces mots au fond du coeur. Quel privilège d'avoir travaillé avec lui!
À cette époque, j'avais également pour modèle une grande femme aux commandes d'un ministère, Lise Payette. J'avais travaillé pour elle, sa confiance en moi était grande; elle ne s'est jamais démentie. Encore récemment, elle m'encourageait avec sa merveilleuse conviction que notre place de femmes en politique, elle est évidente, même si elle se réalise de façon différente. «Go, Pauline!», écrivait-elle. Chère Mme Payette, votre générosité m'honore, et je suis heureuse de vous dire publiquement ma gratitude.
Et puis Jacques Parizeau. Exigeant, précis, soucieux de mettre les personnes aux bonnes places, guidant notre réflexion mais n'imposant la sienne que rarement, il voulait tout comprendre, tout savoir. Je suis restée très marquée par sa façon de travailler. Il fallait expliquer avec une extrême rigueur pour le convaincre, mais cela se faisait, et à l'avantage de nos dossiers s'ils étaient bien montés.
Il y a eu aussi Lucien Bouchard, charismatique, rassembleur, d'une énergie infinie. On pouvait recommencer mille fois, nuancer le projet, penser à chaque détail, inclure tel groupe de citoyens. «Il faut gouverner pour tous», nous disait-il. Il avait bien raison. Nous avons beaucoup travaillé ensemble. J'ai pu compter sur son appui dans des dossiers majeurs que j'ai menés à bien.
Et Bernard Landry, brillant, stratège, toujours un pas plus loin que tous, pédagogue et surtout fidèle à ses convictions. Un homme passionné pour son pays.
Et Louise Harel, mon amie, en avons-nous discuté, des projets, des dossiers, pour le parti, pour nos responsabilités ministérielles? Louise, nous l'avons tenue ensemble, tenue aussi haut que possible, la cause des femmes, la fierté de les représenter. Nous n'étions pas seules, chère collègue députée, chère compagne et aussi chers compagnons d'armes, mes complices, mes amis. Je vous remercie toutes et tous, chacune et chacun.
À la Chambre
En fait, je remercie chacun de vous, des deux côtés de la Chambre. Depuis plus de 25 ans, nous avons eu l'occasion de nous parler, de partager une idée, une opinion de façon publique ou privée. Je suis honorée, M. le Président, d'avoir fait partie si longtemps de cette Assemblée nationale avec vous.
De vous toutes et tous j'emporte avec moi l'image de votre dévouement sans borne à la démocratie, aux électeurs, à l'avenir du Québec. Grâce à vous, j'ai pu me forger mes priorités, mes convictions, mes attitudes. J'ai donné le meilleur de moi-même avec loyauté, avec rigueur, sans craindre mes erreurs. J'ai remis cent fois sur le métier, j'ai douté, j'ai consulté, j'ai écouté, je me suis trompée, j'ai reculé, et puis j'ai décidé. Peut-être que mon tempérament me permettait tout cela, mais l'exercice de la démocratie exige une pratique sans pareille de toutes ces attitudes, pratique assaisonnée d'un brin d'humilité. J'ai beaucoup appris, je vous assure.
Peut-être que le mot le plus important qui décrit notre rôle ici est «respect». Des deux côtés de la Chambre, pouvoir et opposition, nous partageons et appliquons ces notions, ces valeurs: respect des règles du jeu qui font toute la différence entre nous et les régimes autoritaires dans trop de pays dans le monde, respect de notre tâche, par conséquent humilité nécessaire, vanité superflue, sens des responsabilités - tout abus de pouvoir me semble tellement inconcevable -, respect de nos commettants, les électrices et électeurs de nos comtés, bien entendu, mais aussi respect de toute la population du Québec pour laquelle certaines des décisions prises ici peuvent changer la vie, respect des opinions des collègues, des adversaires, respect de l'opposition, de l'opinion publique, des individus, des groupes, qui ne partagent pas toujours les mêmes objectifs, respect de l'institution même. Cela fait la force de notre Assemblée nationale qui, en des moments cruciaux de l'histoire du Québec, a su parler fort et d'une voix unanime.
