Élections fédérales

Le Canada est sur le bord de l’implosion

Jamais un adversaire n’est-il plus dangereux que lorsqu’il se sait acculé au pied du mur

Chronique de Richard Le Hir

Combien de temps le Canada est-il encore capable de tenir avec la présence à Ottawa d’une forte représentation du Québec qui refuse de participer au gouvernement du pays ailleurs que dans l’Opposition ? Réponse : pas très longtemps.
Si les sondages constituent un juste reflet de l’opinion, les Québécois s’apprêtent à favoriser largement le Bloc Québécois une fois de plus. Et, dans le processus, on risque en plus d’assister à l’effondrement d’un grand parti national, le Parti Libéral du Canada qui, désormais privé de la forte base d’appuis que lui assurait le Québec, n’est pas parvenu à articuler un discours suffisamment rassembleur ailleurs au pays pour à tout le moins conserver l’espoir de reprendre un jour le pouvoir.
À la dissolution des chambres la semaine dernière, cela faisait dix-huit ans que le Bloc Québécois représentait majoritairement le Québec à la Chambre des communes et qu’il n’avait aucune présence au Sénat.
Cette absence à la chambre haute est due au fait que les sénateurs sont nommés par le parti majoritaire à la Chambre des Communes et que ni le Parti Conservateur, ni le Parti Libéral avant lui, n’ont jugé opportun de désigner des sénateurs bloquistes, ce qui entraîne pour le Québec un déficit démocratique que personne au Québec n’a jamais jugé important de mettre en relief tant nous sommes déconnectés du régime fédéral depuis le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982. Ce déficit « sénatorial » ne fait que nourrir la désaffection des Québécois à l’endroit non seulement du régime fédéral, mais du pays qu’est le Canada.
Au lendemain de la dernière élection fédérale, le 20 octobre 2008, Le devoir publiait mon analyse du résultat sous le titre « La souveraineté à l’envers » (il figure également dans les archives de Vigile). Trois ans, ce titre n’a rien perdu de sa pertinence, et il demeure pleinement d’actualité, ce qui me permet de vous le citer :
« Au lendemain du référendum de 1995, j'avais publié un essai sur l'importance de la légitimité dans la perception qu'avaient les Québécois des enjeux constitutionnels et de l'avenir politique du Québec (La Prochaine Étape — Le défi de la légitimité, Stanké, 1997), pour conclure que le résultat de ce référendum en constituait un reflet très exact.
Il faut reconnaître à la Cour suprême du Canada le mérite d'avoir la première signalé l'existence de la problématique. En effet, dès 1981, lors du rapatriement de la Constitution, elle avait souligné la distinction qu'il fallait faire entre légalité et légitimité. Si la démarche du gouvernement fédéral était légale, elle n'en était pas pour autant légitime. 
Illégitimité

Le Québec n'ayant jamais ratifié la Constitution de 1982, le Canada vit dans l'illégitimité depuis 1982, et le déficit de légitimité n'a fait que se creuser depuis lors. L'accord du lac Meech n'a pu être ratifié, l'accord de Charlottetown a été rejeté par une majorité de Canadiens et de Québécois, le référendum de 1995 n'a été rejeté qu'à une très faible marge, et le Québec envoie à Ottawa une représentation très majoritairement souverainiste depuis 1993.
Encore cette semaine, à l'occasion du dernier scrutin fédéral, le Bloc québécois est parvenu à faire élire 50 de ses candidats sur un total possible de 75, devançant ainsi largement les autres partis. Qui plus est, la participation au scrutin a été une des plus faibles de l'histoire. Et ne parlons pas des multiples incidents à gravité variable qui minent le système. Au Québec, le Canada ne fait pas recette. Quand ce n'est pas la faute des libéraux, c'est celle des conservateurs. 
Douce solution
N'étant pas parvenus à dégager un consensus suffisant sur la souveraineté au Québec même, et redoutant les profonds déchirements internes qu'entraîne immanquablement un débat référendaire, les Québécois ont trouvé un moyen soft d'affirmer leur identité et leurs ambitions nationales: à Ottawa, dans les tulipes fédérales! Dans le processus, ils sont déjà parvenus à se faire reconnaître comme nation par le gouvernement fédéral, même si cette reconnaissance demeure encore tout ce qu'il y a de plus symbolique. 
Mais les Québécois ont su tirer une leçon de leur histoire: l'avenir appartient à ceux qui durent. Encore quelques années, et le fossé déjà très profond avec le reste du Canada deviendra un gouffre infranchissable. Les faits s'imposeront à tous, et le Québec se détachera du Canada comme un fruit mûr, au grand soulagement des intéressés de part et d'autre qui n'en pourront plus de cette lente agonie politique qui aura trop duré.
Sans gloire mais efficace
Après « l'étapisme » cahoteux, la souveraineté à doses homéopathiques du bon Dr Gilles Duceppe, avec seulement 38 % du vote populaire, et sans débats fratricides et interminables sur l'importance de la majorité nécessaire ! Tout cela n'est pas très glorieux, mais c'est d'une efficacité machiavélique. Et quelle économie d'énergie!
Trop heureux de l'aubaine, certains applaudiront. Je redoute pour ma part un pays qui naîtrait dans de telles conditions. Je n'ai guère d'appétit pour les cendres. Et pour ce qui est de la légitimité... »

