Le Canada ne torture pas les talibans faits prisonniers par son armée. Mais il les remet aux autorités afghanes qui, elles, font un peu moins dans là dentelle. À ce qu'on dit. Voici le premier volet d'une grande enquête menée sur le terrain par notre envoyée spéciale, qui à rencontré plusieurs prisonniers victimes de sévices.
Même si Ottawa a conclu une entente avec le gouvernement afghan au printemps, les prisonniers capturés par les soldats canadiens sont encore torturés dans les locaux des services secrets à Kandahar.
Frappés à coups de brique, privés de sommeil, ongles arrachés, chocs électriques. Certains détenus doivent rester debout, les bras en l'air, pendant deux jours et deux nuits. Leurs pieds deviennent tellement enflés que leurs menottes ne peuvent plus bouger.
D'autres ont les bras attachés dans le dos et sont suspendus à un mur, puis frappés avec des câbles électriques.
J'ai visité la prison de Kandahar, Sarpoza. Trois prisonniers capturés au cours des derniers mois m'ont raconté qu'ils avaient été torturés.
Un des hauts responsables de la prison, qui ne veut pas être identifié mais qui était présent lors des entrevues, a confirmé. «Oui, a-t-il dit, les détenus sont torturés par les services secrets avant d'être emmenés chez nous, à Sarpoza.»
Le 23 avril, le Globe and Mail avait écrit que la majorité des prisonniers capturés par les Canadiens étaient torturés par les autorités locales.
Cette révélation avait déclenché une controverse monstre. Le gouvernement Harper avait réagi et signé une entente avec le président afghan, Hamid Karzaï. Depuis, affirme Ottawa, la torture n'existe plus.
Faux, ont dit les trois détenus qui ne veulent pas être identifiés. «En août, a raconté l'un d'eux, des soldats sont entrés chez moi, le soir, et ils m'ont arrêté avec six autres personnes. Ils nous ont accusés d'être des talibans.»
Les soldats les ont emmenés au quartier général des Forces spéciales américaines à Kandahar avant de les transférer à la base militaire de l'OTAN où sont stationnées les troupes canadiennes.
«Nous avons passé 12 jours dans la prison de la base militaire, a précisé le détenu. Les soldats nous ont interrogés une seule fois et nous avons été bien traités.»
Mais les choses se sont gâtées lorsque les prisonniers ont été transférés aux services secrets, le NDS (National Directorate Security).
«Les Canadiens nous ont dit de ne pas avoir peur, a poursuivi le prisonnier. Ils nous ont donné un document qui affirmait qu'il n'y avait plus de torture en Afghanistan. Les gens des services secrets l'ont déchiré et ils me l'ont jeté à la figure. Ils m'ont torturé pendant 20 jours. J'ai protesté, j'ai dit que les Canadiens m'avaient promis qu'il ne m'arriverait rien. Ils m'ont répondu: On n'est pas au Canada ici, on est chez nous! Les Canadiens sont des chiens! ' Les services secrets n'écoutent personne, ni Karzaï ni le Canada.»
Un autre prisonnier, qui a aussi été torturé, a lancé: «C'est vous, les Canadiens, qui êtes responsables de la torture parce que vous nous livrez aux services secrets qui agissent comme des sauvages!»
Selon la Commission afghane des droits de la personne, la torture existe toujours, mais la situation s'est améliorée depuis que le Canada est intervenu au printemps.
«Environ le tiers des prisonniers sont encore torturés et l'OTAN le sait, a affirmé un porte-parole, Shamuldin Tanwir. Les Canadiens nous donnent une enveloppe scellée avec les noms des prisonniers capturés. Le problème, c'est que cette liste ne correspond jamais à celle des services secrets.»
Une prison insalubre
Plusieurs prisonniers passent des mains des Canadiens aux services secrets, puis directement à la prison de Sarpoza. Sans juge, ni procès, ni avocat.
