La vie, la ville, la guerre

Afghanistan - torture, mensonges, censure et cafouillage



Kandahar n'a pas changé. Je l'ai visitée pour la première fois en 1996. Elle vivait sous la férule des talibans depuis deux ans. J'y suis retournée en 2003, alors qu'elle jouissait d'une paix relative.


Jamais je ne pensais y remettre les pieds, mais en février dernier, je suis revenue à Kandahar. La sécurité s'était sérieusement dégradée. Aujourd'hui, m'y revoilà. Vous me direz que c'est une manie et que je devrais troquer Kandahar pour Paris.
Pourtant, je déteste cette ville. Elle est sale, hostile, paranoïaque. Il y a très peu d'arbres et les rares qui réussissent à survivre sont couverts de poussière.
Kandahar est une ville d'hommes, de pachtouns, c'est l'ancien chef-lieu des talibans. C'est tout dire. Tous portent le shalwar kameez, le costume traditionnel avec la longue tunique et le pantalon bouffant. Personne ne met de vêtements occidentaux et aucun étranger ne se promène dans les rues. Aucun.
Toutes les femmes se promènent en burqa. Elles sortent peu. Elles n'ont pas le droit de fréquenter les restaurants. À Kaboul, si, mais elles doivent se cacher derrière un rideau pour que les hommes ne voient pas leur visage lorsqu'elles soulèvent leur voile pour avaler une bouchée.
À Kandahar, je me suis parfois aventurée dans les restaurants. Par nécessité, bien sûr. Mon arrivée provoquait un silence gêné. Les hommes me regardaient avec une curiosité hostile. Le patron s'empressait de m'installer dans le fond du restaurant, quasiment dans les rideaux, et il lançait les menus sur la table d'un air maussade.
Une certaine hostilité couve face aux soldats de l'OTAN. «Beaucoup d'Afghans détestent les étrangers parce qu'ils sont très durs avec nous, m'a raconté un médecin que j'ai rencontré à l'hôpital de Kandahar. Et les gens exècrent le gouvernement Karzaï parce qu'il travaille main dans la main avec ces étrangers.»
À la suite d'une opération militaire qui a fait deux morts parmi les civils, en septembre, de 300 à 400 personnes ont manifesté dans les rues de Kandahar en scandant»Mort au Canada!»
De loin, on a l'impression que la guerre est omniprésente, que des convois sautent tous les jours en plein centre-ville et que des civils sont régulièrement abattus par des militaires nerveux.
Kandahar n'est pas l'Irak. Ce n'est pas la ville de tous les dangers. Les gens y vivent, dorment, mangent et travaillent presque normalement. Kandahar bourdonne d'activités. Les échoppes sont ouvertes, les vieux sont assis sur des chaises en plastique et jasent tranquillement au soleil. Quelques femmes en burqa pressent le pas et des jeunes filles, jupe noire, foulard blanc et sac au dos, marchent d'un pas lent vers l'école.
La ville patauge dans son habituel désordre. La circulation est chaotique, les camions doublent les autos qui, à leur tour, frôlent les bicyclettes, les piétons, les mendiants et les chariots tirés par des ânes.
Le dernier jour du ramadan, l'atmosphère au bazar était frénétique. Pas à cause de la guerre. Les Afghans préparaient la fête de l'Eid qui marque la fin du long carême. Les hommes se bousculaient dans les échoppes pour acheter des vêtements, des bijoux, de la nourriture. Les autos roulaient pare-chocs à pare-chocs. Pire que la rue Sainte-Catherine, à Montréal, un 24 décembre.
On ne sent pas la guerre. On n'entend aucune bombe, aucun tir de canon, aucun avion survolant la ville. À part les rares convois militaires qui dévalent la route principale, on ne voit pas la guerre.
Pourtant, elle est là, dans la tête des Afghans, dans les campagnes environnantes où les militaires se battent contre les talibans, à l'hôpital où gisent des blessés frappés par un obus ou des balles égarées.
Sous son vernis de quotidienneté, la violence couve. Le bazar, avec ses rues bordées d'échoppes et ses ruelles étroites, est dangereux. Les armes circulent librement et les hommes ont la mèche courte. Des bagarres éclatent souvent, laissant des morts ou des blessés dans son sillage. Et les talibans sont en ville, invisibles, anonymes.
Les Afghans sont habitués à la guerre. Ils la côtoient depuis près de 30 ans. Pendant la guerre civile qui a bouleversé le pays de 1992 à 1996, les Kaboulis s'inquiétaient lorsqu'ils n'entendaient pas les tirs des fusils le soir.
À Kandahar, la guerre ne fait pas de bruit. Pourtant, elle est là, silencieuse et dangereuse. Les Afghans le savent et ils sont inquiets.
- source
----
«Pas facile de travailler avec les Canadiens»
Le maire de Kandahar, Ghulam Hamidi, est très critique à l'égard des Canadiens
Michèle Ouimet
Envoyée spéciale, La Presse, 31 octobre 2007
Kandahar
Le maire de Kandahar, Ghulam Hamidi, ne se gêne pas pour critiquer le Canada : absence de consultation, projets improvisés, manque de transparence.