Des traces
Bien sincèrement, je pense avoir fait ma part dans quelques réalisations concernant la vie des Québécoises et des Québécois. Par définition, l'histoire est un processus lent, mais certaines mesures que j'ai mises en place et auxquelles j'ai contribué peuvent avoir aidé à changer la société québécoise. Cela me remplit de fierté.
À travers les nombreux ministères dont j'ai eu la responsabilité, et je peux dire que j'ai fait le tour de la maison de la gouvernance, j'ai laissé quelques traces. Je pense notamment à la mise en oeuvre d'une réforme majeure en éducation, à l'annonce de mesures de soutien au profit de l'école montréalaise, à l'amorce des changements nécessaires dans l'épineuse question de l'urgence dans les hôpitaux, la création des premiers centres de traitement des cancers - il s'en ouvre de nouveaux, actuellement, fort heureusement ou malheureusement, mais on peut au moins soigner les gens - à Ottawa, l'obtention d'un amendement constitutionnel pour déconfessionnaliser les commissions scolaires du Québec, et je ne peux m'empêcher de vous rappeler que j'ai été la première ministère des Finances à commencer d'économiser pour réduire la dette du Québec: 500 millions, on était loin du compte, mais ce n'est pas une raison pour ne pas commencer. Les femmes savent qu'il n'y a pas de petites économies.
Par ailleurs, j'ai parcouru 100 fois, 1000 fois les régions du Québec. Je les connais bien et j'ai toujours travaillé dans leur intérêt. La centralisation du pouvoir, le maximum de pouvoir, très peu pour moi. Certaines décisions furent difficiles, déchirantes même, j'en ai payé le prix. Certaines mesures ont réussi, d'autres moins; le temps est juge de nos choix gouvernementaux.
Il y a une réalisation dont je suis très fière, c'est une responsabilité que j'ai porté pendant des années, de ministère en ministère, conjointement avec ma collègue et amie Nicole Léger. J'en veux un petit peu en ce moment au gouvernement de traiter ce dossier sans toute la considération qu'il mérite. Ce sera l'ultime expression de mon privilège de députée de l'opposition, de critique du gouvernement. Je m'explique.
Les centres de la petite enfance ont changé la vie de milliers de familles. Avec l'ouverture des classes maternelle cinq ans à la rentrée 1997, dans toutes les écoles du Québec, en y ajoutant le projet très ficelé du congé parental, quelques autres mesures, nous mettions en place une réelle politique familiale reflétant nos moyens et l'évolution de notre société québécoise. Je ne comprends toujours pas comment on peut imaginer qu'une somme d'argent à la famille peut remplacer l'éducation.
Les enfants ne s'élèvent pas tout seuls. Demandez aux parents, aux professeurs, aux éducatrices: faire grandir un enfant demande mille gestes, des millions de paroles, de l'affection, de l'attention, de l'amour jour après jour pendant des années. Une société ne se bâtit pas sur des manques. Ne gaspillons pas cet acquis, M. le Président. [...]
Un rêve
Peut-être que mon approche de beaucoup de ces dossiers était une approche de femme. Pourquoi pas? Je ne l'ai jamais nié. Je fais de la politique comme je suis. J'ai le plaisir d'entendre des femmes, très souvent jeunes, me dire je suis un modèle. Je suis toujours étonnée d'entendre ça. Et elles me demandent: Mme Marois, comment fait-on de la politique? Toujours je réponds que je l'ignore, car la vraie question, ce n'est pas celle-là. Pourquoi veut-on faire de la politique?
Moi, je suis entrée en politique parce que j'avais un rêve. Je voulais changer le monde et je crois l'avoir changé un peu. C'est comme cela et pour cela que je me suis engagée. La politique s'apprend. Elle est un moyen, un moyen de changer les choses. Elle est d'abord un engagement. Il me reste à souhaiter que bientôt une femme puisse occuper au Québec la fonction de chef d'État. Il me semble qu'il serait temps. [...]


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