«Le système judiciaire est quasiment inexistant, a souligné le porte-parole de l'ONU (UNAMA), Rupert White. Il n'y a qu'un seul procureur pour la province de Kandahar. Interjeter appel est pratiquement impossible. Les juges doivent venir de Kaboul, mais ils refusent. Personne ne veut s'occuper d'un procès politique. Ils ont peur des représailles des talibans. Alors, les délais sont extrêmement longs.»
Et il manque de tout. «Il n'y a pas d'avocats ni d'expertise légale, a ajouté M. White. Il n'y a même pas de copies des lois.»
La prison de Sarpoza est insalubre et surpeuplée. Elle accueille 1200 hommes et une poignée de femmes. Chaque cellule compte 18 détenus. Ils dorment sur des nattes jetées sur le ciment. Seul le chef des prisonniers a un lit. Il n'y a ni eau chaude ni chauffage. L'hiver, les cellules sont glaciales. Le thermomètre chute à moins 10.
Les toilettes sont minimalistes: un trou caché par un vieux rideau. Des souris et des serpents entrent dans les cellules en passant à travers les murs de pierre. Les détenus bouchent les trous avec des sacs de plastique.
Il manque de tout: de couvertures, de draps, de médicaments, de gants pour nettoyer les toilettes. Les pannes d'électricité sont fréquentes, des ampoules nues pendent des plafonds et des vieux fils courent le long des murs.
«J'ai souvent demandé aux Canadiens de nous aider, mais ils ne font rien, s'est plaint un des hauts responsables de la prison. Ça fait deux ans qu'on les supplie de nous installer des vitres aux fenêtres pour nous protéger du froid. L'hiver s'en vient et le Canada n'a encore rien fait.»
Les Canadiens ont refusé de réagir aux allégations de torture. J'ai demandé une entrevue au responsable des services correctionnels posté à Kandahar. La relationniste m'a dit d'appeler Ottawa. Ce que j'ai fait. Réponse: pas de commentaire.
J'ai aussi contacté l'ambassadeur du Canada à Kaboul, le seul civil qui a le droit de parler aux journalistes. J'attends toujours son appel.
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La peur, deux fois plutôt qu'une
Michèle Ouimet
Envoyée spéciale, La Presse, 29 octobre 2007
Kandahar
J'ai eu peur deux fois pendant mon séjour à Kandahar. La première, à la prison de Sarpoza; la deuxième, dans les locaux des services secrets afghans.
Je voulais visiter la prison de Kandahar pour demander aux talibans s'ils avaient été torturés par les services secrets avant d'être emprisonnés à Sarpoza. Le directeur, Abdul Qader, m'a reçue dans son bureau, contrarié par ma visite.
Il m'a dit, en chassant des mouches d'une main molle: «Ces gens-là sont très dangereux. Ils sont armés, ils ont des couteaux, des ciseaux, ils pourraient vous tuer. Et nous venons de recevoir 22 kamikazes.»
J'ai regardé mon traducteur, Akbar. Il a levé un sourcil. J'ai compris: ce sont des racontars, le directeur veut se débarrasser de nous, on y va. Résigné, le directeur a sorti une clé de sa poche et il a déverrouillé un gros cadenas. La porte a roulé sur ses gonds et nous sommes entrés dans la section où vivent 230 talibans et autres prisonniers politiques.
L'atmosphère était survoltée. Les détenus attendaient la visite de leur famille et notre arrivée bloquait tout. Ils étaient en rogne. Ils voulaient qu'on parte. Et vite! J'ai eu peur. Akbar m'a dit: «Allez, on s'en va!»
Je suis revenue quelques jours plus tard. Les prisonniers étaient en veine de confidence. Ils m'ont accueillie avec du thé et des fruits. Nous avons longuement discuté des services secrets et des méthodes qu'ils utilisent pour torturer les gens.
