Qu'est-ce qui est le plus important dans une société comme la nôtre? Sauver la vie des gens ou protéger la vie privée? C'est d'abord en ces termes qu'il faut aborder le débat sur l'implantation au Québec du dossier médical informatisé.
Ma formulation est volontairement simpliste. Il ne faut certainement pas banaliser le risque que des informations médicales confidentielles puissent tomber entre de mauvaises mains si les dossiers médicaux sont accessibles sur l'Internet.
Mais il faut absolument remettre les priorités là où elles devraient être. Au Canada et au Québec, dans tous les débats qui portent directement ou indirectement sur la santé, on parle invariablement de principes, de normes, de règles, de valeurs, de système et à peu près jamais de maladie, de santé, ou des besoins et des intérêts de ceux pour qui les systèmes de santé existent. On refait exactement la même chose avec le dossier médical électronique. L'enjeu de la protection de la vie privée domine tellement le débat qu'on en oublie le reste.
De tous les grands changements technologiques que nous avons connus depuis quelques décennies, celui qui a été le plus profond, c'est la révolution des nouvelles technologies de l'information et des communications. Cette révolution a transformé la face du monde, mais pas le monde de la santé.
La santé est pourtant un secteur d'activité majeur, qui draine environ 10% des ressources collectives, qui joue un rôle essentiel, que les citoyens mettent au sommet de leur échelle de priorités. Et pourtant, ce secteur n'a pas exploité au maximum le potentiel de cette révolution technologique et reste le royaume du papier, du travail à la mitaine.
Les gains que l'on pourrait retirer de ces nouvelles technologies sont évidents. De meilleurs dossiers, plus complets, qui éviteraient de recommencer les tests et les examens, qui assureraient une meilleure continuité des soins, qui faciliteraient le travail multidisciplinaire, qui permettraient de meilleurs diagnostics, une meilleure gestion des médicaments. On sauverait des vies, on améliorerait la qualité de vie, on rendrait le système plus efficace.
Ces choses, il faut les dire, parce que dans ce débat, pas grand monde ne le fait. Le projet d'implanter un système de dossiers électroniques a plutôt suscité de la méfiance, beaucoup de critiques, typiques des débats en santé, où le corporatisme et les croisades idéologiques favorisent une fascinante résistance au changement.
Cela s'explique aussi par le fait que les opposants proviennent largement du monde du droit plutôt que de celui de la santé. La Commission d'accès à l'information, le Barreau, la Commission des droits ont exprimé des craintes qui ont trouvé un large écho dans les médias, très sensibles à ces questions. Ces organismes sont peu sensibles aux enjeux de santé. Et c'est ainsi que, dans ce débat, l'exercice essentiel de recherche de l'équilibre entre les avantages évidents du côté de la santé et des risques à la vie privée n'a pas été possible.
Il est vrai que le fait de mettre des dossiers dans un système électronique comporte un risque, surtout que les informations médicales sont extrêmement privées. Mais avant d'en faire une croisade, rappelons que ce risque existe déjà avec les dossiers traditionnels mal protégés, que des agents du FBI ou de la CIA, si on aime les théories du complot, pourraient facilement obtenir. Rappelons aussi que nous ne sommes pas en 1970. Une grande quantité d'informations très sensibles sont déjà en réseau, dans des systèmes que l'on a appris à gérer.
Par ailleurs, dans ces débats de principes, très théoriques, on oublie le principe de la réalité. Le fait que, dans la vie, il existe des risques, y compris en santé, de pertes de dossier, d'erreurs médicales, d'infections nosocomiales. La recherche de la solution parfaite est la meilleure façon de ne jamais rien faire.
C'est la pression de ces organismes qui a mené à une solution complètement folle, le principe du consentement explicite, selon lequel les médecins devaient demander à chaque patient, hommes, femmes et enfants, sa permission écrite avant de créer son dossier électronique.
On aurait créé un monstre bureaucratique. Le temps consacré à demander son consentement à chaque patient, les sept millions de formulaires à signer, à gérer, à stocker. L'inégalité du rythme d'implantation qui aurait rendu le système non fonctionnel.
Le ministre Couillard a fait marche arrière pour revenir au principe du consentement implicite, où l'on suppose que les gens sont d'accord avec le dossier électronique tant qu'ils ne demandent pas d'en être exemptés. On le lui reprochera. Mais il a pris les moyens pour que le système fonctionne et qu'il serve à améliorer la santé des Québécois.
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