Sentant au début de l’année dernière que l’échéance se rapprochait, j’ai recommencé sur Vigile à participer au débat sur l’indépendance en soulignant l’importance de la légitimité à chaque fois que je le pouvais. S’il suffit du vote de 38 % des Québécois pour venir à bout du Canada en 20 ans, il faut qu’ils soient au moins 50 % plus un à choisir de faire du Québec leur pays, et idéalement un peu plus, si l’on veut que ce projet ait toutes les chances de réussite.
Cela dit, l’importance de l’écart entre les tenants du Oui et du Non revêtirait un caractère beaucoup moins critique dans le cas d’un Canada sur le bord d’une implosion qu’il pouvait en avoir en 1995 lorsque l’imminence de celle-ci n’apparaissait pas aussi clairement. Le capitaine JRM Sauvé est sans doute le premier à avoir si clairement évoqué la possibilité d’une telle implosion en 2004 dans un article remarquablement bien documenté que l’on retrouve sur Vigile.
Dans ces conditions, il faut prévoir que la campagne électorale qui vient de commencer va être le théâtre d’une offensive sans précédent pour tâcher d’ébranler l’emprise que détient le Bloc Québécois sur un nombre aussi important de comtés au Québec. La Presse s’est déjà fendue de trois éditoriaux en autant de jours sur le sujet, et nous n’en sommes qu’au tout début de la campagne.
Vous pouvez vous assurer que ces efforts vont s’intensifier au fur et à mesure que nous rapprocherons de l’échéance électorale et que des sondages viendront confirmer l’emprise du Bloc si elle se maintient. Attendez-vous même à des trémolos pathétiques vers la fin de la campagne du genre du « love-in » de Montréal en 1995. Le camp fédéraliste est très conscient de la précarité du lien fédéral au Québec, il sait qu’il ne peut plus compter sur le Parti Libéral, et il ne reculera devant rien pour tenter de renverser la vapeur.
Jamais un adversaire n’est-il plus dangereux que lorsqu’il se sait acculé au pied du mur.


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13 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    29 mars 2011


    Messieurs Le Hir et Boivin,
    J'appréhende l'implosion du Canada parce que tout
    changement majeur dans un ordre de choses comporte
    un risque de troubles graves et de guerre civile et
    étrangère que je connais par l'étude et l'expérience.
    Nous devons appréhender ce qui va arriver et prendre
    d'infinies précautions pour éviter les désordres et
    possiblement une guerre dont nous devrons faire les
    frais.
    Formé moi-même pour la guerre, je ne l'aime pas
    davantage qu'un oncologue aime le cancer. Il y
    danger et il y aura des menaces et nous devons
    nous en prémnunir.
    JRMS

  • Archives de Vigile Répondre

    29 mars 2011

    Gilles, vous dites : "Je trouve que depuis un cerain temps les signes s’accumulent [...]"
    Je trouve aussi, et je me rappelle un éditorial de, je crois, Robert Laplante qui disait que l'embacle n'a jamais empêché le printemps.
    Quand la rivière est gélée et que les glaces de l'embacle s'accumulent, tout semble figé, rien ne bouge, mais sous la glace, la rivère se gonfle et s'arcboute, et un jour l'embacle craque et cède, et c'est le printemps aussi magnifique et grandiose que soudain et inattendu.
    (J'ai aussi un faible pour le lyrisme...)
    Patrice