Le lendemain matin, j'étais en ville avec Akbar. Son cellulaire a sonné. C'était son hôtel. Les services secrets étaient là, ils l'attendaient. Akbar est resté calme. Il se sentait relativement à l'abri parce qu'il était avec moi, une journaliste occidentale, un statut qui agit comme un talisman. Les services secrets n'oseraient jamais emprisonner une Canadienne, encore moins la torturer. C'est ce que je me disais en me rendant dans leurs locaux.
L'immeuble des services secrets est sinistre: une guérite, des hommes armés, une lourde porte qui donne sur une cour poussiéreuse ceinturée de bâtiments. Nous sommes entrés dans un bureau. Un garde a jeté un oeil sur ma carte de presse, il a noté le nom d'Akbar, puis il a disparu.
Devant nous, il y avait quatre Afghans inquiets qui attendaient des nouvelles de parents détenus par les services secrets.
Le type est revenu 10 minutes plus tard. «Vous pouvez partir, a-t-il dit à Akbar, c'est un malentendu.» Nous sommes partis, soulagés mais sceptiques. Un malentendu, vraiment? Pourtant, c'est le directeur adjoint des services secrets, Balla Karzaï, qui avait envoyé des hommes à l'hôtel.
Par définition, les services secrets ne font pas dans la dentelle. Imaginez en Afghanistan, un pays qui a été dominé par les Soviétiques pendant 10 ans et qui a adopté certaines de leurs méthodes. Imaginez à Kandahar, une ville perdue au bout du monde, marquée par la guerre.
Cette histoire souligne à gros traits le pouvoir occulte des services secrets et surtout, surtout, la vulnérabilité des Afghans qu'aucun système judiciaire ne protège.
Dire que le Canada remet ses prisonniers entre les mains de ces gens-là.
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Allô Ottawa? Ici Kandahar
Michèle Ouimet
Envoyée spéciale, La Presse, 29 octobre 2007
Kandahar
J'ai traversé la moitié de la planète pour venir à Kandahar, en Afghanistan. Mon objectif: fouiller le dossier de l'aide canadienne. Ottawa investira 39 millions cette année dans la province de Kandahar.
C'est beaucoup d'argent. Est-il bien dépensé, les projets fonctionnent-ils, comment l'ACDI fait-elle pour vérifier si les fonds ne sont pas détournés? Le gouvernement afghan est corrompu et l'ACDI n'a jamais travaillé dans un pays en guerre. Zéro expérience. Gros défi.
Tous les jours, je quittais la base militaire et je franchissais les 20 kilomètres qui me séparaient de Kandahar pour visiter un hôpital, un camp de réfugiés, la prison. Pas question de fouiller le dossier de l'aide en restant sur la base où il ne se passe rien, sauf le train-train quotidien de 12 000 soldats.
Je partais avec un traducteur qui m'attendait à la sortie du camp et on filait à Kandahar pour la journée.
Les militaires étaient fâchés. Seul le journaliste du Globe and Mail, Graeme Smith, qui vient en Afghanistan depuis plus d'an an, quitte souvent la base avec un traducteur. Les autres couvrent essentiellement les soldats.
Le major Thomson à Ottawa a appelé mon patron. Il lui a dit que je devais écrire sur les soldats ou les «activités du gouvernement canadien» ou quitter la base. Une menace à peine voilée d'expulsion qui a fini en eau de boudin. L'armée a fini par se calmer.
***
Je voulais poser des questions à l'ACDI et au Service correctionnel du Canada. Ils ont des représentants à Kandahar. Certains vivaient sur la même base que moi, mais la plupart logeaient au camp Nathan-Smith, quelques kilomètres plus loin. Tous des civils.
Le problème, c'est que les civils n'ont pas le droit de parler aux journalistes. Seuls les militaires peuvent répondre aux questions et, règle générale, ils se bornent à dire des généralités. Car l'armée déteste parler.
