Le bal des hypocrites

L'idée fédérale

L'an dernier, à l'occasion du dix-neuvième anniversaire de la tuerie de l'École polytechnique, le lieutenant de Jack Layton au Québec, Thomas Mulcair, toujours prêt à défendre les «valeurs québécoises», avait critiqué avec la fougue qu'on lui connaît l'inaction du gouvernement Harper en matière de contrôle des armes à feu.
Il serait plus exact de dire que tous les efforts des conservateurs depuis leur arrivée au pouvoir en 2006 ont visé à démanteler le registre institué par le gouvernement Chrétien. Ils n'y sont pas encore parvenus, mais ce n'est pas faute d'avoir essayé.
M. Mulcair, qui s'empresse généralement de sauter sur le premier micro, est demeuré bien discret depuis mercredi, quand douze de ses collègues du NPD ont joint leur voix à celles des conservateurs pour approuver en deuxième lecture un projet de loi qui, en ce vingtième anniversaire du drame de Polytechnique, prévoit l'émasculation du registre.
«Certains de nos députés voteront [pour le démantèlement], de manière à envoyer ce projet de loi en comité», avait expliqué M. Layton. Doit-on comprendre qu'ils ont appuyé le projet afin de mieux le rejeter plus tard? Le chef du NPD a parfaitement le droit de renier ses principes parce que son intérêt politique du moment le commande, mais il devrait nous épargner l'injure de nous prendre pour des valises.
Dans le cas de Michael Ignatieff, personne ne devrait être surpris. Au cours des six derniers mois, cet intellectuel célébré a largement fait la preuve qu'il est surtout une brillante girouette, ce qui explique en bonne partie sa chute dans les sondages.
M. Ignatieff a qualifié le projet conservateur de «mischief», qu'on pourrait traduire par «malveillance». Pourtant, il a laissé huit de ses députés l'appuyer. On peut reprocher bien des choses à Stephen Harper, mais il a au moins de la suite dans les idées.
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La tradition parlementaire voulant qu'un projet de loi privé donne lieu à un vote libre semble en être une à géométrie variable. Tous les députés du Bloc québécois ont voté selon la ligne du parti.
Une autre tradition veut que, dans le cas où un député de l'opposition se voit forcé de s'absenter au moment d'un vote, un député ministériel s'abstienne également de voter pour maintenir l'équilibre des forces en présence.
Mercredi, le député bloquiste de Saint-Jean, Claude Guimond, qui croyait avoir contracté le virus H1N1, voulait éviter de contaminer ses collègues de la Chambre des communes, mais le gouvernement a refusé le pairage. Apparemment, tous les députés conservateurs étaient trop anxieux d'enregistrer leur vote.
Bien sûr, le registre des armes à feu est contesté dans certaines régions rurales, comme c'est le cas du droit à l'avortement, du mariage gai ou du bilinguisme. Quand les intérêts supérieurs de la société sont en cause, l'hypocrisie et la compromission n'ont cependant pas leur place.
Personne ne prétend que le registre va prévenir tous les meurtres, mais les corps policiers sont unanimes à dire que sa création a fait diminuer substantiellement le nombre de décès par balle. Sur ce point, on peut leur faire confiance.
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Au Québec comme ailleurs au pays, il y a des chasseurs que l'obligation d'enregistrer leurs armes agace, mais les dix députés conservateurs qui ont voté pour le projet de loi étaient-ils bien sûrs de refléter l'opinion de leurs commettants?
À Québec, où les orignaux ne courent pas les rues, les électeurs de Josée Verner ou de Sylvie Boucher souhaitent-ils vraiment que le registre soit transformé en coquille vide? À moins qu'ils n'aient suivi le même cheminement que les électeurs de M. Harper à Calgary. À en croire le premier ministre, ils étaient pour l'ouverture du registre en 1995, ce qui l'avait poussé à l'appuyer lui aussi, mais ils ont apparemment changé d'idée. À cause des chacals, peut-être?
Même si des nominations au Sénat permettent aux conservateurs d'en prendre le contrôle, il est loin d'être assuré que le projet de loi pourra franchir toutes les étapes de son adoption avant le déclenchement de la prochaine élection générale. On peut déjà prévoir que le Bloc québécois en fera ses choux gras durant la campagne.
La dernière fois, la décision maladroite d'abolir les programmes d'aide aux tournées culturelles avait redonné vie au Bloc. Le vote de mercredi lui permettra de mettre les libéraux et les néo-démocrates dans le même sac que les conservateurs, tous unis dans un même rejet des «valeurs québécoises».
Même si c'est à la suite d'une fusillade survenue à Toronto que le gouvernement Chrétien a institué le registre, il demeure indissociablement lié à la tuerie de Polytechnique dans l'esprit des Québécois. L'abolir reviendrait en quelque sorte à banaliser cette tragédie.
Bien sûr, il faut tout tenter pour sauver le registre, mais est-il normal qu'il faille se rendre en procession à Ottawa pour empêcher la destruction d'un instrument qui permettra peut-être d'éviter un nouveau massacre? Tant qu'à y être, pourquoi ne pas se mettre à genoux?


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