  • Archives de Vigile Répondre

    29 mars 2011

    D'une certaine manière et sans cynisme, jai le goût de dire que ça ne peut pas toujours aller mal. Toutes choses ont une fin, même les mauvaises.
    je trouve que depuis un cerain temps les signes s'accumulent qui montrent un clivage important quant au sentiment d'appartenance. Et cela dérange, même le sénateur rivest nomme les choses avec justesse et précision.
    J'entends régulièrement Iggy répéter qu'on peut être à la fois Québécois et Canadien dans l'ordre que l'on veut. Serait-ce que même Iggy comprends (bien qu'il ne l'admettra jamais) qu'en fait plus le temps passe, plus on s'en fiche du Canada?
    Les seuls liens qui nous tiennent rattachés (et non attachés) à ce pays, ce sont ceux qui nous sont imposés.
    Je n'ai jamais pensé dans ma vie qu'il y avait quelque chose me liant solidairement à un pêcheur de crabe de Terre-Neuve, un producteur de blé de la Saskatchewan et un pêcheur de saumon de la Colombie Britannique.
    Je n'ai jamais pensé que j'étais l'espèce d'hibryde dont le concept et l'image trottine dans la tête d'Ignatief. Alors imaginez la distance qu'il y a entre ma vision du monde et celle de Stephen Harper.
    Les continents bougent. Les fédéralistes qui s'imaginent que leur vision globale du Canada peut demeurer intégralement intacte avec le temps sont des rêveurs. Ou plus justement peut-être, des fossiles.

  • Archives de Vigile Répondre

    29 mars 2011

    Le Bloc provoque le craquement de ce carcan qui éclate.
    (J'ai un faible pour les allitérations...)
    Patrice

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    29 mars 2011

    @ Boivin
    Si le Canada se dirige vers une implosion c'est que la résilience du Bloc qui représente l'État nation du Québec (Celui dont Trudeau niait l'existence) a créer une dynamique politique qui amène le ROC à exclure (de facto) lui même le Québec de la fédération. Ce n'est pas le temps pour le Bloc de démissionner alors même qu'il arrive au but.
    Tout ce qui nous reste à faire c'est de nous préparer pour ce qui devient inéluctable: "Pendant que le Canada se définit sans nous, le Plan Marois propose de redéfinir résolument le Québec sans lui." D'ou la pertinence de ce plan:
    http://www.vigile.net/Le-difficile-changement-de
    ...
    JCPomerleau

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    29 mars 2011

    M Le Hir, parfaitement d'accord avec votre dernier commentaire. Le ROC ne va pas nous retenir mais, va nous faire payer le prix fort, surtout si Harper obtient sa majorité. Dans un tel cas le Québec va devoir se ramasser et refaire sa cohésion nationale à son corps défendant afin de mieux défendre ses intérêts.
    JCPomelreau

  • Yves Rancourt Répondre

    28 mars 2011

    Je ne sais pas si vous aurez raison, monsieur LE HIR, mais, si l'on regarde le sondage de la fin de semaine de Le Devoir-ThreeHundredEight.com qui projette un écart de seulement 21 comtés entre le Parti libéral et le Bloc québécois, tout est effectivement possible, et peut-être plus vite qu'on ne peut l'imaginer. Il suffirait seulement d'une mauvaise performance du Parti libéral doublée de bonnes performances du Parti conservateur et du Bloc pendant la campagne pour que cet écart projeté de 21 comtés s'envole et que le Bloc devienne ainsi... l'opposition officielle à Ottawa.
    Si, par un tel concours de circonstances, une telle situation devait se produire, on peut imaginer tout de suite ce qui se passerait à la Chambre des communes dans les prochains mois. Là, je crois que vous auriez sans doute eu raison de dire ce que vous avez dit ce soir!
    Évidemment, ce ne sont que de simples spéculations d'un observateur à l'imagination parfois trop fertile... Mes salutations à vous.