Mais bon, l'armée, c'est l'armée. Les soldats s'imaginent que les journalistes sont là pour faire mousser leur mission. Rien de nouveau sous le soleil, toutes les armées du monde pensent de la même façon. Mais les civils?
«Ils ne peuvent pas vous parler, m'a répété au moins 50 fois la capitaine Johanne Blais. Vos questions vont jusqu'au bureau du ministre à Ottawa.»
J'ai croisé le grand responsable de l'aide canadienne pour la province de Kandahar, Michel De Salaberry, quasiment tous les jours. Un civil. Un homme d'expérience qui a été ambassadeur du Canada à Téhéran pendant trois ans, un passionné du Moyen-Orient qui connaît ses dossiers sur le bout des doigts.
Nos échanges sont restés prudemment anodins. Quand je lui posais des questions sur l'aide canadienne, il enrobait ses réponses dans une incroyable langue de bois. «Je n'ai pas le droit de vous parler, a-t-il fini par me dire. Appelez Ottawa.» Il m'a aussi suggéré de consulter le site web du gouvernement canadien. Sacré conseil, merci, je n'y avais pas pensé.
J'ai donc traversé la moitié de la planète pour me retrouver pendue au bout de mon téléphone satellite, essayant, en vain, de mettre la main sur un fonctionnaire à Ottawa.
J'étais à Kandahar, les projets étaient à Kandahar, les responsables étaient à Kandahar, mais je devais parler à des gens assis dans leur bureau à Ottawa.
J'ai tellement insisté qu'Ottawa a fini par dédouaner le patron de l'ACDI à Kandahar, Ron Schatz. Il m'a donné une entrevue. Rien de transcendant.
Et les prisonniers torturés? lui ai-je demandé. «Je ne m'occupe pas de ce dossier. Vous devez parler à Ottawa», a-t-il répondu.
J'ai donc repris mon téléphone satellite. Allo Ottawa, ici Kandahar
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Un chèque en blanc à la Croix-Rouge
Dans l'aile de l'hôpital Mirwais qui accueille les enfants sous-alimentés, il n'y a que 28 lits pour 70 patients. Des lits d'adulte aux matelas fatigués. Les mères vivent avec leur enfant. Les lits sont cordés serrés, il n'y a aucune intimité.
Michèle Ouimet
La Presse, 30 octobre 2007
Kandahar
Le Canada verse des millions de dollars pour l'hôpital Mirwais, de Kandahar. Mais il n'a pas le droit d'y mettre les pieds pour voir où va son argent. Notre envoyée spéciale Michèle Ouimet l'a visité. Elle nous raconte, dans le deuxième volet de sa série d'articles, y avoir découvert un océan de besoins, un conteneur qui fait office de morgue et une directrice oui, une femme qui tient tout ça à bout de bras.
L'odeur. Elle vous prend à la gorge dès que vous mettez les pieds à l'hôpital Mirwais de Kandahar. Âcre, fétide, un mélange d'urine et de sang.
Couchée sur un lit trop grand, Jamila, un an et demi, pleure. Ses yeux sont exorbités, son cou maigre, ses joues creusées de rides profondes. Elle souffre de malnutrition grave et d'une infection sanguine.
Elle a besoin d'antibiotiques, mais l'hôpital ne les fournit pas. Ses parents doivent les acheter au bazar. Ils sont très pauvres, ils ne peuvent même pas nourrir leur fille. Où pourraient-ils trouver les 250 afghanis nécessaires pour acheter des antibiotiques?
C'est une grosse somme pour les Afghans. Un kilo de viande coûte 250 afghanis, soit 5$. Un médecin gagne 60$ par mois, un policier 70$. La mère de Jamila, Shala, est enceinte de son septième enfant. Elle est petite, délicate. Épuisée, elle s'étend sur le lit et serre contre elle le corps fragile de sa fille.
