C'est peu dire que les responsables juifs ont été cueillis à froid, au sortir de shabbat, par l'annonce de Nicolas Sarkozy sur l'abattage rituel, samedi 3 mars. Contre toute attente, le candidat de l'UMP à l'élection présidentielle s'est déclaré pour "l'étiquetage de la viande en fonction de la méthode d'abattage". Cet engagement revient à préciser sur les emballages si la viande vendue dans le circuit classique est issue d'un animal égorgé sans étourdissement préalable, selon la tradition musulmane et juive.
"Cette annonce suscite dans la communauté une totale incompréhension", assure le rabbin Bruno Fiszon, conseiller du grand rabbin de France sur ces questions. "Elle est pour nous illisible car jusqu'à présent la ligne du président de la République et du gouvernement était claire : pour la défense de l'abattage rituel - en limitant les abus - mais contre la politique d'étiquetage restrictif. Nous avons eu des garanties en ce sens jusqu'à très récemment. La communauté juive, rejointe par les responsables musulmans, se bat depuis des années contre un tel étiquetage jugé "stigmatisant" et susceptible de susciter "un boycott" et donc un surcoût de la viande.
Selon différentes sources, la volte-face de M. Sarkozy, qui survient trois semaines après les déclarations fracassantes de Marine Le Pen sur la présence de viande halal dans le circuit de distribution classique, a surpris jusque dans sa majorité. Le ministère de l'agriculture jugeait il y a quelques jours encore une telle mesure "stigmatisante". Ce discours officiel globalement favorable à l'abattage rituel a même empêché tout débat national sur ce sujet.
A plusieurs reprises, les parlementaires UMP ont renoncé à des textes prônant l'étiquetage, sous la pression du gouvernement, sensible aux arguments des religieux et des industriels. La France est même le principal pays à défendre ces positions au niveau européen. Aussi, ce changement de pied de M. Sarkozy en pleine campagne électorale est-il perçu par certains responsables religieux comme "un mouvement de panique" face aux sujets mis en avant par le Front national.
UN DÉBAT "GROTESQUE"
Il n'empêche, qu'il s'agisse d'une annonce de campagne ou d'une réelle inflexion de la politique française, les religieux pourraient changer de stratégie et accepter une forme d'étiquetage. "Mais, précise le rabbin Fiszon, si on étiquette pour l'abattage rituel, on étiquette pour tout, y compris en précisant le taux d'étourdissements ratés ou les conditions de transport." Une position également défendue sur RMC, lundi 5 mars, par le grand rabbin de France, Gilles Bernheim.
La communauté juive s'inquiète des difficultés à écouler de la viande abattue rituellement sur le marché classique, car, selon la cacherout, seuls 30 % à 40 % d'un animal sont propres à la consommation, le reste se retrouvant dans le circuit conventionnel.
Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohammed Moussaoui, estime de son côté que "la seule mention 'après ou sans étourdissement' ne dit pas toute la réalité. Ainsi, en termes de communication, ce n'est pas pareil d'inscrire 'assommé par un pistolet à tige perforante'"." Il se dit par ailleurs "inquiet" de cette polémique qui "créé des tensions dans la société". Pour Fateh Kimouche, responsable du site militant d'information du consommateur musulman Al Kanz, l'étiquetage est en revanche indispensable : "C'est le manque de transparence qui alimente l'islamophobie."
François Bayrou, candidat du MoDem, a déploré la manière d'aborder certains thèmes comme le halal, évoquant une "dérive" pouvant mener à une "explosion de la société". Pierre Moscovici, directeur de campagne de François Hollande, qui s'est peu exprimé sur ces thèmes, a accusé M. Sarkozy de "stigmatiser de façon sournoise" les musulmans. Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche) a dénoncé un débat "grotesque".
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Stéphanie Le Bars
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