En 1977, l’adoption de la loi anti-briseurs de grève se voulait le symbole concret de ce que René Lévesque appelait le « préjugé favorable envers les travailleurs » que revendiquait le Parti québécois. Une des questions que doivent se poser ses membres, à l’occasion de la course au leadership, est de savoir si ce préjugé existe toujours et, dans l’affirmative, comment il doit s’exprimer.
Depuis le début de la course, les adversaires de Pierre Karl Péladeau ne cessent de lui rappeler, sur le ton du reproche, les positions férocement antisyndicales qu’il a prises durant ses années à la tête de Québecor.
À l’occasion du débat entre les candidats qui a eu lieu dimanche à Saguenay, Alexandre Cloutier lui a demandé sans obtenir de réponse s’il souhaitait toujours fiscaliser les indemnités versées aux travailleurs en grève ou en lockout, qui sont actuellement libres de toute imposition, faisant valoir qu’à six mois du choix du futur chef, les membres sont en droit de connaître les grandes orientations que le parti pourrait prendre.
À ses quatre adversaires qui réclament tous que la loi anti-briseurs de grève soit modernisée pour tenir compte des nouvelles technologies, M. Péladeau a opposé les autres modifications au Code du travail que les employeurs ne manqueraient pas d’exiger en retour et qui pourraient aller à l’encontre des intérêts des travailleurs.
C’est exactement la position que le gouvernement Charest avait adoptée en 2011, quand le PQ avait présenté un projet de loi qui se limitait à une révision des dispositions concernant les briseurs de grève. C’est d’ailleurs ce qu’avait recommandé le rapport de la commission parlementaire chargée d’étudier le projet de loi, malgré l’opposition unanime des représentants du patronat, dont M. Péladeau n’était pas le moindre. À l’heure d’Internet, la commission en était arrivée à la conclusion que la notion d’« établissement », sur laquelle était basée la loi de 1977, était totalement obsolète.
La thèse voulant qu’une forme de compensation devrait être offerte aux employeurs repose sur un sophisme grossier. Le gouvernement Lévesque avait voulu corriger le déséquilibre causé par le recours aux briseurs de grève, qui conférait un avantage indu aux employeurs. Maintenant que la technologie a recréé le préjudice qui était causé aux travailleurs, au nom de quelle logique faudrait-il dédommager les employeurs parce qu’on rétablirait l’équilibre? Existe-t-il un droit à l’injustice ?
« Aujourd’hui, il n’y a pas de problème avec le Code du travail », objecte M. Péladeau. Précisément. Quand le PQ avait présenté son projet de loi, en 2011, le lockout au Journal de Montréal durait depuis près de deux ans, de sorte qu’un changement des règles du jeu au beau milieu de la partie aurait pu être interprété comme la manifestation d’un parti pris. C’est maintenant qu’il faudrait agir, avant qu’un autre conflit éclate.
Autre sophisme proféré par M. Péladeau : les travailleurs, qu’ils soient syndiqués ou non, « veulent des jobs » et non pas une modification du Code du travail. Comme si cela était incompatible ! Cela rappelle la sortie saugrenue de Sam Hamad, selon lequel les gens de Québec ne voulaient pas un pays, mais une équipe de hockey.
Avoir un préjugé favorable envers les travailleurs ne signifie pas être inféodé aux syndicats. S’il y a eu une époque où les représentants du SPQ Libre pouvaient se féliciter du fait que le programme du PQ était calqué sur l’agenda syndical, elle est révolue depuis longtemps.
On ne pourra sans doute plus jamais lire dans le programme officiel du PQ, comme c’était le cas dans celui de 2005, que la syndicalisation est la « voie privilégiée » vers une société plus juste et plus humaine, qu’un gouvernement péquiste s’emploierait à « élargir ». Les années Marois ont plutôt vu la consécration de la « création de la richesse » comme principal moteur du progrès social.
S’il est vrai que la prochaine série de négociations pour le renouvellement des conventions collectives dans le secteur public pourrait donner lieu à un sérieux bras de fer entre le gouvernement Couillard et les centrales syndicales, il demeure que les affrontements les plus durs des dernières décennies ont eu lieu quand le PQ était au pouvoir.
Le président de la FTQ, Daniel Boyer, a dû renoncer à l’idée de mobiliser les membres de sa centrale pour bloquer la route de M. Péladeau. Le député de Saint-Jérôme a eu beau faire de louables efforts pour reconnaître le rôle positif des syndicats dans le passé, on ne lui reconnaîtra jamais un quelconque préjugé favorable envers les travailleurs. Son élection marquerait une rupture entre le PQ et le monde syndical après presque un demi-siècle de relations souvent houleuses, mais néanmoins étroites. Il s’agit d’un choix légitime, mais il doit être conscient.
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