Langue et indépendance

Tribune libre

Bien qu'elle soit un puissant moteur, la langue française n'est pas la seule stratégie sur laquelle miser pour concrétiser le nouvel État souverain. Il est inutile de rappeler que ce sont une poignée de très purs francophones de Québec, de Beauce et d'Outaouais qui bloquent le projet, autant sinon plus que l'anglophone bohème du Mile-End.
Sept cent ans de domination anglaise et la presque disparition de la langue celte n'ont pas empêché l'Irlande de manifester son désir d'indépendance. La langue anglaise n'a jamais réussi à effacer l'identité irlandaise, ni son désir de se gouverner seule, d'obtenir une souveraineté politique.
Une langue est une menace que si elle est accompagnée d'une vision identitaire compétitrice et d'une démographie grandissante qui l'appuient.
Ce qui rend l'anglais un meurtrier culturel au Québec ce n'est pas l'anglais en soi mais plutôt son association à une vision identitaire canadienne anglaise compétitrice, portée par une masse grandissante d'immigrants anglicisés.
Inutile de rappeler que langue anglaise n'est aucunement synonyme de fédéralisme en soi, elle n'est aucunement l'opposé de l'indépendantisme. États-Unis et Irlande n'en sont que deux preuves évidentes. Washington, Jefferson, Franklin, Collins étaient des indépendantistes. Il y avait chez les Patriotes de 1838 des Irlandais d'origine .
La grande majorité des Irlandais ont perdus leur langue au cours des 700 ans d'occupation anglaise. Même aujourd'hui, après des efforts de réhabilitation de la langue celte irlandaise, ils demeurent imprégnés profondément par l'anglais. Ce fait les a-t-il rendus de serviles sujets britanniques pour l'éternité? A-t-il détruit leur identité collective assez pour effacer tout désir d'indépendance? Non. Même devenus anglophones et profondément colonisés pour sept cent ans, ils ont voulu et eu leur indépendance. Un Québec complètement anglicisé saurait-t-il en faire autant?
La réponse est non si le concept de Quebecker n'est pas amené à faire compétition au concept de Canadian chez l'anglophone d'ici. La réponse est oui s'il l'est amené. Car pour survivre, l'identité propre et le désir de liberté politique doivent s'appuyer sur plus que la langue. Si l'identité propre et le désir d'indépendance irlandais reposaient uniquement sur la langue celte, ils seraient morts ou extrêmement marginaux, trop marginaux pour concrétiser quoique soit politiquement.
Côté résultats stratégiques, nourrir une identité Anglo-québécoise compétitrice et adverse à une identité Anglo-canadienne porte fruits presque autant que défendre le français en soi. Car il est possible de défendre le français futilement à l'intérieur du Canada jusqu'à la disparition de cette langue. Il est moins probable d’effacer une identité portée par un intérêt commun qui va au delà de la langue.
La langue française est le facteur clef à l'identité Québécoise mais elle n'est pas le seul. Une identité culturelle repose aussi sur deux autres piliers: terre commune et histoire commune. Ces derniers peuvent aussi apporté leur poids et stratégie à la cause.
Miser sur la langue comme seule ciment identitaire peut être une stratégie de survie mais elle n'est pas en soi une stratégie concrète qui mène à l'indépendance. En principe, un souverainiste partage plus d'avenir en commun avec son concitoyen québécois anglophone qu'avec un franco-manitobain fédéraliste.
Les principes derrières l'indépendance dépassent d'ailleurs la simple question de la langue. En plus de l'identité, qui comporte aussi l'idée de terre et d'histoire commune, il y a le principe de la liberté, de la république démocratique, de la fiscalité équitable, du droit de signer des traités à l'international, du rejet de la monarchie, de l'honneur rétabli, etc.
Si la protection d'une langue était le seul motif derrière les mouvements indépendantistes, l'Irlande et les États-Unis seraient encore aujourd'hui britannique, et le Maghreb ou l'Amérique Latine ne ferait qu'un pays.
Les motivations à l'indépendance autre que linguistique doivent aussi être mis de l'avant pour renforcir ce ralliement, pour aider à faiblir l'identité Canadian au Québec.
Reprenant l'image du combat de l'Irlande, à défaut d'avoir mieux, il est préférable de vivre dans un Québec bilingue libre et souverain que de vivre dans un Québec provincial francophone minoritaire à qui on régurgite une identité Canadian qui ne lui appartient pas. Cette deuxième option n'est d'ailleurs plus un option car le Québec canadien ne montre aucun signe qu'il se francise, bien au contraire.
Il n'est aucunement question ici d'établir un Québec souverain bilingue, mais plutôt d'une stratégie temporaire pour permettre une meilleure intégration des anglophones, diviser et affaiblir l'adversaire fédéraliste.
Stabilisés, coupés de renforcements entrant du Canada, les populations anglophones ne seront pas en nombre suffisant dans un Québec souverain pour représenter quelconque menace. La première langue officielle ne sera qu'une, le français. L'anglais, comme les langues autochtones peuvent être reconnues comme langues secondaires sans craintes ou renforcement nuisible au français.
Car s'il n'a d'autre choix, l'authentique souverainiste préférera vivre dans un Québec souverain bilingue que dans un Canada de plus en plus purement anglophone. Monarchiste, héritière d'une élite méprisante responsable de déportation, d'intimidation et de racisme, l'identité Canadian ne pourra jamais être pleinement épousée, même une fois le peuple devenu pleinement anglicisé. Tout comme il était intolérable que les colonies américaines restent britanniques ou que le Mexique reste espagnol, il restera inacceptable que le Québec demeure Canadian, peu importe s'ils parlaient la même langue un jour.
Le souverainiste ne doit pas seulement nourrir la langue comme facteur d'identité distincte mais tout le reste qui lui permettra d'atteindre l'objectif la tête haute même si cette langue vient à faillir.
On le voit dans l'architecture, le vocabulaire, le système électoral, les repas, etc.
Même s'il redevenait 100% francophone, le Québec restera toujours teinté d'un certain héritage britannique. Tout comme l'Irlande, les États-Unis et bientôt l'Écosse, ceci n'empêche en rien de tracer son destin vers l'indépendance. Mieux vaut canaliser cette composante de notre histoire vers l'indépendance, plutôt que de laisser l'adversaire l'utiliser pour l'empêcher.
Le mouvement souverainiste est de nature civique et gagne à séduire et désamorcer les craintes de l'électeur anglophone d'ici.