Il vise deux projets en particulier, qui ont fini en queue de poisson. «Le Canada ne m’a pas consulté avant de les lancer, dit-il. Pourtant, je suis le maire de cette ville.»
M. Hamidi arrivait de Kaboul lorsque je l’ai rencontré chez sa fille, Rangina. Assis sur le bord de son fauteuil, il raconte ses désillusions avec de grands gestes.
L’équipe canadienne de reconstruction (PRT) a décidé de nettoyer la ville, explique le maire. Elle a donné le contrat à une entreprise privée. Au début de l’année, 200 hommes devaient enlever les déchets dans les rues pendant 45 jours.
«Je n’ai vu personne ramasser des ordures et la ville est toujours aussi sale, affirme le maire. Alors je pose la question : où est passé l’argent ?»
«Le maire n’a rien vu parce que Kandahar est une grande ville», répond le capitaine Bruno Talbot, porte-parole du PRT.
C’est Farid Ahmad, président d’une compagnie afghane de construction, qui a obtenu le contrat de nettoyage. Montant : 85 000 $. Cet homme, assure le maire, a déjà travaillé comme interprète pour les Canadiens. Faux, réplique le capitaine Bruno Talbot.
Mon traducteur a appelé Farid Ahmad. «Avez-vous déjà été interprète pour les Canadiens ?» lui a-t-il demandé. «Vous êtes avec la journaliste ?» a répondu Farid Ahmad, qui s’est ensuite empressé de nier.
Mais la fille du maire, Rangina, est formelle. «Je suis certaine, à 100 %, que Farid a travaillé pour le Canada.» Rangina dirige une ONG. Elle aussi critique les Canadiens. «Où sont-ils ? Que font-ils ? On ne les voit jamais, ils restent enfermés dans leur camp fortifié.»
Le gouverneur de la province de Kandahar, Assidullah Khalid, en rajoute. «Leur bureaucratie est tellement lourde ! La communauté internationale ne nous écoute pas. On n’arrivera jamais à régler les problèmes.»
Des dalles de béton
M. Hamidi a été nommé maire de Kandahar en février par le président Karzaï. Il se pique d’être honnête.
Je l’avais rencontré l’hiver dernier, au lendemain de sa nomination. Il débordait d’enthousiasme. Il avait griffonné sur un bout de papier une liste de problèmes à régler, du très très urgent au très urgent. En tête, la saleté, car la ville est répugnante, ensuite la circulation qui est chaotique, puis la corruption et les problèmes de sécurité provoqués par les attentats suicide et le va-et-vient des soldats de l’OTAN qui tirent parfois sur des civils. Gros défi.
Le maire a fui son pays en 1981 après l’invasion des Soviétiques. Il a vécu de longues années au Pakistan et aux États-Unis. Le retour dans sa ville natale ne s’est pas fait sans heurt. Plusieurs le percevaient comme un étranger.
Huit mois après sa nomination à la tête de cette ville de 700 000 habitants, la deuxième en importance en Afghanistan, le maire est toujours aussi enthousiaste, même s’il se sent parfois écrasé par la montagne de problèmes. Et le Canada ne lui simplifie pas la vie.
«Pas facile de travailler avec les Canadiens, se plaint-il. Le personnel change tout le temps.»
La plupart des gens ne restent que six mois en Afghanistan.
«Un jour, raconte-t-il, un Canadien de l’équipe de reconstruction m’a appelé pour me dire qu’ils allaient installer 340 dalles de béton au-dessus des caniveaux. Je lui ai répondu : Qui vous a dit que nous avions besoin de dalles ?»
Mais le contrat avait déjà été accordé. Le maire a donc envoyé un de ses ingénieurs pour qu’il teste la qualité du béton. Correct, sans plus. Mais cher : 20 $ la dalle, alors que la Ville aurait pu l’obtenir pour 4 $. Selon le maire, le contrat ne prévoyait que 340 dalles. Il en aurait fallu au moins 3800.
«Même si les dalles étaient en or, conclut-il, je n’en voudrais pas !»
Le capitaine Talbot conteste les chiffres. Il n’y avait que 134 dalles, précise-t-il. Il a fouillé dans les archives du PRT et il a retrouvé le contrat. Il brandit une lettre signée par le maire.
«Regardez, le maire a approuvé le projet, il était au courant !» Sauf que la lettre date de 2005 et que le maire est au pouvoir depuis à peine huit mois.
- source
----
Le b.a.-ba de l'aide canadienne
Michèle Ouimet
La Presse, 31 octobre 2007
Kandahar
Au total, le Canada injectera 1,2 milliard de 2001 à 2011 pour reconstruire l'Afghanistan. Plusieurs agences et ministères sont impliqués: ACDI, Défense nationale, GRC, ministère des Affaires étrangères, Service correctionnel du Canada.



Les deux projets critiqués par le maire de Kandahar relèvent de la Défense nationale, qui s'occupe des programmes à petit budget. Le nettoyage des rues a coûté 85 000$, l'installation des dalles de béton 4600$.
Dans la province de Kandahar, le Canada supervise environ 1000 projets. Une bonne chose, croit le capitaine Talbot. «Pendant que les Afghans travaillent, ils ne pensent pas à faire des mauvais coups», dit-il.
L'ACDI, elle, brasse des projets plus importants. Elle s'allie souvent avec des partenaires internationaux comme l'ONU, la Croix-Rouge ou la Banque mondiale. Ce sont ces organismes qui gèrent les fonds et effectuent la vérification sur le terrain.
Les Canadiens ont une toute petite équipe de vérificateurs, qu'ils appellent moniteurs. Ils sont afghans. L'ACDI en embauche trois, la Défense nationale, un. Aucun Canadien ne va sur le terrain pour effectuer des vérifications. Militaires et civils ne sortent qu'en convoi.
- source


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé