Le Canada: l'histoire d'une confusion entretenue

Au royaume de la confusion, les historiens amateurs sont rois

Québec 2008 - autour du 400e


Au royaume de la confusion, les historiens amateurs sont rois. Après bien
d'autres, [monsieur Patrice Garant vient d'ajouter encore un peu plus de
confusion->13538] dans la notion de Canada comme si cela était possible. Champlain
fondateur du Canada ? Sans doute que oui. Mais de quel Canada s'agit-il ?
En nous submergeant de citations et de références, il crie à l'évidence:
le fils de Brouage est bel et bien à l'origine de notre Canada actuel.
Quelle torsion de l'histoire ! Quelle manipulation des faits !
Tout d'abord, monsieur Garant confond Nouvelle-France et Canada en disant
que c'est la même chose. Or ce n'est pas du tout le cas. La
Nouvelle-France désigne l'ensemble de l'empire français d'Amérique. Le
Canada d'alors n'est qu'une partie de cet empire, la partie la plus
importante certes, mais une partie seulement. À témoin cette citation
tirée d'un manuel en usage à l'Université Laval à la fin des années 1960:
«Le Canada du régime français n'est, en Nouvelle-France, qu'une région de
peu d'étendue; mais c'est là que la population s'est groupée de la façon
la plus dense: il y aura en 1760 quelque 76,000 habitants. Le Canada,
c'est tout ce pays habité depuis Vaudreuil, en amont de Montréal, jusqu'aux
Éboulements (sur la rive nord) et de Châteauguay à Rimouski sur la rive
sud. Correspondant à l'aire seigneuriale, il est divisé en trois
gouvernements.» (Tiré de «Canada Unité et Diversité» de Paul G. Cornell,
Jean Hamelin, Fernand Ouellet et Marcel Trudel.) La Nouvelle-France,
toujours selon les mêmes auteurs, comprend en plus l'Acadie, la Louisiane,
les Pays d'en Haut (région des Grands Lacs) et la Mer de l'Ouest (le
chapelet de postes de traite établis par La Vérendrye et ses fils).
Pour revenir à ce Canada qui correspond grosso modo à la vallée du
Saint-Laurent, il devient «Province of Quebec» à partir de 1763. La seule
trace qui subsiste de cet ancien Canada, c'est que ses habitants continuent
de se désigner comme Canadiens. Ils y sont largement majoritaires mais le
pouvoir politique et la maîtrise de leur économie leur échappent. Normal,
ce sont des conquis.
Et ce n'est pas la politique plus libérale de l'Angleterre à partir de
1774 qui va changer quelque chose. Cette politique, motivée par
l'agitation des Treize Colonies, va amener un agrandissement de la
«Province of Quebec» jusqu'à y inclure tout le sud de l'Ontario actuel.
Mais il n'y a pas de Canadiens à l'ouest de la rivière Outaouais. Il n'y a
que des Amérindiens et quelques postes de traite contrôlés par les
marchands anglais. Les Canadiens demeurent toujours concentrés dans la
vallée du Saint-Laurent dans les seigneuries où ils commencent à être à
l'étroit.
En 1791, le terme Canada réapparaît mais dupliqué. L'Angleterre a divisé
la «Province of Quebec» pour créer le Haut-Canada et le Bas-Canada séparés
par la rivière des Outaouais. Le Bas-Canada, c'est essentiellement le
Canada du régime français mais le Haut-Canada a été créé pour récompenser
et accueillir les Loyalistes qui fuient les États-Unis pour demeurer
fidèles à l'Angleterre. Ceux-là, il est plutôt difficiles de les associer
à Champlain. Progressivement, ils vont se dire Canadians.
En 1840, après l'écrasement des Patriotes, l'Angleterre décide de
réunifier ce qu'elle avait divisé en 1791 pour placer les Canadiens
d'expression française en minorité pour faciliter leur assimilation telle
que souhaitée par Lord Durham. Cette union est imposée. C'est le
Canada-Uni formé du Canada-Ouest (Haut-Canada) et du Canada-Est
(Bas-Canada), celui de Champlain. Les Canadiens francophones sont
minoritaires à l'assemblée, l'anglais est la seule langue officielle.
Difficile d'y voir un acte fondateur de notre part. Il faut se demander
comment Champlain aurait réussi à s'y reconnaître.
En 1867, le Canada actuel apparaît quand l'Ontario, le Québec, le Nouveau
Brunswick et la Nouvelle Écosse forment le Dominion du Canada. On pourrait
arguer que puisque le Québec est un membre fondateur et que ce Québec est
en fait, à peu de choses près, le Canada de Champlain, le fondateur de
Québec peut donc être considéré comme le fondateur du Canada. Difficile
d'être plus tordu. Le Canada de 1867 est une création de l'Ontario et de
la bourgeoisie d'affaires surtout anglophone de Montréal. Cela n'a rien à
voir avec le grand explorateur de la Charente Maritime.
Et pour ceux qui pourraient encore penser que Champlain est à l'origine du
Canada actuel, revoyez ce qui s'est passé en 1982. Le Canada est reparti
sur d'autre bases en envoyant paître le Québec. Dans la trajectoire
canadienne, Champlain était déjà plus que moribond. Cette année-là, il est
mort pour de bon.
Le sujet est déjà suffisamment compliqué, on a nul besoin d'amateurs pour
venir embrouiller le tout davantage. Des marchands d'ambiguïté, on en a
amplement. Quand on s'intéresse à un sujet historique, on commence par
consulter un bon manuel et si l'on veut compléter, on peut s'attaquer à des
documents de première main tout en gardant en mémoire que ces documents par
lesquels on jure peuvent renfermer eux-aussi une bonne part d'imprécision.
Gilles Ouimet

diplômé de l'Université Laval et enseignant d'histoire pendant 35 ans.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Né à Mont-Laurier en 1947. Études primaires à cet endroit. Études classiques à Mont-Laurier et Hull entre 1961 et 1968. Diplômé en histoire de l’Université Laval en 1971. Enseignant à la polyvalente de Mont-Laurier entre 1971 et 2005. Directeur d’une troupe de théâtre amateur (Troupe Montserrat) depuis 2000. Écriture pour le théâtre, notamment une pièce à l’occasion du centenaire de Mont-Laurier en 1985 (Les Grands d’ici), une autre à l’occasion du 150e anniversaire du soulèvement des Patriotes (Le demi-Lys...et le Lion) en 1987 (prix du public lors du festival de théâtre amateur de Sherbrooke en 1988 et 2e prix au festival canadien de théâtre d’Halifax la même année). En préparation, une pièce sur Louis Riel (La dernière Nuit de Louis Riel). Membre fondateur de la Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides. Retraité de l’enseignement depuis 2005.





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