Mirwais, situé en plein coeur de Kandahar, est soutenu par la Croix-Rouge. Le Canada aide l'hôpital, mais verse l'argent à la Croix-Rouge qui s'occupe de tout. Même si le Canada a donné trois millions cette année, ses représentants n'ont pas le droit de mettre les pieds à l'hôpital. La Croix-Rouge est très jalouse de son autorité.
«Depuis que la Croix-Rouge a pris le contrôle, plus personne ne peut aller a l'hôpital, confirme le capitaine Bruno Talbot, porte-parole de l'équipe canadienne de reconstruction. C'est un problème, mais on n'y peut rien. Le Canada donne des millions, mais c'est la Croix-Rouge qui gère. Tu finances, mais tu ne contrôles pas.»
Le Canada ignore ce qui se passe entre les quatre murs de l'hôpital. Le capitaine Talbot, par exemple, ignorait que les parents doivent acheter les antibiotiques.
Les Canadiens, civils et militaires, se déplacent uniquement en convoi. La Croix-Rouge ne tolère aucune arme. Elle accepte encore moins une colonne de blindés stationnée à la porte de l'hôpital, une cible facile pour les talibans qui pourraient les attaquer.
Les journalistes n'ont pas le droit de visiter l'hôpital. Depuis que le Conseil de Senlis, un organisme de Londres qui a des bureaux en Afghanistan, a publié un rapport dévastateur sur l'hôpital, la Croix-Rouge est sur les dents.
J'ai donc fait le tour de l'hôpital en burqa avec mon traducteur. Les médecins ont accepté de me parler même s'ils savaient que j'étais journaliste. J'ai vu des soldats afghans se balader arme au poing. Le directeur adjoint, M. Rokay, les a regardés sans protester.
«Quand j'interviens, ils m'engueulent», dit-il. J'ai terminé ma visite au bureau de la directrice, Sharifa Seddiqi. Elle était avec une représentante de la Croix-Rouge, Mme Bronwen, qui m'a fusillée du regard.
Chaque fois que je posais des questions à la directrice, c'est Mme Bronwen qui répondait. Sharifa Seddiqi me jetait des regards embarrassés. Belle séance d'humiliation.
Pendant ce temps, Jamila n'a toujours pas d'antibiotiques.
Un océan de besoins
L'hôpital a besoin de tout: des médicaments, de l'équipement, des lits, des médecins, des chirurgiens. Et d'un bon coup de balai. Mirwais dessert trois millions de personnes et couvre un immense territoire qui chevauche plusieurs provinces, dont Kandahar et Zaboul.
L'hôpital a 350 lits et fonctionne à pleine capacité, 24 heures sur 24. Les besoins sont énormes. Dans l'aile qui accueille les enfants sous-alimentés, il n'y a que 28 lits pour 70 patients. Les mères vivent avec leur enfant. Ou plutôt leur fille, car il y a très peu de garçons. «Les mères nourrissent d'abord les garçons, précise le Dr Mahmood Sadat. Beaucoup de gens souffrent de la faim, car les blindés détruisent les récoltes.»
Les lits sont cordés serrés, il n'y a aucune intimité. Des ventilateurs brassent l'air chaud, des draps pendent aux fenêtres barbouillées de poussière. Il n'y a que des lits d'adulte aux matelas fatigués.
«Trois enfants sont morts en tombant de leur lit», raconte le Dr Sadat.
L'hôpital doit aussi accueillir des blessés de guerre, une quarantaine par mois. Le bloc opératoire est minimaliste et les conditions sanitaires, déficientes. Les planchers sont sales et une poubelle remplie de vieux chiffons traîne sous une table d'opération. «Si le patient souffre d'une infection grave, il meurt», affirme un chirurgien, Mohammad Sharif.
La tente
En plus des trois millions, l'ACDI a donné 350 000$ pour la construction d'une maternité sur le terrain de l'hôpital. Le projet est piloté par l'UNICEF. En attendant que le bâtiment soit érigé, l'UNICEF a installé une tente, mais l'expérience a été désastreuse. Les hommes et les femmes se côtoyaient dans une promiscuité inacceptable pour les Afghans et, sous la chaleur, la tente se transformait en four. L'été, le thermomètre frôle les 55 degrés.