  • @ Richard Le Hir Répondre

    28 mars 2011

    Réponse @ JCPomerleau
    Je n'ai pas dit que le Canada allait vouloir nous retenir. Ce sont les fédéralistes du Québec qui vont vouloir qu'on reste dans le Canada, et ils vont obtenir l'appui des nostalgiques de Trudeau (une espèce en voie de disparition) au Canada anglais.
    Richard Le Hir

  • Mario Boivin Répondre

    28 mars 2011

    Quelques questions à monsieur Le Hir.
    Qu’y a-t-il de différent dans l’appréciation que vous faites de la situation actuelle par rapport à la situation lors de la dernière élection fédérale ? Que je sache, le parti libéral du Canada n’était pas en meilleure posture que maintenant.
    Alors pourquoi le Canada serait-il à la veille d’imploser cette fois-ci plus que la dernière fois ?
    Combien d’années devrons-nous encore attendre que le Canada implose ?
    Ne serait-il pas préférable de provoquer les choses ?
    Monsieur Sauvé, vous dites : « Vos arguments confirment mes appréhensions. » Pourquoi appréhender l’implosion du Canada ? Je vous rappelle qu’appréhender signifie « Anticiper (quelque chose) avec inquiétude, craindre. » Pourquoi s’inquiéter et craindre l’implosion du Canada ? Si tant est que cela se produise ?
    Monsieur Pomerleau, vous dites « …il n’y aura pas de Love parade ». C’est quoi le problème ?
    Vous savez tous très bien ou vous devriez savoir qu’une fois indépendant notre pouvoir de négociation sera décuplé.
    C'est pourquoi j'attire votre attention sur ce qui suit : http://www.vigile.net/Ce-que-le-Bloc-devrait-faire

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    28 mars 2011


    .....
    Le texte de M Sauvé que vous évoquez:
    L’implosion du Canada
    Implosion veut dire désintégration d’un État par l’intérieur, sans violence physique, ou presque, pour la simple raison que l’État concerné, n’existant déjà plus ou presque plus dans les faits, finit par cesser d’exister de droit.
    http://www.vigile.net/L-implosion-du-Canada#forum13478
    ...
    Et, en lien avec le texte de M Sauvé. Un préalable: la fin du Canada de Trudeau
    http://www.vigile.net/La-fin-du-Canada-de-Trudeau
    ...
    Et le sens donné au résultats des dernières élections fédérales: La victoire de la nation.
    http://www.vigile.net/La-victoire-de-la-nation
    ...
    M Le Hir, pour avoir fréquenté les travaux de M Sauvé depuis quelques années, je dois dire que je partage votre point de vue dans ce texte. Sauf pour la conclusion sur le fait que l'on va essayer de nous retenir. Le pouvoir politique est passé à l'Ouest et cette voix devenu prépondérante pour la suite de l'histoire nous dit qu'il n'y aura pas de Love parade:
    "If at some future day Quebec decides it wants to chart its own course, the rest of Canada cannot moan about the possibility. We cannot plead with Quebecers to stay. We can lay out the pros and cons of staying and leaving, as we see them, and hope Quebecers will chose to remain.
    The plaintive wailing last time -- the fly-in federalist lovefest of 1995, for instance -- only added to the nationalists' disgust with weak, out-of-touch Canada. Such emotional beseeching may convince Quebec to stay for a while at very high cost, but it does far less for national unity than leaving Quebec to do its own thing."
    Read more: http://www.nationalpost.com/opinion/columnists/Quebec+thing/4043839/story.html#ixzz19jhQYpuO
    ...
    JCPomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    28 mars 2011


    Monsieur Le Hir,
    J'ai publié il y a plusieurs années dans Vigile un
    article technique sur l'implosion du Canada.
    Vos arguments confirment mes appréhensions.
    Nous devons cependant nous préparer a en subir de
    redoutables conséquences. Bien sûr que les conditions
    actuelles finalisent la désintégration du Canada mais
    nous devons éviter d'en faire les frais.
    Il y a du travail a faire.
    Salutations
    JRMS

  • Archives de Vigile Répondre

    28 mars 2011

    Et pendant ce temps, voilà comment notre tsariste national
    finance sa campagne =>
    http://www.postedeveille.ca/2011/03/canada-ignatieff-participe-a-une-levee-fonds-avec-des-islamistes-lies-au-freres-musulmans.html#more

  • L'engagé Répondre

    28 mars 2011

    Entendu,
    L'élection de Papineau parait cruciale : symboliquement et mathématiquement
    Le bloc a perdu par moins de 1000 voix en 2008, l'engagé propose d'aller travailler sur le terrain.