Quand Jean-Marc Fournier a parlé d’une « diplomatie de la francophonie » qui imposerait au Québec une certaine retenue dans ses revendications linguistiques afin de ne pas nuire aux francophones hors Québec, on a cru à une mauvaise excuse pour justifier le refus du gouvernement Couillard d’étendre la loi 101 aux entreprises privées relevant de la compétence fédérale.
Les propos tenus par le premier ministre lui-même lors de sa récente visite à Toronto donnaient néanmoins l’impression que la promotion du français dans le ROC plutôt qu’au Québec était réellement devenue sa priorité en matière linguistique.
S’il a toujours l’air de marcher sur des oeufs quand il lui faut aborder la question de l’identité québécoise, M. Couillard semblait réellement heureux de cette occasion de « réaffirmer que la francophonie est une caractéristique fondamentale de l’identité canadienne » et de saluer « le rôle clé joué par les francophones dans la fondation et la construction du Canada d’aujourd’hui et leur importance pour le Canada de demain ».
Dans son esprit, la responsabilité d’un premier ministre du Québec déborde largement ses frontières. Il a le devoir de « protéger notre langue au Québec, ailleurs au Canada et partout en Amérique du Nord ». Dans un autre contexte, on l’imaginerait très bien insister sur le fait qu’un Québec souverain ne serait plus en mesure de soutenir les francophones hors Québec, qui seraient alors abandonnés au bon vouloir du Canada anglais. Le camp du Non n’avait d’ailleurs pas hésité à jouer cette carte lors du référendum de 1995.
Vingt-cinq ans après l’échec de l’accord du lac Meech, le Québec ne se définit plus comme une « société distincte », mais plutôt comme une « nation », un mot que M. Couillard s’est bien gardé de prononcer. C’est comme s’il avait plutôt repris à son compte le concept de « foyer principal de la francophonie au Canada » qu’avait développé le comité spécial du PLQ sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise dans son rapport de 2001.
« Nous devons élaborer un programme qui vise à consolider la place qu’occupe l’ensemble de la francophonie canadienne au centre des valeurs qui sont fondamentales pour l’avenir de notre lien fédératif », pouvait-on y lire. C’était aussi le sens des propos que M. Couillard a tenus devant les parlementaires ontariens.
Même s’il se sent personnellement à l’aise dans le Canada de Pierre Elliott Trudeau, il ne fait aucun doute que le premier ministre aurait aimé être l’artisan du retour du Québec dans le giron constitutionnel à des conditions acceptables à une majorité de Québécois, mais il lui a bien fallu se rendre à l’évidence que le Canada anglais veut d’autant moins en entendre parler que la menace séparatiste s’est estompée.
À Toronto, M. Couillard a bien réitéré que la spécificité québécoise devra être reconnue un jour ou l’autre, même s’il n’est pas question qu’il prenne lui-même l’initiative de réclamer une réouverture du dossier constitutionnel. En attendant, il se rabat sur la mission qui était traditionnellement celle du Québec jusqu’à la rupture survenue aux États généraux du Canada français en 1967, quand les délégués avaient affirmé son droit à l’autodétermination et proclamé le Québec « territoire national ».
Malgré toute la sympathie qu’ils avaient et ont toujours pour la lutte courageuse des francophones hors Québec, une majorité de Québécois en sont graduellement venus à la conclusion qu’ils ne pouvaient plus lier leur sort à ceux que René Lévesque avait brutalement qualifiés de « dead ducks ».
Certes, les liens demeurent nombreux, mais le gouvernement Couillard a lui-même démontré les limites que les intérêts fondamentaux du Québec imposent à cette solidarité quand il a plaidé en Cour suprême contre les francophones du Yukon, qui réclamaient une dérogation à l’article 23 de la Charte canadienne des droits afin de recruter des élèves francophones actuellement inadmissibles à l’école française, de peur que les anglophones du Québec ne réclament le même traitement.
Si le premier ministre a maintenant le loisir de se porter au secours du français dans le reste du pays, c’est sans doute qu’il se porte à merveille au Québec même, comme il se plaît à le répéter.
D’ailleurs, les questions identitaires, qu’il s’agisse de langue ou d’identité, sont totalement absentes de l’ordre du jour du 32e congrès des membres du PLQ, qui aura lieu les 13 et 14 juin prochains. Bien entendu, on n’y discutera pas de Constitution non plus. Deux thèmes fourre-tout seront plutôt proposés aux délégués : l’équité intergénérationnelle et la relance économique des régions et des communautés. Bref, les « vraies affaires ».
Pendant ce temps, à un jet de pierre du Palais des congrès, on construit le CHUM en anglais.
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