Le train de la mort a frappé le cœur de la ville de Mégantic. C’était le 6 juillet de l’année dernière. Et il a suffi de quelques secondes pour que le terrible piège se referme. A suivi le compte à rebours avec ce chiffre maudit : 47 victimes.
Avant cette date fatidique, jamais je n’aurais pensé qu’une telle chose pourrait survenir, surtout pas au mois de juillet.
Parce que l’été c’est le moment de l’année où la nature est luxuriante, les cyclistes pédalent à plein régime au fil de ses reliefs variés et de ses nombreuses vallées verdoyantes et boisées. Vous pensez que le Québec est un plat pays ? Détrompez-vous !
Mégantic? C’est la destination rêvée pour contempler les étoiles avec l‘AstroLab, le centre d’activités par excellence en astronomie. Avec quelques amis chercheurs, on y allait en pédalant. C’était il y a belle lurette, lorsque j’étudiais la physique à l’université de Montréal.
Certes, nous étions un peu téméraires et insouciants. Mais rien à voir avec cette irresponsabilité qui caractérise cette tragédie, de bout en bout, dont les causes sont connues de tous depuis le début : la négligence.
Un train rempli de cochonneries explosives qui traverse la ville, est-ce possible?
Un conducteur, seul, laissé à lui-même à la tête d’un convoi qui lui fausse compagnie en pleine nuit et qui dévale vers Mégantic à vitesse folle, est-ce imaginable?
Des bureaucrates à Ottawa qui nous expliquent dans un jargon à peine compréhensible que ce convoi de la mort respecte plus ou moins « les normes » édictées, est-ce croyable?
Des « normes » conçues en catimini par qui et au profit de qui?
Qui sont ces élus qui portent l’odieux d’une telle incurie?
Et puis, ce type aux États-Unis, Ed Burkhardt, le patron du transporteur ferroviaire Montreal Maine and Atlantic (MMA) en faillite, enfermé à double tours dans son château jouant à cache-cache avec les médias ?
« Hello, I am coming…soon…very soon »
Et lorsque le grand manitou finit par sortir de sa tanière pour prendre le chemin de Lac-Mégantic une semaine après l’explosion, il ne daigne même pas se payer les services d’un interprète. De toute façon, imagine-t-on un patron américain ou anglais parler l’arabe, le tamoul ou le haoussa?
Ed Burkhardt dit souffrir des suites de la tragédie. « Je suis passé de quelqu’un qui était bien en moyens à quelqu’un qui vit correctement. Mais bon, ce sont des choses qui arrivent. »
Pôvre ti-pit qui veut nous faire croire qu’on est tous égaux face au drame!
Remettre l’Homme au centre de l’économie
Dans quel type de société vivons-nous ? Quel système économique avons-nous enfanté? Quels politiciens avons-nous élus? Cette tragédie est-elle un simple accident de parcours, un mauvais moment passager comme il y en a à tous les jours en Asie et en Afrique, ou bien au contraire un événement qui caractérise un régime « normal » de développement des sociétés fondé sur la concurrence et la déréglementation d’une « économie destructrice »?
J’entends bien cette exigence de reconstruction pour recoller les morceaux et se donner un nouvel élan. Mais on commence par quoi ?
Oui, « on commence par quoi » ? Quelle est la feuille de route pour rebâtir une ville défigurée par une catastrophe si terrible marquée par l’incurie du gouvernement fédéral qui a bradé la protection de nos enfants face au pouvoir de l’argent ? Faut-il, « remettre l’Homme au centre de l’économie » et en finir avec cet univers de la mondialisation adossé au profit à outrance?
Le profit pour le profit, cette ritournelle du monde contemporain, n’a aucun sens. De fait, la principale caractéristique de l’histoire mondiale aujourd’hui est que nous ne savons ni quel monde nous construisons, ni pourquoi nous le faisons.
Longtemps nous avons pris la compétition comme le seul aiguillon de la libre entreprise. Il suffit chaque matin d’écouter les procès que l’on fait à l’État pour s’en rendre compte. Or, ce que nous rappelle brutalement cette catastrophe, c’est l’incapacité de la libre entreprise à s’autoréguler pour respecter les normes les plus élémentaires de sécurité, de respect de la population ainsi que de l’environnement. Si l’État délaisse ses propres champs de compétences, ce n’est pas la libre entreprise qui va les combler. Et les plus grands perdants ce sont nous, les citoyennes et citoyens.
Ed Burkhardt, lui, ne fera jamais passer un train de saloperies dans son jardin.
Reprendre notre destin en main, c’est refuser le passage des trains de la mort dans nos villes.
On n’en veut pas. Point.
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