Les souverainistes, trop souvent, étouffent sous la politesse. Ils sont tellement bien élevés qu’ils en viennent presque à se paralyser volontairement de peur de vexer leurs adversaires avec une vérité inconvenante. Ils veulent tellement avoir l’air de gentils garçons et de jeunes filles dociles respectant toutes les opinions qu’ils peinent à rappeler une réalité élémentaire : aussi honorable soit-il, le Canada est pour les Québécois un pays étranger. Et plus encore: même si on croit aujourd’hui que «tout le monde il est beau, tout le monde il est fin», on ne devrait pas se gêner pour dire que ce pays, historiquement, s’est construit sur notre négation comme peuple et comme nation. Le Canada, en un mot, nous fait du mal comme peuple et nous condamne à la régression historique. Qu'on me permette de rappeler pourquoi en ce 1er juillet.
Pendant longtemps, le Canada a manqué de substance identitaire. Il en a tellement manqué qu’il a dû siphonner la nôtre pour s’en donner une. Qu’il s’agisse de son hymne national ou même de son nom, il a pillé ceux qu’on appelait alors les Canadiens-français pour se donner un peu de consistance. Cela ne l’a pas empêché, paradoxalement, pendant une bonne partie de son histoire, de bafouer les droits du peuple canadien-français. Aujourd’hui que ce dernier agonise et qu’il est condamné dans les provinces anglaises à une existence quasi-folklorique, le Canada l’expose publiquement pour se donner bonne conscience. Les Canadiens-français sont un bibelot identitaire pour Ottawa. Qui s’imagine encore sérieusement que dans quelques décennies, ils ne seront pas condamnés à une existence végétative?
Le Canada aime se faire croire qu’il est le meilleur pays du monde. Il nous l’a d’abord répété pour nous dissuader de nous en séparer. Mais un jour, il s’est vraiment mis à le croire et à se prendre pour une superpuissance morale appelée à éclairer la planète. Il aime donner des leçons à la terre entière. Surtout, le Canada serait le pays de la diversité heureuse : ce serait une carte postale incarnée. Mais le Canada contemporain, c’est surtout le pays du fondamentalisme multiculturaliste. C’est un pays qui au nom de «l’ouverture à l’autre», banalise des symboles identitaires comme le niqab et justifie les accommodements raisonnables les plus grotesques. Il est prêt à s’ouvrir à toutes les identités du monde, sauf à celle d’un de ses deux peuples fondateurs. Nous pensions que nous étions un peuple sur deux : on nous a expliqué que nous ne sommes qu’une nuance parmi d’autres dans la diversité canadienne.
Faut-il rappeler qu’avec la constitution de 1982, le Canada a fermé la porte une fois pour toutes aux aspirations nationales du peuple québécois? Dans la constitution canadienne, nous ne sommes qu’une province sur dix, sans originalité ni distinction. Nous ne sommes pas reconnus constitutionnellement comme une nation. Nous ne sommes même pas reconnus comme une société distincte. Et depuis près de trente ans, notre Assemblée nationale, la seule législature contrôlée par une majorité de francophones en Amérique du nord, a assisté à une terrible régression de ses pouvoirs. Les Québécois, dans le Canada, sont de moins en moins capables de nommer leurs intérêts et de les défendre.
Les Québécois aiment se faire croire qu’ils sont aujourd’hui parfaitement libres. Même les souverainistes qui veulent quitter le Canada ne croient plus que le peuple québécois y soit dominé. Il faudrait pourtant rappeler que dans le cadre canadien, la loi 101 a été déconstruite morceau par morceau par les tribunaux fédéraux. Le Canada, au Québec, conteste le statut de la langue française et veut n’en faire qu’une langue sur deux. Dans le cadre canadien, il nous sera impossible de nous donner une vraie Charte de la laïcité sans qu’elle ne soit torpillée par les mêmes tribunaux. Dans le cadre canadien, nous ne sommes pas libres de décider si oui ou non, un pipeline passera chez nous et à quelles conditions. Et si jamais nous parvenons à organiser un nouveau référendum, il se tiendra sous la tutelle de la loi fédérale sur la clarté, qui nous soumet à un parlement contrôlé par une majorité d’une autre nation.
Dans le cadre canadien, quand un jeune Québécois veut faire carrière dans l’armée ou la diplomatie, il est obligé de rejoindre des institutions qui l’angliciseront presque inévitablement. Plus largement, c’est le sort qui l’attend dans la fonction publique fédérale. Ceux qui nous font croire qu’à Ottawa, les deux langues ont le même statut sont des farceurs décomplexés. J’ajoute que ces jeunes Québécois ne pourront même pas servir les intérêts diplomatiques ou militaires de leur nation : ils devront intérioriser l’intérêt national d’un pays qui ne reconnaît même pas l’existence de leur propre peuple. Le Canada, en quelque sorte, nous condamne à une forme de schizophrénie politique en nous divisant contre nous-mêmes.
Cette domination, pourtant, nous ne voulons plus la ressentir. Et nous nous habituons peu à peu à notre canadianisation mentale – j’entends par-là que même si nous continuons de nous définir d’abord et avant tout comme Québécois, notre identité prend de plus en plus forme dans les paramètres constitutionnels et idéologiques imposés par le régime canadien. Nous sommes Québécois dans l’espace que le Canada nous laisse. Nous intériorisons mentalement ses obligations et ses interdictions, et nous cessons de réfléchir à ce qui serait bon pour notre peuple en soi – nous réfléchissons plutôt à ce qu’on peut faire dans l’espace mental, constitutionnel et financier de plus en plus réduit que le Canada nous laisse. Le Québec est poussé à s’identifier à un pays qui le nie et cherche même à lui plaire comme s’il le prenait comme modèle.
Et puisque nous vivons dans un monde où la mémoire se dessèche et qui sacralise le temps présent, on oublie l’histoire des dernières décennies. Le Canada a travaillé très fort pour nous casser et nous domestiquer. Le Québec a été mis au pas à coup de fausses promesses constitutionnelles, comme on l’a vu en 1980, de corruptions massives de nos élites, comme on l’a vu avec le scandale des commandites et de campagnes de culpabilisation systématique de l’identité québécoise, comme on l’a vu avec le Plan B dans les suites du dernier référendum. On ajoutera qu’avec la stratégie de la péréquation et tout le discours qui l’entoure, le Canada veut nous convaincre que nous sommes un peuple incapable de s’autodéterminer et qui a besoin de s’accrocher aux mamelles fédérales pour survivre.
Je veux bien croire que le Canada est un pays agréable pour les individus québécois qui y vivent, comme peut l’être n’importe quel autre pays occidental. Mais pour le peuple québécois, c’est un cadre politique qui programme sa dissolution. L’avenir du Québec dans le Canada, c’est celui de Justin Trudeau, et c'est un triste sort : un nom de famille francophone qui s’exprime mieux en anglais qu’en français et qui se fait une fierté de dédaigner son peuple en présentant ses revendications les plus légitimes comme des manifestations d’égoïsme et d’ethnocentrisme. Justin Trudeau incarne notre avenir dans ce pays : c’est un Québécois qui se sent Canadien d’abord et qui nie le droit de son peuple à s’autodéterminer. Et plus il le fait, plus il se sent cool. Autrefois, on appelait ça l'assimilation. On est en droit de souhaiter un autre destin au peuple québécois qu’habiter éternellement une maison où il ne peut même pas dire son nom.
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