Bien des Québécois souhaitent que le débat sur le port des signes religieux soit clos une fois pour toutes. C’est un leurre toutefois de penser qu’il suffit d’appliquer le compromis formulé en 2008 par Bouchard-Taylor pour tout régler. C’est aussi un leurre de croire que le flou sur ce qui est permis et interdit se dissipera par magie. La sensiblerie et la démagogie dont ont fait preuve cette semaine les politiciens autour du hijab de l’étudiante en techniques policières Sondos Lamrhari montrent qu’il faudra compter sur les tribunaux pour dénouer l’impasse.
Le débat sur le port de signes religieux anime et divise le Québec depuis plus de 10 ans et sert de carburant à toutes les formations politiques qui mêlent neutralité des institutions et des individus, impartialité, prosélytisme et droit des victimes, épinglette d’un parti et kippa à l’approche des élections.
Celles de l’automne ne feront pas exception même si bon nombre de Québécois, de toutes allégeances politiques, souhaiteraient sûrement que leurs élus s’attaquent à d’autres dossiers beaucoup plus urgents et préoccupants pour l’avenir du Québec.
Jugée trop timide au départ, la proposition de Gérard Bouchard et de Charles Taylor d’interdire le port de signes religieux aux agents de l’État (magistrats, procureurs de la Couronne, policiers, gardiens de prisons, président et vice-président de l’Assemblée nationale) est devenue au fil du temps un point de ralliement pour plusieurs citoyens, mais aussi pour les partis politiques. Sauf pour le Parti libéral du Québec et son chef, bien que la formule semble ne pas déplaire à tous les députés francophones.
Rappelons aussi que Charles Taylor s’est dissocié l’an dernier de cette recommandation de son rapport. S’il estimait en 2008 qu’il s’agissait d’un bon compromis dans le contexte québécois, il a constaté que la proposition de restreindre les droits de certaines classes de citoyens — il pointait du doigt la Charte des valeurs du gouvernement péquiste — avait eu ces dernières années un effet secondaire de stigmatisation notamment chez les musulmans.
L’ancien commissaire justifiait également son retrait par le fait qu’une législation pour interdire le port de signes religieux «serait très probablement invalidée par les cours». Des libéraux pensent de même. Passons le test des tribunaux.
Si les politiciens, y compris les libéraux, souhaitaient vraiment sortir les Québécois d’un débat dans lequel ils pataugent depuis 10 ans et qui n’est bon ni pour les Québécois dits de souche ni pour ceux d’origines et de religions diverses, le prochain gouvernement devrait s’engager à demander un renvoi pour que la Cour suprême détermine si le compromis de départ de Bouchard-Taylor est compatible avec la Charte des droits et libertés.
Le Parti québécois et la Coalition avenir Québec disent qu’ils appliqueront Bouchard-Taylor s’ils forment le prochain gouvernement. Leur décision sera assurément contestée devant les tribunaux — comme la loi 62 adoptée par les libéraux sans l’appui des partis d’opposition —puisque le port de signes religieux est permis notamment à la Gendarmerie du Canada et dans de grandes villes canadiennes sans que personne crie à l’endoctrinement ou à un traitement biaisé.
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Lorsque le portrait sera clair, lorsque les droits des uns et des autres seront bien définis par la cour, le Québec pourra prendre les dispositions nécessaires, par exemple recourir à la clause dérogatoire, si son souhait est de ne pas se mouler au multiculturalisme à la canadienne.