La vigilance heureuse

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« On a beau chanter en anglais bien souvent, ce qui nous coule dans les veines est résolument francophone »


Samedi dernier, j’assistais au 30e anniversaire d’une de mes plus anciennes amies d’école. L’événement avait de particulier qu’il faisait aussi office de retrouvailles pour nombre d’entre nous.   



À un moment de la soirée, après les beaux mots d’amour et d’amitié au micro pour la fêtée, le groupe de musique de son conjoint s’est mis à jouer les succès des groupes américains qui avaient fait la trame sonore de nos années de secondaire. Je chantais et partageais sincèrement le plaisir de tous, mais une part de mon cerveau prenait autrement la mesure du fait que nous avions vraiment grandi à l’ombre de la culture anglophone. À quel point elle était aujourd’hui gardienne de tellement de nos souvenirs et donc d’une part certaine de notre identité, puisque cette dernière, si elle se bâtie d’abord sur notre éducation et nos expériences, elle s’épanouit aussi et surtout à travers tout ce qui nous a touchés au point de nous créer des souvenirs.   



Le groupe a ensuite enchaîné avec Marine marchande des Cowboys fringants et le feu nous a pris au cœur. Je me suis alors imaginé un instant mes copains tenir, plutôt qu’une basse, un clavier et une guitare, un violon et un accordéon, et l’émotion m’est immédiatement montée, car j’ai réalisé que, malgré l’adversité constante et l’américanisation sauvage, nous étions les toujours les mêmes. Que nous étions encore là, indéniablement Québécois. Que l’identité s’était transmise, quoi qu’on en dise, comme de l’eau qu’on ne peut empêcher d’entrer quelque part. Qu’on a beau chanter en anglais bien souvent, ce qui nous coule dans les veines est résolument francophone et que si ma génération internet et Musiqueplus avait réussi à passer le cap sans devenir américaine, alors que les dés n’étaient certainement pas jetés pour les prochains.   



Puis, j’ai repensé à ces mêmes souvenirs que je chéris pourtant profondément et que je ne voudrais que l’on soustraie à ma mémoire sous prétexte qu’ils se sont inscrits en moi dans la langue de Shakespeare et je me dis qu’être vigilants, finalement, ce n’est pas haïr, rejeter ou perpétuellement craindre, mais veiller à ne pas se laisser submerger. C’est l’art de se laisser toucher sans se laisser corrompre. C’est la vigilance heureuse et quelque chose me dit que le jour où nous serons indépendants, nous aurons enfin tout le plaisir de signer la paix définitive entre ces deux arbres culturels qui font, l’un comme l’autre, partie intégrante de nos vies et desquels il nous revient d’en tirer le meilleur.   



Et vous voulez que je vous dise? Plus le temps passe, plus je trouve que cette adversité fait non seulement notre force, mais aussi tout notre charme. Je regardais mes amis avec qui j’ai partagé tous mes souvenirs d’adolescence, des premières échappées aux premiers chagrins d’amour, en passant par tous les feux, cours séchés et partys de jour de l’An. Je les ai trouvé tellement beaux, aujourd’hui parents, adultes responsables, imparfaits, vaillants et fondamentalement bienfaisants. Je les voyais rire, frapper des mains et danser, et quelque chose en moi a soupiré de confiance en m’assurant que ça allait bien aller et que mes amis, à l’image de ce Québec tendre que j’aime découvrir un peu plus chaque jour, incarnaient précisément ce pour quoi nous n’avons même pas le droit de penser jeter la serviette : notre futur. Un futur dont la force sera toujours moins dans son goût pour la violence revendicatrice que dans le naturel fort et assumé de ses jours, dans son sens accru du plaisir et de la fraternité. Dans le calme de notre façon de vivre qu’on nous a peut-être beaucoup reproché, mais qui, en attendant, est ce qui a préservé le cœur de notre identité pacifique.   



Un jour, j’ai réalisé que les grandes réponses à nos questions les plus fondamentales, telles que « qui sommes-nous? », se trouvaient le plus souvent dans les plus petites choses. Dans ces détails derrière lesquels le bon Diable se tient pour nous faire des clins d’œil fiers et complices.   



Vous savez, la philosophie, ce n’est pas juste réfléchir l’existence, c’est d’abord choisir le regard que l’on décide de porter sur elle. C’est l’éternel principe du verre à moitié plein ou à moitié vide. J’aime me dire que chercher notre identité dans les petites choses et les marges inattendues, c’est comme chercher des fraises des champs : bien qu’on ne les voit pas au premier coup d’œil, si tu en trouves une, soudainement elles apparaissent toutes et te font par la même occasion comprendre que ce n’est pas parce que tu ne les voyais pas jusqu’ici qu’elles n’étaient pas là depuis le début...