La tente a été démantelée en août. Depuis, plus rien. Le projet de maternité chemine lentement, très lentement dans le dédale de la bureaucratie. «Il faut d'abord écrire un mémorandum pour établir la responsabilité de chaque acteur, l'UNICEF, la Croix-Rouge et le ministère afghan de la Santé», explique Mme Bronwen, qui ne nomme pas le Canada dans sa liste de partenaires.
Pour l'instant, il n'y a qu'un accord de principe. À quand la première brique?
L'aide canadienne en chiffres
- Contribution de l'ACDI à Kandahar en 2007: 39 millions $.
- 6500 tonnes de vivres ont été distribuées, depuis décembre 2006, à 200 000 personnes.
- 5600 personnes, dont plus de 5100 femmes, reçoivent des cours d'alphabétisation.
- Déminage de plus de 420 000 mètres carrés de territoire.
- 1200 puits donnent de l'eau potable.
- 70 canaux irriguent les terres agricoles.
Source: Agence canadienne de développement international (ACDI)
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La confiance tranquille de Mme la directrice
Michèle Ouimet
La Presse, 30 octobre 2007
Kandahar
Sharifa Seddiqi dirige l'hôpital Mirwais à Kandahar depuis cinq ans.
Mirwais a 350 lits et fonctionne à pleine capacité, 24 heures sur 24. Il soigne des patients blessés par balles ou mutilés par l'explosion d'une bombe et des enfants qui souffrent de malnutrition grave. Car Kandahar est en guerre: les forces de l'OTAN se battent contre les talibans.
Comment une femme s'est-elle retrouvée à la tête du plus gros hôpital de la région, dans la ville la plus conservatrice d'Afghanistan?
Sharifa Seddiqi rit en replaçant délicatement son voile sur ses cheveux. « Mon mari est chirurgien et il travaille ici, dit-elle sans vraiment répondre. Il m'a soutenue. Aujourd'hui, je suis sa patronne. «
Son bureau est immaculé. Pas un papier n'y traîne. Le décor est austère: un ordinateur, une carte de Kandahar épinglé au mur, un grand portrait de Karzaï suspendu au-dessus de sa table de travail, deux fauteuils usés dans un coin. Les rideaux flottent doucement sous la brise chaude. Au loin, on entend le murmure de la ville.
Sharifa aussi est chirurgienne. Son père était officier dans l'armée afghane. Elle a étudié la médecine à l'Université de Kaboul et elle a travaillé sous les talibans.
Contrairement à beaucoup d'Afghans, sa famille n'a pas fui Kaboul lorsque les talibans ont pris le pouvoir. Elle a pu travailler parce qu'elle était médecin, mais les hommes et les femmes étaient séparés avec un soin maniaque. Pas question de soigner un homme ou de travailler avec des collègues masculins.
Elle se souvient de cette époque avec une certaine tristesse. « Quand j'allais au bazar, je voyais des talibans frapper des femmes «, dit-elle avec un frisson.
En 2001, sa vie a changé. Elle s'est mariée avec un homme de Kandahar. Elle a bouclé ses valises et quitté la capitale, comme l'exige la tradition. Les femmes vivent dans la famille de leur mari, avec leur beau-père, leur belle-mère, leurs beaux-frères, leurs femmes et leurs enfants.
Elle était prête à affronter le conservatisme de Kandahar. Après tout, elle venait de subir cinq ans de régime taliban.
« En ville, je mets ma burqa parce qu'il y a des talibans et qu'ils pourraient me tuer si j'ai le visage découvert «, dit-elle.
Mais lorsqu'elle se promène d'un bâtiment à l'autre sur le terrain de l'hôpital, elle ne porte qu'un voile léger, une liberté qui provoque des regards hostiles.
