Ce vieux proverbe arabe est riche d'enseignement: «Si encombrant soit-il, mieux vaut garder son chameau sous la tente et le faire pisser dehors plutôt qu'être arrosé de l'extérieur.»
On peut comprendre Michel Bastarache de vouloir éviter que sa commission se transforme en forum politique. Certes, la participation du PQ aurait pu donner aux audiences une allure plus partisane, mais c'était peut-être un moindre mal.
Le PQ se doutait sûrement que sa demande avait toutes les chances d'être rejetée. Claude Béchard a probablement raison de dire que c'est ce qu'il souhaitait. Dès le départ, Pauline Marois avait déclaré que le premier ministre Charest avait «choisi son juge». Il aurait été fâcheux que M. Bastarache dissipe cette impression.
Il est vrai que les partis politiques ne sont pas généralement invités à participer aux commissions d'enquête, mais il n'est pas fréquent non plus qu'une commission soit créée pour vérifier des allégations de trafic d'influence dont un premier ministre en exercice est l'objet. Tant qu'à créer un précédent...
Jeudi, le porte-parole de la commission, Guy Versailles, a entrouvert une porte, laissant entendre que la requête du PQ pourrait être agréée si elle était formulée autrement. Puisque Me Bastarache désire étendre son enquête sur le processus de nomination des juges à la période 2000-2003, Pauline Marois — ou tout autre député qui était ministre à l'époque — aurait pu faire valoir qu'elle avait un intérêt direct dans l'affaire.
Les représentants du PLQ et du premier ministre Charest, qui, eux, sont déjà assurés du statut de «participants», chercheront sans doute à savoir si quelque «influence indue» n'a pas été exercée sur le gouvernement péquiste.
Pour dissiper tout doute sur sa bonne foi, le PQ aurait pu présenter une autre demande. Hier, loin de saisir la perche tendue, Mme Marois, qui devait jubiler intérieurement, a carrément réclamé la dissolution de la commission. Il n'était surtout pas question de permettre à Me Bastarache de corriger son erreur.
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Les juges n'ont pas toujours de bons réflexes politiques, comme l'avait abondamment démontré John Gomery, qui avait manqué plusieurs bonnes occasions de se taire, même si on en a fait un héros depuis.
Chuck Guité était peut-être un «charmant coquin», ce n'était pas à lui de le dire, alors que son enquête était encore loin d'être terminée. Qualifier les balles de golf signées par Jean Chrétien de small town cheap était tout aussi maladroit.
Alors que l'ancien premier ministre contestait l'impartialité de la commission Gomery devant les tribunaux, son président avait commis l'incroyable imprudence de préfacer un livre écrit par son attaché de presse. Le juge Gomery certifiait l'exactitude de son compte rendu des travaux de la commission, dont le ton était franchement hostile envers M. Chrétien. Résultat: le juge Max Teitelbaum, de la Cour fédérale, avait fait annuler les blâmes que la commission avait adressés à M. Chrétien et à son chef de cabinet, Jean Pelletier.
Il est bien possible que Marc Bellemare s'adresse lui aussi aux tribunaux, si on veut le forcer à témoigner. Pour le moment, un autre tribunal, celui du peuple, évalue la crédibilité de la commission présidée par Me Bastarache et, jusqu'à présent, ce dernier n'a rien fait pour l'établir.
La commission ne se préoccupe pas de «toute l'agitation qui se passe autour», a déclaré son porte-parole Guy Versailles. C'est une grave erreur. Même si ses éventuelles conclusions sont justes, encore faudra-t-il qu'on la croie.
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Sans surprise, Jean Charest n'a manifesté aucun intérêt pour une commission parlementaire devant laquelle Me Bellemare accepterait présumément de témoigner, comme l'ADQ l'a de nouveau proposé. La commission Bastarache achèverait de se déconsidérer en suspendant ses travaux avant même de les avoir entrepris. Cela équivaudrait à un sabordage.
Pour le premier ministre, il est encore moins question de dissoudre la commission. D'ailleurs, en aurait-il seulement le pouvoir? La rapidité avec laquelle elle a été créée donne la mesure de son désir de dissiper les doutes sur son intégrité et il est visiblement furieux de la tournure des événements.
Les partis d'opposition entendent cependant s'assurer que cette opération de blanchiment n'aura pas pour effet de satisfaire l'appétit de la population pour une enquête sur la corruption dans l'industrie de la construction. Au contraire, si les dés semblent pipés, elle pourrait même contribuer à l'aiguiser.
Le PQ avait tout intérêt à conserver sa marge de manoeuvre. En participant aux travaux de la commission, il aurait été assujetti à ses règles, qui peuvent être passablement contraignantes. Bien sûr, ses avocats ne pourront pas contre-interroger les témoins ou en appeler d'autres, mais rien n'empêchera le PQ de poser ses questions à l'extérieur de la commission et de les accompagner de tous les commentaires que Me Bastarache aurait pu trouver inappropriés. Cela promet.
En général, les chameaux n'aiment pas beaucoup coucher sous la tente, mais ils n'ont aucune objection à pisser dedans.
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