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    18 mai 2014

    Monsieur Charlebois,
    J'ai longuement réfléchi à votre texte. Ayant été professeure de linguistique et de français langue seconde pendant ma carrière et considérant ma langue maternelle comme un des biens les plus précieux et un outil formidable d'ouverture au monde, mon premier réflexe a été de trouver difficile d'accepter de minimiser son importance dans notre démarche vers l'indépendance tel que vous le proposez.
    Toutefois, vos arguments corroborent la lecture actuelle que je fais de la biographie de Thomas Jefferson. Il est bien vrai que la langue peut ne pas constituer un facteur déterminant de la quête d'indépendance. Les raisons des Américains, entre autres, reposaient plutôt sur le rejet de l'absolutisme royal et des lois étrangères à leurs intérêts, sur l'absence de maîtrise de leur immigration, sur le manque de respect de leurs instances politiques et judiciaires de la part de « leurs frères de la Grande-Bretagne » ainsi que sur le manque de justice et de magnanimité de ceux-ci « sourds à la voix de la raison et de la consanguinité » (http://www.salic.uottawa.ca/?q=declaration_dindependance).
    Cette lecture ainsi que celle de votre texte m'amènent à penser que vous avez raison. Nous pourrions désormais soumettre à TOUS nos concitoyens un projet de pays fondé, non plus principalement sur la protection du français (laquelle serait assurée de facto une fois l'indépendance atteinte), mais sur des motifs à la fois négatifs (face à Ottawa) et positifs (pour nous-mêmes), faisant appel à leur intelligence et à leurs émotions.
    Je crois que TOUS les Québécois peuvent trouver des raisons valables de souhaiter notre indépendance. À nous de les en convaincre avec un discours renouvelé.

  • Archives de Vigile Répondre

    16 mai 2014

    Je pense que vous vous trompez. En effet, en Irlande, l'identité n'est pas reliée a la langue mais ici c'est le cas. Le Québec est fortement associé à la langue française (c'est le seul état francophone en Amérique ) et choisir le Québec, c'est choisir la langue française. C'est aussi pourquoi celui qui ne veut pas devenir québécois choisit (et j'insiste, il s'agit d'un choix) de ne pas vivre en français. C'est aussi pourquoi je pense que croire que des gens qui vivent en anglais au Québec vont un jour voter pour l'indépendance du Québec est complètement irréaliste.

  • Archives de Vigile Répondre

    16 mai 2014

    Désolée bien que l'analyse sous cette angle est à tenir en compte de qualité et instructive,cela demeure"pour ma part personnelle" une lecture incomplète d'angles existentiel fondamentale.
    La langue maternelle va au delà de l'apprentissage elle est «matricielle» une des imprégnation première et déterminante de notre fait physique animal.Les schèmes de créativité s'y développe autant que par adaptation(oui dans le développement) que par potentiel intrinsèque transmis. Même colonisé l'empreinte reste dans le collectif.Étouffer l'essence d'être dans son expressivité si vous voulez mais la résilience et l,adaptation collatérale va préserver le réactif de l'agression et contribuer à d'éventuel problématiques même après des générations.
    La langue matricielle est "contributive"(une des part qui agit sur et non la seule) au développement psychique,de la pensée et à la structuration de l'identité individuelle, par extension également de tout la collectivité.
    Elle est l'essence d'expression de ce qui anime de l'intérieur.donc est la résonance de l'âme(ce qui anime,sens premier, et non au sens religieux sens secondaire) donc l'âme identitaire qu'on exprime par elle. C'est viscérale pour ce fait naturel et même assimilé dans une autre langue la transmission patrimoniale se perpétu .
    Tant que les Homme n’aurons pas compris que c'est de l'intérieur vers l'extérieure que se développe l'humanité ,les société et toute patrie distincte, on continuera à agresser et enfarger une évolution saine de l'humanité, parce qu'on ne protègera pas la source de transmission de l'être.
    Là Je ne fais que vous partager une minuscule part succincte de démarche de recherche citoyenne très engagée sur ce sujet vue que je consacre ma vie à ce qui touche l'existentiel,le libre-arbitre,le fait féminin et sa part dans l'identitaire et tout cela pour contribuer à préserver l'essence identitaire pour notre pérennité

  • Archives de Vigile Répondre

    16 mai 2014

    Je suis du même avis que ce que vous discutez. C'est fichtrement plus qu'une question de langue la souveraineté du Québec. C'est le discours que plus de la moitié des Québécois adoptent pourtant. Combien de gens ont pu déclarer dans le passé, que l'on n'a pas besoin de la souveraineté du Québec car on en a une loi 101...