Un coup de tonnerre
Sharifa Seddiqi est une forte tête. Elle a dû faire appel à tout son courage pour affronter ses nouveaux collègues lorsqu'elle est arrivée à l'hôpital Mirwais, en 2001. Elle travaillait dans un département avec 11 médecins, tous des hommes. Ils ont essayé de se débarrasser d'elle, mais elle s'est accrochée.
Sa nomination à la tête de l'hôpital est arrivée comme un coup de tonnerre. C'était en 2002, huit mois après son arrivée à Mirwais. Un vent de liberté soufflait sur l'Afghanistan. Le président Karzaï venait de former son premier cabinet en accordant une petite place aux femmes. C'est la ministre de la Santé, Sohaila Siddiqi, qui a nommé Sharifa directrice de Mirwais.
Sharifa n'avait que 34 ans. Le défi était immense pour une femme qui n'avait aucune expérience en gestion et peu de racines dans la très conservatrice Kandahar. Et elle est arabe, et non pachtoune, l'ethnie dominante. Un handicap de plus.
Sharifa n'a pas d'enfant, une malédiction en Afghanistan. Des problèmes de santé, résume-t-elle avec pudeur. Mais elle n'a pas renoncé à fonder une famille. Elle veut aller en Corée du Sud pour se faire opérer.
C'est la seule ombre dans sa vie. Avec la guerre, évidemment.
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Conteneur pour l'au-delà
Michèle Ouimet
La Presse, 30 octobre 2007
Kandahar
Un conteneur réfrigéré un peu rouillé où s'empilent les cadavres. C'est la morgue de l'hôpital Mirwais.
Elle est située sur le terrain de l'hôpital, loin des autres bâtiments, tout au fond. Les cadavres doivent être trimballés jusque-là, à pied, avant d'être largués dans le conteneur. La morgue est gardée par un homme d'une trentaine d'années, Mohammed Shah. Il ne veut pas que je la visite, car il sait que je n'ai pas d'autorisation. Mon traducteur lui tend un billet de 500 afghanis (10$US). Mohammed le prend sans hésiter et le glisse discrètement dans la poche de son shalwar kameeze.
Il déverrouille le cadenas d'un geste rapide. La porte s'ouvre, laissant échapper une bouffée d'air froid et une odeur de pourriture. Le conteneur n'est pas assez froid et la décomposition des corps se poursuit. Huit cadavres reposent sur des tablettes de métal. Ils portent encore leurs vêtements tâchés de sang. Certains ont des blessures béantes qui n'ont pas été nettoyées. La plupart ont été tués pendant la guerre. Il y en a même un qui a été expédié de Guantánamo, la prison américaine de Cuba.
Normalement, il y a une bonne trentaine de cadavres empilés dans le conteneur. Si personne ne les réclame, l'hôpital les enterre dans un cimetière voisin.
Mohammed Shah travaille seul. Il déteste son boulot, mais il n'a pas le choix, il doit nourrir ses enfants. Il est bien payé, 2500 afghanis par mois (50$). Il trouve parfois de l'aide, mais la plupart du temps, il doit hisser seul les cadavres sur les tablettes glacées du conteneur. «J'ai déjà eu un violent choc nerveux à cause des odeurs», raconte-t-il.
«C'est la seule morgue fonctionnelle à Kandahar, explique le porte-parole de l'équipe canadienne de reconstruction, le capitaine Bruno Talbot. Les soldats de l'armée afghane se retrouvent parfois à côté des insurgés talibans, Les familles se croisent. C'est extrêmement délicat.»
La Croix-Rouge veut installer un deuxième conteneur, une idée qu'appuie l'ACDI.
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«C'est vous, Canadiens, qui êtes responsables de la torture...»
Plusieurs prisonniers passent des mains des Canadiens aux services secrets, puis directement à la prison de Sarpoza. Sans juge, sans procès ni avocat.
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