À l'origine un commentaire du dernier éditorial de Richard Le Hir, il a été transformé en Tribune libre par l'équipe éditoriale de Vigile.
Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis
Ernest Renan
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Monsieur Le Hir, je vous remercie pour votre participation à l’édification de Vigile, spécialement durant les cinq années à titre de gardien de ce phare de réinformation. En réussissant, entre autres, à l’extirper des griffes judiciaires. Surtout, vous en avez étendu la portée en l’alimentant de sources d’information tant remarquables que variées. Au surplus, les surtitres dont vous coiffiez les articles agissaient comme des projecteurs efficaces et redoutables pour décaper le discours ambiant des médias. Je suis convaincu que la relève prometteuse maintiendra ce foyer lumineux.
Votre portrait global de la situation du peuple québécois est dramatique mais juste. Vous avez raison : il faut regarder la réalité en face, malgré sa pénibilité. Le plus grand obstacle actuel à la prise de conscience politique : l’attitude de déni en réaction aux reculs incessants, que Robert Laplante appelle depuis longtemps « la minimisation des pertes ». Les citoyens québécois créent ainsi leur propre nuit aveuglante.
Certes, la disparition du catholicisme pratiquant depuis un demi-siècle s’est avérée mutilante. Pour cette raison principale : on a jeté la transcendance avec lui, comme le souligne Mathieu Bock-Côté. Sans aspiration à un idéal supérieur, le peuple québécois s’est muté en société de consommateurs individualistes semblable à l'anglosphère. Ainsi ramolli, il est désorienté par les déconstructeurs officiels et groupusculaires qui veulent sa disparition.
Les nouveaux états généraux que vous appelez devraient primordialement viser le rétablissement de la transcendance, en hiérarchisant le reste en conséquence. Je songe à la métaphore favorite de Pierre Vadeboncœur : la clef de voûte, en référence évidemment à l’architecture des cathédrales. Le sublime essayiste considérait ainsi le mystère d’une réalité supérieure, qu’il se refusait toutefois de nommer. Sans doute pour éviter la récupération de la transcendance par un système religieux ou idéologique, qui succombe trop facilement à la tentation totalitaire. Il suffira ici d’invoquer le chantage à l’éternité de l’enfer pour justifier le rejet du catholicisme.
Pour qu’il soit fécond et le demeure, le référent doit donc conserver son caractère impondérable, inédit, imprévisible. La recherche vers l’inconnaissable engendre la connaissance qui, malgré son statut inéluctablement provisoire, conduit à l’action. Le référent n’étant donc pas un vide absolu, sa conception québécoise devrait promouvoir le droit inaliénable du peuple à choisir sa voie vers l’indépendance, et celui de transmettre la langue française et la culture d’ici — c’est-à-dire ses instruments d’émancipation, d’exploration, de découverte — aux générations successives ainsi qu’aux immigrants qui souhaitent sincèrement se joindre à son aventure.
Alors, que retenir essentiellement du christianisme ? Fernand Couturier, cité par un de vos commentateurs, analyse l’origine du mythe chrétien. Si son essai Mythes, religions, laïcité — une aire de liberté consiste à opposer l’histoire au mythe, j’en retiens d’abord que le mythe chrétien plonge ses racines dans d’autres grands mythes, notamment celui d’Osiris, tué et démembré par son frère jaloux Seth, mais ressuscité par ses sœurs Isis et Nephtys. Rappelons que l’Égypte ancienne avait élaboré son roman civilisationnel sur la mort du soleil au ponant, et sa résurrection au levant. Or, la fête de Noël qui célèbre la naissance de Jésus, emmené par ses parents Joseph et Marie en Égypte afin de fuir le roi infanticide Hérode, est fondée sur le retour de la croissance de la lumière diurne dans le cycle annuel. Ces mythes illustrent l’espoir de renaissance de la conscience. Soit une sortie des ténèbres, quelle que soit la perspective adoptée ou la direction choisie. Plus abstraitement, des philosophes ont répété : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Étonnée par cette question existentielle, la conscience n’a de cesse de resurgir plus lumineuse. C’est cela l’état de grâce.
Une fois créé, le nouveau référent québécois nous conduira à établir le rapport de forces nécessaire à la libération contre le régime canadien superficiel, qui sert de couverture à une oligarchie postnationale francophobe et nihiliste.
Monsieur Le Hir, je vous souhaite un joyeux Noël et l’indépendance du Québec avant la fin de vos jours.
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1 commentaire
Michel Matte Répondre
28 décembre 2017Tout à fait d'accord avec vous. Même si «la disparition du catholicisme pratiquant s'est avérée mutilante», il ne faut pas pour autant jeter la transcendance avec lui.
Le catholicisme est le moyen par lequel le peuple québécois a poursuivi un idéal transcendant: son projet de civilisation. Cet idéal est la vérité derrière le mythe, le référent que l'on dévoile par la recherche du sens de l'être et de la vie, bref le côté sacré de l'univers.
Comme tel, le catholicisme est une expression de ce mythe universel. Mais en insistant sur des faits historiques que des recherches récentes ont sérieusement mises en doute, les religions en général ont remplacé le référent transcendant par le personnage du mythe lui-même, et le mystère signifié par son symbole (Couturier, op. cité p. 52). Tout est figé dans le dogme et l'institution religieuse avec les exagérations qui minent le tout.